Blind Magazine : photography at first sight
Photography at first sight
Rechercher
Fermer ce champ de recherche.
Alexis Cordesse, des vies syriennes

Alexis Cordesse, des vies syriennes

Dans son projet Talashi, Alexis Cordesse a rassemblé des photographies personnelles d’hommes et de femmes ayant fui la Syrie en guerre.
© Alexis Cordesse

Comment raconter la guerre, et plus précisément la dernière guerre syrienne qui a débuté en 2011 après le flot d’images incessant qui a saturé l’espace médiatique ? Cette guerre a inauguré une nouvelle ère : jamais, un conflit n’aura été autant documenté par ceux-là même qui la vivent. Manifestants, policiers, soldats, miliciens ou tortionnaires, tout le monde filme et partage sur la toile. Les vidéos les plus violentes deviennent les plus virales. L’horreur est banalisée et « les Syriens sont condamnés à l’indignité » selon les mots du photographe Alexis Cordesse.

C’est le hasard qui a mené Alexis Cordesse, habitué des zones de guerre, à réaliser la série « Talashi » éditée aux éditions Xavier Barral. Photoreporter de guerre pendant des années, il a notamment publié ses images dans la presse française et étrangère, exposé au festival Visa pour l’image (1992), participé au premier World Press Master Class (1995). À partir du milieu des années 90, il va s’éloigner du photoreportage classique et effectuer un changement drastique dans sa pratique. Il retournera sur les terrains de l’actualité avec de nouvelles exigences dont une réflexion poussée sur l’éthique du témoignage.

© Alexis Cordesse

C’est une amie syrienne, Maha, qui lui a confié alors qu’elle venait d’arriver en France avec son mari et ses deux enfants, que l’une de ses filles avait emporté avec elle des photos choisies dans un album de famille et qu’elle les avait nouées dans un ruban rose. Il a fallu deux ans pour qu’ Alexis Cordesse puisse y avoir accès, les images étaient stockées ailleurs qu’en France.  « Quand j’ai ouvert les boîtes en fer blanc (en 2017), j’ai effectivement ressenti un effet de hors champ extrêmement puissant par rapport aux images d’actualité sur la Syrie, qui tournaient en boucle à ce moment-là. J’ai demandé à Maha de me confier certaines photos, et au bout d’un moment, j’ai compris que ces images relativement banales étaient, au sens propre, extraordinaires. »

Alexis Cordesse se met à la recherche d’autres images, d’autres familles. « Cela a été très compliqué, parce qu’il y a assez peu de Syriens en France, entre 25 000 et 28000. Et ce d’autant que les associations qui travaillent dans l’urgence avaient autre chose à faire, ce que je comprends parfaitement. » Il rencontre des exilés syriens en Ile-de-France, dans la région lyonnaise, à Marseille. Grâce à l’obtention d’une bourse du CNAP, il voyage pour la Turquie et l’Allemagne. En deux ans de recherches, il rencontre un peu plus de quatre-vingt personnes.

© Alexis Cordesse

« J’ai visionné des dizaines de milliers d’images, j’en ai conservé environ 2950, et il y en a plus de 50 dans ce livre. » Ces images datent de 1990 à 2019, elles racontent « dans un geste simple, précis et sans fioritures » la vie en Syrie, les histoires de Maha et de ses filles, d’Ahmed dont son immeuble s’est effondré après un bombardement, de Salam qui habitait à Deir es-Zor, ville qui est tombée aux mains de l’organisation État islamique, de Muhammad, de Haïfaa, de Tuka et de Hala.

Talashi montre à travers une partie de football, une fête d’anniversaire, une journée à la mer, le quotidien d’un pays qui n’existera plus. Alors que Hala, l’une des protagonistes de cette série, regardait les photos qu’Alexis Cordesse avait collectées, une séquence d’un film de Pedro Almodóvar lui est revenue : un fondu enchaîné dans lequel les images d’un présent recouvrent celles d’un souvenir d’enfance. Le photographe lui demande si elle connaît un mot en arabe pour traduire cette impression d’effacement par les images. Hala lui propose talashi, qui se traduit par fragmentation, érosion, disparition. Là où la vie a disparu, Alexis Cordesse a cherché à la faire renaître.

Par Sabyl Ghoussoub

Né à Paris en 1988 dans une famille libanaise, Sabyl Ghoussoub est un écrivain, chroniqueur et commissaire d’exposition. Son deuxième roman Beyrouth entre parenthèses est sorti aux éditions de l’Antilope en août 2020.

Talashi, Alexis Cordesse, Atelier EXB / Éditions Xavier Barral, 35€.

© Alexis Cordesse
© Alexis Cordesse
© Alexis Cordesse

Ne manquez pas les dernières actualités photographiques, inscrivez-vous à la newsletter de Blind.