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Les couvertures d'albums de musique: une révolution pop américaine

Les couvertures d’albums de musique: une révolution pop américaine

Un nouveau livre explore l’impact, sur l’Amérique de l’après-guerre, de musiques venues du monde entier, et leurs déclinaison en photographie.
Lester Lanin, Thoroughly Modern, 1968.

Avant l’arrivée d’Internet, des vidéos musicales et même des magazines de musique, les seules photographies que la plupart des gens pouvaient voir de leurs artistes préférés, se trouvaient sur les pochettes d’albums. Ces pochettes de 30x30cm servaient à tout : attirer votre attention, se démarquer du reste, transmettre une ambiance particulière et vous convaincre d’acheter un album dont vous n’aviez peut-être jamais entendu parler auparavant.

Bien avant que le rêve ne mette le monde entier à la portée de votre clavier, acheter de la musique était un engagement. Vous dépensiez de l’argent et passiez du temps à écouter l’album, comme une œuvre. Une fois l’aiguille posée sur le sillon, les musiciens vous accueillaient dans leur monde, et tout ce que vous aviez pour approfondir les choses se cantonnait à la couverture de l’album et, si vous aviez de la chance, quelques notes sur la pochette.

Tito Puente and His Orchestra, Let’s Cha Cha with Puente, photo by Murray Laden, 1957.
Don Swan and His Orchestra, Hot Cha Cha, cover design by Pate/Francis & Associates, photo by Garrett-Howard, shoes by Sydney – Hollywood, 1959.

Dans l’Amérique du milieu du siècle dernier, la musique de danse est à la mode, aussi bien que les disques utilisés pour faire entrer le calypso, la rumba, le merengue, le mambo, le hula, le tango, le limbo, le cha-cha-cha et de nombreuses autres danses traditionnelles dans les salons de tout le pays. Avec l’essor de la culture des jeunes dans l’après-guerre, les loisirs deviennent un élément central de la vie américaine. La danse est alors le moyen idéal de se détendre et d’entrer en contact avec d’autres personnes. Les interactions sociales s’assouplissent et la musique dansante crée l’espace idéal pour l’expression de soi, les romances et le boom culturel.

Dans le nouveau livre Designed for Dancing : How Midcentury Records Taught America to Dance (MIT Press), les auteurs Janet Borgerson et Jonathan Schrader revisitent cette époque emblématique de la vie américaine, où la photographie a joué un rôle essentiel dans l’évolution de la culture pop.

De la bohème à Main Street

Perez Prado Orchestra members, Mambo Jambo, photo by Ron Vogel, cover design by Charles Meggs, 1959.

« Les disques et leurs pochettes ont permis d’ouvrir des perspectives sur de nouveaux mondes à travers la musique, le mouvement et les visions romantiques », écrivent les auteurs. « En effet, l’industrie du disque a fourni des matériaux bruts pour la construction des identités du milieu du siècle, permettant aux consommateurs de faire savoir qui ils étaient à travers la musique qu’ils recherchaient, les disques qu’ils achetaient, écoutaient et diffusaient, et les rythmes sur lesquels ils dansaient. »

Tant la musique que les photographies occupent alors un espace unique dans les foyers américains, offrant des possibilités d’appropriation ou d’assimilation selon le point de vue. Après que les « race records » de musiciens noirs américains révolutionnaires tels que Duke Ellington et Ma Rainey se soient avérés très rentables, les labels appartenant à des Blancs élargissent leurs catalogues, faisant connaître la musique d’Amérique latine, des Caraïbes, du Brésil, du Moyen-Orient, d’Hawaï et de la Bohème.

Louis Martinelli and the Continentals, Latin Twist, photo by Joseph Tauber, cover design by Hobco Arts, cover model Irish McCulla, 1959.

« Danser les pas des autres crée l’espace et l’occasion d’une variété de relations : honneur, respect, désir, appropriation, subordination et mimétisme – parfois insultant – entre autres », écrivent les auteurs. « Toutes ces relations découlent d’une reconnaissance de la différence entre l’Autre, dont ce sont les pas, et le Soi qui mime ou imite. »

Des histoires à raconter

Ces questions persistent aujourd’hui, rendant Designed for Dancing d’autant plus clairvoyant sur le passé. L’esprit colonial, si répandu dans la vie des Américains blancs, voyait les cultures étrangères à travers le prisme de l’exotisme, transformant « l’autre » en une marchandise à la mode. Par exemple, le limbo, né d’un rite funéraire de la pratique Shango à Trinidad et Tobago au XIXe siècle, illustre la marche des Africains entravés pénétrant dans les entrailles des navires négriers.

Modern Square Dances, Diplomat DS 2609, c. 1963.
Don & Eddie, Rock and Roll Party, photo by L. Willinger -Shosta, cover design by James Takeda, 1961.

« L’histoire du limbo nous rappelle les difficultés à danser les pas des autres – ce qui se perd dans le désir de bouger comme les autres, et comment les danses évoluent en se popularisant », écrivent Janet Borgerson et Jonathan Schrader. « Au sommet de l’engouement pour le limbo, on trouve Wham-O, la société à l’origine du hula hoop et du frisbee, qui a lancé le Limbo Game, comprenant une barre et un support de limbo, un disque 45 tours de limbo et des instructions basiques. La dernière tendance des Caraïbes est arrivée, annonçait-elle, offrant une nouvelle étape dans le processus de marchandisation de la tradition vers le divertissement. »

Dans le même temps, les disques pour danser – et les photographies figurant sur les pochettes de ces albums – offrent aux immigrants et à leurs enfants un moyen de célébrer leur patrimoine. Les tendances musicales, suivant les routes d’immigration des nouveaux venus d’Amérique latine et des Caraïbes, font des États-Unis leur nouveau territoire. Simultanément, avec le Mouvement pour les droits civiques visant à mettre fin à la ségrégation, l’Amérique blanche découvre les « race records » et transforme des chansons comme « Hound Dog » de Big Mama Thornton en rock and roll.

Limbo from Trinidad, design by Lee – Myles Assoc., cover photograph of the Julia Edwards Dance Group by Paul Rupp, 1963.

Grâce aux pochettes d’albums, la photographie joue ainsi un rôle essentiel dans la réception de la musique, contribuant non seulement à la vente de disques, mais aussi à l’établissement de liens interculturels qui n’auraient peut-être pas pris racine autrement. « Dans certains cas, les femmes photographiées sur les pochettes d’albums de danse des années 50-60 ne sont pas de simples mannequins. Par exemple, la célèbre interprète turque Nejla Ates apparaît en tenue de danse du ventre sur Dabkie : Exotic Dances of the Middle East. L’album latinos Rockin’ Cha met en scène Margo Rodriguez, une célèbre danseuse de mambo du Palladium Ballroom… Elles aussi ont des histoires à raconter. »

Par Miss Rosen

Miss Rosen est journaliste. Basée à New York, elle écrit à propos de l’art, la photographie et la culture. Son travail a été publié dans des livres et des magazines, notamment Time, Vogue, Artsy, Aperture, Dazed et Vice.

Designed for Dancing : How Midcentury Records Taught America to Dance est publié par MIT Press, 39,95 $.

James Brown, The Popcorn, cover design by Dan Quest Studios, photo by Mahew Studios, 1969.
Del Courtney Plays for Dancing Til Daybreak, women’ fashions on cover by Ohrbach’s, 1958.
Paul Griffin, Pours on Some Soul Sauce, cover design by Chic Laganella, 1968.
Mongo Santamaria, La Bamba, photo by Horn/Griner, 1965.

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