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Aux pays des brumes

L’Europe est-elle encore le foyer de populations indigènes, spirituelles, proches de la nature ? Avec leur projet, Aux Pays des Brumes (film et livre), Sophie Planque et Jérémy Vaugeois mettent en avant cet héritage culturel Européen en lien avec la nature.

« Existe-t-il encore des populations autochtones locales en Europe ? »

Sophie Planque et Jérémy Vaugeois

C’est à l’issue d’un voyage à vélo de deux ans et demi en Amérique, du nord de  l’Alaska au sud de la Patagonie, que Sophie Planque et Jérémy Vaugeois se posent cette question. Au cours de cette traversée du continent, les deux explorateurs échangent avec certaines des populations autochtones locales, proches de la nature. 

Inuit, Indien d’Amérique, population autochtone d’Amazonie : « Lorsque l’on parle de communautés autochtones, on pense généralement à l’Amérique ou à l’Asie. Peu de gens connaissent l’existence de ces communautés en Europe », explique la photographe, réalisatrice et journaliste, Sophie Planque. Certains ont peut-être entendu parler des Samis, cette communauté d’éleveurs de rennes présente en Laponie, mais les indigènes Baltes restent un mystère pour beaucoup. 

Affiche du film documentaire

Un héritage culturel Européen

Dernière région christianisée d’Europe, entre le XII et le XVème siècle suivant les sources, les pays Baltes ont gardé leur culture d’antan. Les « légendes se sont perpétuées », à l’oral principalement, selon Jérémy Vaugeois, aventurier, photographe et droniste français. Pour autant, sous l’URSS, cette culture est muselée, étouffée, cachée. Elle n’a plus sa place dans les pays Baltes. Elle ne connaîtra un regain d’intérêt et un renouveau avec la chute de l’Union Soviétique.

« La spiritualité est très présente dans leur culture. Ils ont une approche animiste du monde », explique le duo d’aventuriers. Le vivant (humains, animaux, plantes, champignons, etc.) et le non-vivant (objet, pierre, l’eau, etc.) sont mis sur un pied d’égalité. En découle une vision particulière du monde et de l’usage que l’on en fait.

Cette culture indigène d’Europe pousse à considérer la nature avec l’esprit, de considérer qu’elle à un esprit, et non comme une simple ressource. La Terre et les éléments qui la composent sont « des êtres à part entière ». En découle une vie en accord avec les saisons, où les gens fêtent les solstices et équinoxes, plus qu’ailleurs en Europe.

« Ils ne vont pas à l’église. Pas tous », précise l’explorateur. « Ils n’en ont pas besoin, la nature étant déjà un lieu sacré. » Pour se recueillir, un arbre, un rocher – sacré ! – suffit. « Ils y font des offrandes. Comme de l’argent : ils viennent avec des bijoux qu’ils grattent avec un couteau afin de laisser sur ce lieu sacré des copeaux d’argent pur. » 

Se considérant comme « la religion des origines », les pays Baltes « affirment, pour une partie, leur culture indigène », explique Jérémy Vaugeois. « Ils ont divinisé le feu. Il existe un feu sacré, dont le lieu est secret, qui ne s’éteint jamais. Et les gens l’entretiennent depuis bientôt 33 ans ! »

Mare Matas se prépare pour une fête de la communauté. Le 2 février est symbole de cassure de l’hiver. Les éléments ont une importance capitale pour ces femmes qui vivent de ce que l’île leur procure. Du poisson, des légumes, des oeufs. Les fêtes sont également l’occasion de partager des histoires séculaires autour des esprits qui hantent l’île ©Sophie Planque
© Jéremy Vaugeois

Un vélo pour l’intimité

« C’est un retour à l’essentiel, une quête de simplicité »

Sophie Planque et Jérémy Vaugeois

Ce feu sacré, Sophie Planque et Jérémy Vaugeois sont les premiers à l’avoir photographié. À l’avoir filmé. Parce qu’ils ont fait le trajet à vélo, qu’ils ont pris le temps de faire cet effort, dans le froid et sous la neige des hivers basque. Un mois et demi, et deux mille kilomètres plus tard, ils y étaient. Comme une récompense.

Ce feu, ils l’ont aussi expérimenté tout au long de leur voyage. « Le soir, après une longue journée de vélo, il fallait que l’on se tienne chaud face à la rudesse de l’hiver. Nous avons  fait des feux, » explique le droniste. Et « c’était compliqué ». Le duo prend l’habitude de ramasser du bois sec pendant la journée, en prévision du soir. Ils apprennent comment allumer efficacement un feu par tout temps, sous le vent ou la pluie. « Ce rapport au feu, nous l’avons développé sur le trajet, sans le vouloir. Parce que nous avons fait le choix du vélo. Nous aussi, nous l’avons divinisé. »

« C’est un retour à l’essentiel, une quête de simplicité », explique Sophie Planque. C’est ce que permet le dépouillement qu’implique le vélo. Le duo explique que cela leur a permis de prendre le temps : de vivre, d’avoir des projets, de profiter. De « se sentir vivant », tout simplement, s’exclament-ils. C’est aussi plus cohérent avec leur projet. 

« Cela nous a aussi ouvert des portes », explique le duo. « Les gens nous accueillent plus volontiers chez eux : “Oh ! Vous avez dû en faire un effort ! Venez donc vous réchauffer, prendre un café” ». C’est cette intimité, facilitée par le vélo, qui leur permet de comprendre la culture indigène de la région, de l’expérimenter. 

Les deux aventuriers espèrent que cette culture indigène pourra inspirer notre relation au vivant et à la Terre, la façon dont la société moderne occidentale interagit avec elle. Mais pas question de parler d’écologie : « Ne pas en parler est le meilleur moyen d’être écologique », sourit Jérémy Vaugeois. Cette culture, qui s’affirme à nouveau, garde « le meilleur d’hier avec une vision de demain », explore sa « dualité entre la modernité et l’héritage », explique le photographe. « Ils se posent la question » et c’est, selon le duo, une bonne chose. 

Aux Pays des Brumes est publié aux éditions Hemeria en février 2024. En coproduction avec Zed, Arte France et Ushuaia TV, le film sera disponible sur Arte.fr à partir du 1 mars 2024.

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