Blind Magazine : photography at first sight
Photography at first sight
Rechercher
Fermer ce champ de recherche.
Pietro Pietromarchi, de charbons et fumées

Pietro Pietromarchi, de charbons et fumées

De l’Erythrée au Sri Lanka, des Carpates à la Patagonie ou au Zimbabwe, et jusqu’aux confins du désert de Gobi, le photographe italien Pietro Pietromarchi a parcouru le monde pour saisir les derniers souffles d’une espèce en voie d’extinction : celle des trains à vapeur.

Pietro Pietromarchi poursuit une émotion. Celle de l’enfant de cinq ans qui, se promenant avec sa mère dans les Dolomites, entend résonner la sonnerie du passage à niveau et voit jaillir de la forêt « une bête écumante qui hurle à travers les sapins » et dont le chauffeur lui fait, au passage, un salut de la main. À l’âge de neuf ans, lorsqu’on lui offre un Instamatic Kodak, il retourne sur les lieux pour tenter d’immortaliser la scène : c’est sa première photographie. Cette image, prise en 1974, fait partie de la centaine de clichés

reproduits dans le livre Steam Power, qui rassemble une collection d’images de trains à vapeur. « Les locomotives à vapeur sont comme des êtres vivants », explique le photographe. « Il faut environ 8 heures pour les mettre en route et il n’y en a pas une pareille, chacune à sa personnalité, tous les cheminots vous le diront. »

C’est avec des images aux subtiles nuances de gris qu’il rend hommage à ces monstres de métal et les hommes qui les servent, ceux d’hier et ceux d’aujourd’hui. « J’ai pris conscience de la disparition imminente des trains à vapeur et j’ai alors consacré tout mon temps libre à aller les photographier, dans des lieux souvent improbables et difficilement accessibles », précise Pietro Pietromarchi.

À l’occasion de la parution de son livre Steam Power (Editions Lienart), il raconte pour Blind 8 de ses photographies.

Roumanie (2019)

Leaving Viseu de Sus – Maramures County, Romania, February 2019 © Pietro Pietromarchi

La neige tombe à gros flocons ce matin de février sur Vișeu de Sus, petite ville roumaine située au nord des Carpates. Ici passe encore le « Mocanitza » (train des forestiers), l’un des derniers trains à vapeur d’Europe à voie étroite (écartement 760 mm). La visibilité est basse lorsque le convoi tiré par la locomotive numérotée 764 469 datant de 1955 quitte la gare pour remonter la vallée et ses infinies forêts, entre 700 et 1500 mètres d’altitude. Nous voyagerons toute la journée dans un vent glacé pour couvrir la distance jusqu’à Valea Babii.

Pologne (2017)

The Wolsztyn-Leszno No. 77212 Train – Greater Poland Voivodeship, November 2017 © Pietro Pietromarchi

Avec deux amis passionnés, nous nous sommes donnés rendez-vous en novembre à Wolsztyn, dans la Région de la Voïvodie. Nous avons précautionneusement analysé les horaires ferroviaires pour bien comprendre le sens de circulation des trains et anticiper leur direction par rapport au soleil, afin de maximiser nos chances de réussir nos photos.

Le premier jour nous sommes partis en chasse du convoi n° 77212 de Wolsztyn à Leszno. Une belle locomotive à vapeur série OI49 numéro 59 s’apprête au départ à 10h49 avec ses 2 voitures passagers, presque vides. Nous photographions le train en gare puis nous le suivons en voiture tout au long de son parcours dans une course folle : il faut trouver le bon endroit, photographier son passage et repartir en trombe pour le doubler, alors que le train file à toute allure !

Zimbabwe (2017)

Loco driver – Thomson Junction, Zimbabwe, July 2017 © Pietro Pietromarchi

La Hwange Colliery est la plus grande mine de charbon à ciel ouvert du Zimbabwe et la pollution est pire que dans toutes les autres régions minières où je me suis rendu. En 2017 y circule encore la dernière locomotive à vapeur de tout le continent africain, une Garratt classe 16A 611 (2-8-2+2-8-2) de 1953 : un engin exceptionnel, capable de tracter de lourds convois sur des voies étroites et sinueuses. Après les quelques jours passés sur place j’ai du jeter tous mes vêtements et mes chaussures, tant ils étaient incrustés de crasses nocives en tout genres. Quand à mon fidèle Hasselblad, il a eu droit à un nettoyage radical !

