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Debmalya Roy Choudhuri, la photographie comme retour à la vie

Debmalya Roy Choudhuri, la photographie comme retour à la vie

À travers sa série, « Fragments of The Dying Man », le photographe indien Debmalya Roy Choudhuri exorcise les malheurs de son existence et nous offre un recueil photographique intime et poétique.
De la série « Fragments of The Dying Man » © Debmalya Roy Choudhuri

Né en 1992 en Inde, Debmalya Roy Choudhuri est très vite confronté aux difficultés. A l’âge de 17 ans, on lui diagnostique la turberculose – maladie infectieuse qui touche bien souvent les poumons et peut être mortelle si elle n’est pas traitée. Alors qu’il entame un traitement afin de lutter contre la maladie, il est confronté à une angoisse sourde qui le mène à se renfermer sur lui-même. C’est à cette période charnière que la photographie s’impose à lui comme il l’explique : «  La photographie s’est imposée à moi comme une nécessité, celle de me défendre face à la maladie.(…) Trop d’angoisse mène bien souvent à une certaine forme d’isolement qui peut vous conduire aux portes de la folie. Cela vous rend encore plus vulnérable et vous pouvez prendre des décisions regrettables. La photographie fut un outil efficace pour donner un sens à ce qui m’arrivait et ce qui m’entourait ». 

Une fois guéri, de retour au collège et chez lui, à Calcutta, Debmalya Roy Choudhuri ne va guère mieux. Les relations avec sa famille se tendent. Ses parents, de classe moyenne inférieure, ont également leur lot de blessures intimes. À l’aube de l’âge adulte, Debmalya Roy Choudhuri cherche à fuir cette situation en évitant le foyer familial. À ce stade de sa vie, la photographie n’est alors qu’un « journal intime » selon lui. Jusqu’au jour où, quelques années plus tard, son petit ami se suicide. La douleur de sa disparition surpasse toutes ses blessures et s’accompagne d’une prise de conscience : « Ce n’est qu’à partir de là que j’ai commencé à comprendre ce que cela signifie d’être là – dans ce monde, à ce moment précis – et comment la photographie serait mon échappatoire. La photographie c’est se perdre et s’abandonner et à travers cette démarche, se retrouver ». La photographie agit alors comme un instrument de guérison. En lui offrant un miroir où se découvrir et se révéler, elle donne un sens à sa vie. Un élan vital pour échapper à la mélancolie et la promesse de s’acheminer toujours vers un peu plus de liberté. Celle-ci a ainsi trouvé toute sa place suite à la perte de son amant suivie de son expatriation aux Etats-Unis, à New York.

De la série « Fragments of The Dying Man » © Debmalya Roy Choudhuri
De la série « Fragments of The Dying Man » © Debmalya Roy Choudhuri

Perdu et sans repère, Debmalya Roy Choudhuri fait du couchsurfing aux alentours de New York et dans les états voisins chez des inconnus rencontrés sur le web qu’il photographie. Il décide alors de faire de ces expériences une démarche artistique « J’ai rapidement voulu étendre cette logique et l’incorporer dans ce jeu consistant à photographier des personnes, parfois plus d’une fois, si je peux les rencontrer à nouveau, dans leurs moments de vulnérabilité et d’honnêteté, principalement dans leurs espaces. Au fil du temps, j’ai commencé à construire ce jeu d’une manière qui parle de différentes identités en relation avec mon propre moi queer. Certaines personnes m’autorisaient à rester et je leur proposais de les photographier en échange. » Cette expérience de l’altérité le mène à s’interroger sur son homosexualité et la place de celle-ci dans les sociétés indienne dont il est issu et américaine où il évolue. Discrète voire dissimulée dans la société indienne, elle est surreprésentée dans l’américaine, trahissant selon lui les conséquences des mêmes carcans sociétaux, où la blancheur et l’hétérosexualité sont la norme, et où tout ce qui s’en éloigne est de facto relayé à un rang inférieur. À ceci s’ajoute que le langage, de par son ambition de désigner, catégorise, et réduit la complexité des êtres à travers leur désignation : le terme « queer », n’échappe pas à cette règle. Désireux de se libérer de ce double joug, Debmalya Roy Choudhuri entend, par son travail photographique – parce que la photo décrit la réalité avec plus d’authenticité -, remettre chacun au centre, dans sa singularité et son unicité afin que chacun se réapproprie son corps et son identité. Et il revendique sa « queerness » non pas comme la promotion de sa sexualité mais comme une ouverture d’esprit et une prise en compte de l’importance de chacun dans son individualité.

