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Ciel bleu, soleil, et kilomètres de sable blanc

Ciel bleu, soleil, et kilomètres de sable blanc

« Je n’ai jamais voulu être le même genre de photographe que celui qui est venu pour ma Bar Mitzvah, le type qui veut plaire à tout le monde. J’aurais souhaité que ce soit Diane Arbus qui prenne des photos de ma Bar Mitzvah », dit le photographe juif américain Godlis, en souvenir du voyage en Floride de 1974 qui a changé sa vie – et dont les photos viennent d’être publiées dans un nouvel ouvrage, Godlis : Miami.
Théâtre yiddish, Washington Avenue © Godlis

À 22 ans, ce natif de New York, qui étudie alors à l’école de photographie Imageworks à East Cambridge, dans le Massachusetts, s’immerge totalement dans le travail de Diane Arbus, Lee Friedlander, Robert Frank et Garry Winogrand. Mais comme tout néophyte, Godlis aspire à développer sa propre vision et son propre style.

Bien avant la déliquescence de Miami Beach, puis sa renaissance, cette station balnéaire accueille ainsi des Juifs qui ont décidé de passer leurs vieux jours au soleil. Lui qui a grandi à Long Island, Godlis se souvient bien des hivers passés dans le sud dans les années 1950 et au début des années 1960, une expérience qu’il décrit comme une sorte de « Disneyland juif ». À la retraite, son grand-père a acheté plusieurs appartements dans le même immeuble pour que les membres de la famille puissent y séjourner aussi longtemps qu’ils le souhaitent.

Ombre, Lower Ocean Drive © Godlis
Commander chez Wolfie’s, Collins Avenue © Godlis

Et c’est ce qu’ils font. Godlis se souvient d’un appel téléphone de sa mère à la compagnie aérienne pour annuler leur vol et rester à Miami Beach un peu plus longtemps. Pour l’enfant qu’il est, l’enclave yiddish représente l’évasion parfaite, avec son mélange caractéristique d’épiceries fines – Wolfie’s et The Rascal Housse -, de pistes de course pour chiens et de quais. « Mon grand-père m’emmenait dans son Oldsmobile, et nous allions jusqu’à un pont pour pêcher », se raconte t-il. « Je me rappelle avoir eu un petit appareil photo qui avait probablement coûté un dollar dans un des magasins de Lincoln Road. Je prenais des clichés épouvantables, mais c’était avec mon appareil ! »

Après le décès du grand-père de Godlis, la famille décide de se rendre à Miami Beach pour envisager la meilleure façon d’aider sa grand-mère dans ce changement de vie. « Je n’y étais pas allé depuis plusieurs années, et j’ai décidé de me joindre à la famille », dit-il se souvenant de ce voyage de janvier 1974. « Je me disais que ce serait un endroit parfait pour faire des photos. Le livre de Diane Arbus était sorti en 1972, et si je ne connaissais pas de monstres de cirque, je connaissais des vieux Juifs. Cela m’a fait comprendre son travail car je pouvais moi-même faire pareil. J’ai compris que j’allais photographier des gens qui me ressemblaient. »

Femme près du Bass Museum © Godlis
Assis dans l’océan, Ocean Drive © Godlis

Godlis débute sa promenade quotidienne sur Lincoln Road, le lieu de ses souvenirs de jeunesse, chinant dans les boutiques à touristes à la recherche de curiosités sur le thème de l’alligator. Puis il continue sur Ocean Drive. Sur fond d’hôtels art déco, les retraités s’ébrouent comme des oiseaux de paradis, en tenues de plage fantaisistes et chevelure bouffante, prêts pour une journée de canasta à l’ombre des palmiers. Leur personnalité quelque peu théâtrale s’accorde à leur style flamboyant. Ils accueillent Godlis, jeune célibataire, comme les Hébreux recueillant la manne dans le désert. « J’ai touché le gros lot », se souvient-il. « J’y suis resté une dizaine de jours et j’ai utilisé 60 rouleaux de pellicule. Je marchais sur la plage et tout le monde me demandait : “Vous restez combien de temps ? Il faut que je vous présente ma petite-fille !” »

