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Jouer dans la rue avec les enfants de Mea Shearim

Jouer dans la rue avec les enfants de Mea Shearim

En plein cœur de l’un des pays les plus avancés technologiquement, vit une communauté qui défie le temps et l’espace. Les habitants de Mea Shearim résistent aux normes du monde du 21e siècle. Cette communauté isolée a inventé ses propres règles. Je me suis retrouvée à documenter de « grands » enfants et de « jeunes » adultes, comme si les adultes étaient piégés dans des corps d’enfants. Étrangère, femme et photographe, je ne pouvais ni me cacher ni me fondre dans cet environnement. Je craignais de me faire remarquer, et l’appareil photo fut mon seul lien avec le monde extérieur. Au départ, mon questionnement portait sur ce qu’est la « normalité » et qui était concerné par ce mot.
© Ofir Berman

La série de photos « Children of Mea Shearim » capture la vie quotidienne des enfants de Mea Shearim, quartier ultra-orthodoxe situé au centre de Jérusalem, à quelques pas du bouillonnant centre-ville.

Ce vieux quartier a été construit en 1874 et il abrite de nombreux groupes religieux ultra-orthodoxes qui ont choisi une vie de réclusion et de ségrégation, la plupart d’entre eux appartenant au mouvement Neturei Karta, qui est peut-être le plus célèbre des groupes ultra-orthodoxes, connu pour son antisionisme. Ici, ils peuvent vivre selon leur foi et leur culture, se réaliser selon des valeurs primordiales à leurs yeux, et élever leurs enfants comme bon leur semble. L’éducation est un moyen de transmission de leurs valeurs, de génération en génération. Les enfants passent la majeure partie de la journée dans des établissements d’enseignement religieux sans aucun contact avec des méthodes modernes ou des professeurs « laïcs ».

© Ofir Berman
© Ofir Berman

En marchant dans ce quartier, j’oublie que je suis dans mon propre pays. Un mode de vie extraordinaire, qui se déroule au cœur de la permissivité et de l’avancée technologique du 21e siècle, se révèle à moi. L’appareil photo me permet de m’approcher, d’observer et de renouer avec cet environnement étrange qui me donne l’impression de voyager dans le temps. Soudain, je me retrouve face aux courants les plus sombres du judaïsme.

Le commandement de procréer (וַיְבָרֶ†אֹתָם†אֱלֹהִים†וַיֹּאמֶר†לָהֶם†אֱלֹהִים†פְּרוּ†וּרְבוּ״†”) est la première mitzvah écrite dans la Torah. Et il n’y a aucun doute que les habitants de Mea Shearim, pratiquent cette mitzvah. Chaque famille compte au moins 8 à 10 enfants, il est donc normal que l’aîné soit responsable de tous ses jeunes frères et sœurs, même s’il n’est encore qu’un enfant. Je suis toujours étonnée quand je vois une fillette de 7 ans conduire son petit frère en poussette dans le quartier, tout naturellement.

© Ofir Berman
© Ofir Berman

Entre les rues étroites construites en pierre de Jérusalem – utilisée depuis les temps anciens -, les enfants courent tout le temps et partout, avec cette lueur étrange dans les yeux, et avec la force de la foi qui les protège de là-haut. Quand nos regards se croisent, la curiosité et la peur soudain se font jour. Si je leur demandais « Qui es-tu ? ». Je suis presque sûre qu’ils répondraient : « nous sommes ce que nous croyons ». Dieu est d’abord et avant tout, Dieu est omnipotent. « Baruch Ata Adonai Eloheinu, Melekh Ha’olam » (« Béni sois-tu, ô Seigneur, notre Dieu, Roi de l’univers »). Il n’est pas surprenant que, dès sa naissance, sa vie tourne autour des prières, des textes sacrés, des lois juives, des traditions et de l’étude de la Torah.

Comme chaque année, pendant les fêtes juives, la ville s’anime. Marcher dans la rue principale c’est comme participer à une parade ou rendre visite à un vieux théâtre de rue, où chaque fête s’affiche dans toute sa gloire et ses couleurs. Pour la fête de Pourim, par exemple, les enfants sont déguisés dans des costumes traditionnels colorés, généralement en personnages de la Torah, comme le roi David ou le Grand Prêtre. Des alternatives casher à Dora, Mickey Mouse ou Anna et Elsa. Certains aiment jouer à la toupie, manger des sucreries ou chanter. Et pendant que je photographie tout ce qui se passe autour de moi, soudain, une odeur de fumée me surprend.  Je remarque un groupe d’enfants, de tous âges, qui prennent quelques bouffées d’une cigarette, puis la font tourner. Cette tradition fait l’objet de nombreuses critiques, comme on pourrait s’y attendre, tout comme le rituel d’« expiation » (une pratique qui consiste à agiter un poulet au-dessus de la tête d’une personne, puis de l’abattre conformément aux règles halakhiques) qui continue d’être pratiqué dans le quartier chaque année, bien qu’il ait été interdit par la loi israélienne il y a longtemps.

© Ofir Berman
© Ofir Berman

Les particularités du quartier attirent les groupes de visiteurs et de touristes. Ces intrusions provoquent parfois des frictions entre visiteurs et certains résidents, qui s’opposent surtout à l’entrée de femmes portant des vêtements perçus par eux comme impudiques.

En pénétrant dans le quartier, il est impossible de ne pas remarquer les grandes affiches appelant les visiteurs à respecter un code vestimentaire strict, aux instructions on ne peut plus claires. Pour moi, ce moment est toujours un moment d’incertitude. Je jette généralement un rapide coup d’œil alentour en me demandant : « Ma tenue est-elle assez discrète ? ». Il est important de suivre les directives, croyez-moi. Les femmes et les jeunes filles doivent porter une robe ou une jupe descendant sous le genou, des vêtements couvrant les épaules et le décolleté, et des manches sous les coudes. Les femmes mariées se rasent la tête qu’elles couvrent d’une perruque, de foulards ou de chapeaux. Les hommes et les garçons portent une redingote noire, une chemise blanche et un grand chapeau noir. Avec leurs vêtements et leurs coutumes, ils perpétuent une tradition pratiquée dans les communautés d’Europe de l’Est il y a quelques centaines d’années.

© Ofir Berman
© Ofir Berman

Quelque chose d’addictif et de surprenant me donne envie d’y retourner encore et encore. Afin de ne rater aucun détail. Documenter la jeune génération ultra-orthodoxe dans son environnement naturel me donne l’impression de créer une fiction.

Par Ofir Berman

Ofir Berman est une photographe documentaire actuellement basée à Tel Aviv, en Israël. Elle se concentre sur des sujets humanitaires, culturels et sociaux.

Pour plus d’informations sur le travail d’Ofir Berman, rendez-vous sur son site ou son Instagram.

© Ofir Berman

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