Bruno Barbey (1941 – 2020), qui est décédé lundi 9 novembre, était un citoyen du monde, et a consacré sa vie à documenter les conflits et à honorer, en images, le quotidien des êtres humains avec sensibilité et compassion. Le photographe, né au Maroc, de nationalité française et suisse, a étudié la photographie et les arts graphiques à l’École des Arts et Métiers de Vevey, en Suisse. Avant de se lancer dans le premier grand projet de sa carrière, Les Italiens (1961-1964), une série inspirée par la monographie historique de Robert Frank, Les Américains.

Estimant que « la photographie est le seul langage qui puisse être compris partout, et par tous », Barbey a naturellement rejoint la prestigieuse agence Magnum Photos en 1964, devenant membre associé en 1966 et membre à part entière en 1968, avant de devenir vice-président de Magnum pour l’Europe en 1978-79 et président de Magnum à l’international de 1992 à 1995.
Défier le pouvoir
Bien qu’il ait photographié des conflits au Nigeria, au Vietnam, au Moyen-Orient, au Bangladesh, au Cambodge, en Irlande du Nord, en Irak et au Koweït, Barbey a toujours rejeté le titre de « photographe de guerre », reconnaissant peut-être que la lutte pour la liberté faisait partie intégrante de la vie, de sa vie. Une chose dont il a été témoin à Paris en mai 68. « Je n’ai jamais vu une telle violence dans une capitale occidentale comme je l’ai vu à Paris ce mois-là », a-t-il déclaré à Magnum Photos à propos de son reportage documentant cette période historique de troubles sociaux.

Bien que lors des émeutes la plupart des actions se déroulaient de nuit, Barbey, en compagnie des photographes Marc Riboud et Henri Cartier-Bresson, travaillait souvent sans flash pour préserver l’atmosphère des rues de Paris dans ses photographies. Les trois photographes risquaient aussi leurs vies pour leurs images, abandonnant les casques de protection lorsqu’ils réalisaient qu’il était alors impossible d’utiliser correctement leur Leica.
Si Barbey n’a pas été un militant à proprement parlé, il avait une forte sympathie pour les manifestants et parlait avec admiration de ce qu’il avait vu durant cette période. « Beaucoup ont été déçus à la fin du mouvement de mai, mais pas moi; j’étais occupé par d’autres causes qui étaient plus urgentes », a alors révélé Bruno Barbey.

Célébrer la vie
Pendant plus d’un demi-siècle, Barbey a parcouru le monde en photographiant sur tous les continents, et a produit plus de 30 livres, documentant l’extraordinaire beauté de la vie au Kenya, à Ceylan, au Portugal et au Gabon. L’amour de Barbey pour l’humanité transparaissait dans sa passion pour la photographie. Toujours ouvert aux évolutions techniques et au nouveaux styles, Barbey a été un pionner de l’utilisation du film couleur dans le photojournalisme, notamment lors d’une commande pour le magazine Vogue au Brésil en 1966 – une innovation née aussi de la nécessité de s’adapter à la chaleur et à l’humidité de la région.
Tout au long de sa carrière, Barbey a voué une passion pour le Maroc, revenant à maintes reprises dans son pays natal pour y réaliser des images. « Il est très difficile de photographier là-bas », a-t-il déclaré à Magnum Photos. « Vous devez être rusé comme un renard, bien organisé et respecter certaines coutumes. Le photographe doit apprendre à se fondre dans le paysage. Les photos doivent être soit prises rapidement, avec tous les risques qui en découlent, soit seulement après de longues périodes de patience infinie. Tel était le prix de ces images… La mémoire du Maroc ne peut être capturée qu’avec respect. »

Le respect est un principe que Barbey a adopté avec lui tout au long de son illustre carrière, repoussant toujours les limites du médium à la recherche de la beauté, de la justice et de la vérité. « Admettons-le, nous sommes des chasseurs d’âmes », a ainsi déclaré Barbey dans un discours prononcé en 2017 au Festival du film turco-allemand. « Mais des chasseurs d’un genre délicat, et avec une touche de magie. Nous ne voulons pas capturer des images pour notre propre usage mais les reproduire pour tout le monde, pour les garder pour tout le monde, pour la mémoire collective. »

Par Miss Rosen
Miss Rosen est une journaliste basée à New York. Elle écrit à propos de l’art, la photographie et la culture. Son travail a été publié dans des livres, des magazines et sur des sites Web, notamment Time, Vogue, Artsy, Aperture, Dazed et Vice.
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