
Cent ans après la publication de How the Other Half Lives: Studies among the Tenements of New York du photographe Jacob Riis – un portrait déchirant de la pauvreté urbaine -, Jim Goldberg fait la rencontre d’enfants sans-abri, livrés à eux-mêmes, dans les rues de Los Angeles et de San Francisco. De 1985 à 1995, il témoigne alors de la réalité chaotique de leur vie à travers une série de photographies, d’extraits de conversation, de notes manuscrites, de dessins, de clichés et de rebuts de la vie quotidienne. C’est cet ensemble qui constitue Raised by Wolves, un « déchirant roman en images » comme le qualifie le Washington Post.
Quoique charismatiques, les jeunes protagonistes Tweaky Dave et Echo, ont une personnalité troublée, et leur histoire, leurs rêves nous prennent littéralement à la gorge. A ceux dont l’existence a été tour à tour vilipendée, marginalisée ou oubliée, Goldberg restitue, grâce à son travail, une humanité que la dépendance, la violence et les mauvais traitements leur avaient ôtée.

A mi-chemin entre le documentaire et la fiction narrative, Raised by Wolves transforme le rôle de la photographie. Mythe, histoire et identité interagissent sans cesse dans ce travail : les personnages sont réels, leur situation désastreuse, mais leurs histoires contiennent des semi-vérités et des mensonges reflétant ce qu’ils désirent ou ont besoin de croire. Ses parents, de bons chrétiens, Tweeky Dave les décrit, l’une comme une garce de junkie, l’autre comme un motard tout droit sorti de l’enfer – et nous réalisons que cette représentation erronée semble pourtant convenir à un couple qui finira par tourner le dos à son fils mourant.

Une plongée dans le passé
Raised by Wolves sera rapidement épuisé. En 2016, Goldberg publie un bootleg, et les deux éditions se vendent à présent des centaines de dollars, ce qui montre bien l’impact et l’influence de son travail. Alors cette année, Goldberg a revisité ses archives et réalisé Fingerprint (Stanley / Barker Books), un coffret en édition limitée de 45 fac-similés de Polaroids constituant le travail préparatoire à Raised by Wolves.
Ici, la photographie devient un espace de collaboration où les personnages se racontent avec leurs propres mots. « Aller au Texas pour sauver ma peau. Changer mes habitudes. Trop triste [sic] que j’aie dû quitter San Francisco », écrit une adolescente à l’encre rouge, ses mots encadrant une photo d’elle debout devant un mur de briques, regardant l’objectif avec le demi-sourire de quelqu’un qui connaît la vie. Puis elle ajoute à l’encre bleue: « Vous aimeriez bien être aussi beaux. »


Goldberg considère Raised by Wolves comme le volet central d’une trilogie, le premier étant sa monographie phare Rich and Poor – dont une sélection a été montrée en 1984 à l’exposition Three Americans au Museum of Modern Art, aux côtés de travaux de Robert Adams et Joel Sternfeld –, tandis que le troisième, Candy, a été présenté en 2017 à la Yale University Art Gallery.
« Les trois livres parlent du lieu où j’ai grandi et de la manière dont j’ai grandi. Ils sont liés par les mêmes thèmes – la race, la classe sociale, l’âge, l’amour, le plaisir, la trahison », confie Goldberg dans un article publié par Magnum Photos. « Je voulais observer ces gens qui étaient des marginaux, j’avais l’impression d’en être un moi aussi. »

Par Miss Rosen
Miss Rosen est journaliste spécialisée en art, photographie et culture, et vit à New York. Ses écrits ont été publiés dans des livres, des magazines et des sites web, dont Time, Vogue, Artsy, Aperture, Dazed et Vice, entre autres.


Jim Goldberg, Fingerprints
Publié par Stanley / Barker Books
£45
Livre disponible ici.