De la série « Fragments of The Dying Man » © Debmalya Roy Choudhuri
De la série « Fragments of The Dying Man » © Debmalya Roy Choudhuri

Entre promiscuité et intimité, Debmalya Roy Choudhuri capte la fragilité et la sensualité d’inconnus qui s’abandonnent et se mettent à nu sous son objectif, dans l’intimité de leur appartement ou en extérieur. Il y a cet homme androgyne, brun, à la coupe carrée qui semble se perdre dans les méandres d’un haut en résille épaisse pour finir nu sur une chaise, les yeux mi-clos laissant apparaître uniquement le blanc, comme dans un état intermédiaire entre la vie et la mort  – « The dying man » ? – ou une transe. Transe parce qu’au travers des clichés de Debmalya Roy Choudhuri, les corps dansent comme pour échapper à la mélancolie ou célébrer la beauté d’une existence fragile. Que ce soit la silhouette floue d’une femme de dos en string dans une atmosphère vibrante de paillettes, Debmalya lui même qui semble se livrer à des mouvements rituels sous un arbre mais surtout, tous ces corps frémissants qui apparaissent en clair obscur derrière des voiles blancs transparents.

Le voile est le fil rouge qui relie tous ces anonymes à présent entrés dans l’intimité de Debmalya Roy Choudhuri. Vecteur d’apparition et de disparition, il cristallise les grandes dynamiques et questionnements qui traversent le photographe et son oeuvre : la conscience de la finitude de notre existence et la mort, le désir et la sensualité, source de vie. 

De la série « Fragments of The Dying Man » © Debmalya Roy Choudhuri
De la série « Fragments of The Dying Man » © Debmalya Roy Choudhuri
De la série « Fragments of The Dying Man » © Debmalya Roy Choudhuri

En contrepoint, des photographies de nature en figent la beauté de jour comme de nuit, au fil des saisons. La neige qui tombe se fait pluie de paillettes, les bourgeons des fleurs ressemblent à des clochettes d’argent et les bouquets d’aiguilles bleues d’un sapin forment comme un corail des abysses. Comme une douce ironie. Tandis que l’homme est parcouru par toutes ces émotions et se débat dans son existence alors qu’il court irrémédiablement à sa perte, la nature s’offre dans toute sa tranquillité et sa magie, éternelle.

Entre doute, tristesse et mélancolie, tous ces individus expriment une grande solitude qui fait écho à celle de Debmalya Roy Choudhuri. Uni à ses modèles à travers ce projet photographique où ils peuvent librement exprimer leurs états d’âmes, Debmalya Roy Choudhuri panse ses blessures. La photographie devient une promesse, celle d’un retour à la vie.

Par Marie d’Harcourt

Marie d’Harcourt est journaliste chez Blind Magazine, à Paris.

Série « Fragments of the Dying of Man » de Debmalya Roy Choudhuri.

De la série « Fragments of The Dying Man » © Debmalya Roy Choudhuri
De la série « Fragments of The Dying Man » © Debmalya Roy Choudhuri
De la série « Fragments of The Dying Man » © Debmalya Roy Choudhuri
De la série « Fragments of The Dying Man » © Debmalya Roy Choudhuri
De la série « Fragments of The Dying Man » © Debmalya Roy Choudhuri

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