À l’aise dans un milieu qu’il connaît bien, Godlis engage facilement la conversation avec les personnes rencontrées en chemin. « C’était comme si elles me faisaient entrer dans leur salon, mais elles étaient assises sur la plage », dit-il. « Les femmes étaient toutes habillées, coiffées et maquillées, prêtes pour un gros plan. Je me souviens d’avoir photographié l’une d’elles sur la plage. Elle demandait : “Pourquoi me prenez-vous en photo ?”, mais ce qu’elle voulait vraiment dire, c’était : “S’il vous plaît, prenez-moi en photo !” »

Femmes sous le soleil, Lummus Park © Godlis

« Je connais les femmes juives. Il y en a qui sont dures comme la pierre et d’autres très gentilles. Certaines vous font un signe de la main, d’autres se raidissent pour la photo. La photo des deux femmes aux coiffures apprêtées me rappelle celle des jumelles de Diane Arbus. Je me souviens m’être dit: Ouah ! Regarde ce que tu as devant toi. Ne la gâche pas ! »

De retour à Imageworks, Godlis développe les films et tire des planches contact. Les étudiants sont réunis pour confronter leurs travaux et ils reconnaissent rapidement qu’en seulement deux semaines, Godlis a accompli quelque chose de particulier. « Ils m’ont demandé comment j’avais obtenu ces photos, mais je ne savais que répondre. Tout à coup, je n’étais plus le type qui essayait de prendre de bonnes photos. D’une façon ou d’une autre, j’avais compris », raconte le photographe.

Vue sur la maison, près d’Alton Road © Godlis

« Un truc que Winogrand m’avait mis en tête : se concentrer sur ce qu’il y a dans le viseur. C’était ma stratégie, retransrire sur ce que mes yeux voyaient. J’appuyais sur l’obturateur que je sentais que c’était bon, tout simplement, sans inquiétude. Au final, j’ai hérité de nombreuses bonnes images. Je ne sais pas si je pourrais aller là-bas maintenant et refaire la même chose en dix jours. »

En harmonie avec les siens, Godlis va se libérer et enfin réaliser le style de photos dont il rêve depuis toujours. En s’autorisant à être pleinement présent, sans autre intention que de photographier, Godlis apprends alors à faire confiance à son instinct et trouve rapidement une base sur laquelle construire son style.

Cadillac, près d’Alton Road © Godlis

Deux ans plus tard, à New York, Godlis applique la même méthode lorsqu’il commence à photographier la scène punk naissante au CBGB sur Bowery. « J’ai simplement continué dans cette voie. Ces photos étaient tellement simples et personnelles que, pendant plusieurs années, j’ai pensé que, faites si facilement, elles ne devaient pas être bonnes. Il m’a fallu du temps pour réaliser que j’avais vraiment fait quelque chose ici », explique le photographe. « Le voyage à Miami m’a ouvert les yeux. C’était comme perdre ma virginité. Je n’ai alors jamais cessé de suivre la voie dans laquelle je m’étais retrouvé. Peut-être que rien n’est aussi mystérieux qu’on le croit. Je n’ai pas eu besoin de chercher des sujets à photographier. Ils étaient là, devant moi. »

Par Miss Rosen

Miss Rosen est journaliste. Basée à New York, elle écrit à propos de l’art, la photographie et la culture. Son travail a été publié dans des livres et des magazines, notamment Time, Vogue, Artsy, Aperture, Dazed et Vice.

Godlis : Miami est publié par Reel Art Press, 39,95 $.

Manifestante pour la destitution de Nixon, Lincoln Road Mall © Godlis
Place de parking derrière Collins Avenue © Godlis
Vue d’angle sur Collins Avenue © Godlis

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