Erythrée (2018)

Brake Guard – Asmara, Central Region, Eritrea, October 2018 © Pietro Pietromarchi

Classée au patrimoine mondial de l’Humanité par l’Unesco, Asmara est une ville fascinante. Située 2325 mètres d’altitude, cette ancienne capitale de l’Erythrée lors de la colonisation italienne garde de nombreux témoignages architecturaux de cette période : le Bar Vittoria où même les touches de la caisse sont encore en Lire, le fabuleux Cinema Impero, la Farmacia Centrale ou encore le Fiat Tagliero, station service parée d’ailes géantes suspendues en béton armé… Fin 2018, circulaient encore à l’occasion cinq locomotives à vapeur italiennes construites entre les années 1910 et 1930 sur la ligne Asmara-Nefasit, qui traverse de fabuleux paysages de montagne.

Myanmar (2017)

Sunset near Zin Kyaik – Mon State, Myanmar, January 2017 © Pietro Pietromarchi

En janvier 2017, j’arrive juste à temps à Bago, au Myanmar, ex-Birmanie, pour suivre la cérémonie de bénédiction de trois locomotives à vapeur. C’est un événement important car elles sont remises en service après la totale disparition du réseau de ce type de machine, en 2008. Le quai est décoré des paniers de fleurs, de fruits et des bougies ont été allumés dans les cabines. Cinq moines bouddhistes prient pendant plus de deux heures. Peut-être est-ce grâce à ces prières que tout se passera bien les jours suivants : après dix ans, les cheminots ont retrouvé leurs gestes !

Sri Lanka (2018)

Titre de la photo : Through the Mountain. Central Province, Sri Lanka, February 2018 © Pietro Pietromarchi

Les « Sri Lanka Railways », gèrent un réseau ferroviaire d’environ 1500 km dont la particularité est son écartement à voie large (1,676 mm). Comme le réseau est resté inchangé depuis l’indépendance, ce musée à ciel ouvert est le seul exemple au monde de voie large de l’époque Victorienne encore dans son état d’origine !

La construction de la première ligne de chemin de fer reliant le port de Colombo et la ville de Kandy (Central Province), où se développaient massivement des cultures intensives de café puis de thé, débuta en 1845. La « Ceylon Government Railways » travailla sans relâche, beaucoup de vies humaines furent sacrifiés en raison des dures conditions de travail, dans une jungle impénétrable où il a fallu creuser des passages dans la roche. Finalement le premier train entra dans la gare de Kandy en avril 1867.

Chine (2014)

Sunset – Xinjiang Uighur Autonomous Region, People’s Republic of China, December 2017 © Pietro Pietromarchi

La ville de Sandaoling, en Chine, est située dans la Région Autonome Ouïgoure du Xinjiang. L’exploitation du charbon dans des mines souterraines et à ciel ouvert rend l’air difficilement respirable. Immeubles, arbres, voitures… Tout est recouvert d’une fine couche de poussière noire, qui colle aux vêtements et à la peau. Grâce à l’aide d’un « fixeur », je rejoins à l’aube Dongbolizhan et monte dans un wagon de marchandises où les mineurs de l’équipe de jour se réchauffent autour d’un poêle. Le convoi s’ébranle dans un vent glacial, tiré par une locomotive série JS (Jian She) datant des années 1980. Nous traversons des paysages désolés, dépourvus de toute végétation comme de toute autre forme de vie et parsemés de terrils, d’où s’échappent des fumées de combustion. La température, glaciale, ne dépassera pas 0 degré.

Argentine (2019)

Mamuel Choique Station – Rio Negro Province, Patagonia, Argentina, August 2019 © Pietro Pietromarchi

La Patagonie hante mes rêve depuis l’âge de 18 ans, lorsque j’ai lu En Patagonie de Bruce Chatwin. Après un premier voyage en 1989, j’y retourne en 2019 pour photographier les trains à vapeur circulant sur la « Trochita », la voie étroite de 750mm, construite au début du XXe et devenue mythique. L’exploitation ferroviaire a cessé depuis 1992, et quelques rares voyages à vocation touristique sont organisés. Peu importe, c’est un régal, car tout est dans son jus : les gares et tout le matériel roulant ont été miraculeusement préservés ! Nous parcourrons ce jour-là 127 km, dans des décors somptueux de désolation infinie. Nous faisons étape au kilomètre 83, dans la petite gare du village de Manuel Choique, où j’ai pris cette photo.

Pietro Pietromarchi, Steam Power. Exposition du 2 décembre 2021 au 15 janvier 2022 – Galerie Minsky, 37 rue Vaneau, 75007 Paris. Livre paru le 2 décembre 2021, aux Editions Lienart, 35€.

Ne manquez pas les dernières actualités photographiques, inscrivez-vous à la newsletter de Blind.