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Cinquante ans de Rencontres à Arles : genèse et jeunesse du festival

Cinquante ans de Rencontres à Arles : genèse et jeunesse du festival

Depuis cinquante ans, les Rencontres ont fait d’Arles la capitale du monde de la photographie. Événement incontournable des passionnés de l’image, il fête son anniversaire d’une belle façon avec pas moins de cinquante expositions à voir jusqu’en fin septembre. Discussions au coin d’un bar, vive émotion devant un spectacle unique, fascination devant une photographie… Récit de notre semaine à Arles.

La fin de la soirée de clôture de la première semaine des Rencontres d’Arles 2019 © Jean-Baptiste Gauvin

Et si on commençait par la fin ? Nous sommes le soir du samedi 6 juillet 2019. La soirée de clôture de la première semaine vient de s’achever sous un tonnerre d’applaudissements au théâtre antique d’Arles. Pour fêter les cinquante ans du Festival, la direction artistique a vu grand. Elle a invité une dizaine d’auteurs pour une soirée spéciale intitulée « Live Magazine ». L’idée ? Que chacun des invités vienne raconter une courte histoire. Amusante. Poignante. C’est un défilé de petits récits qui font rire ou donnent des frissons. Un journaliste vient dire comment il s’est infiltré en Corée du Nord en se faisant passer pour un chef d’entreprise belge qui produit du chocolat. Une rédactrice de Vanity Fair nous explique comment elle a épluché les bottins des années 1980 d’une petite commune française pour trouver la photographie du premier époux de Brigitte Macron. Un architecte raconte comment il a inventé un système pour numériser en 3D les sites archéologiques du monde entier et combien le site de Palmyre en Syrie où il a travaillé a été ravagé par l’Etat Islamique. Une femme témoigne de la peur présente partout en Tchétchénie tandis qu’elle a voué sa vie à enquêter sur le sujet. Et puis, il y a Stéphanie et Marcia. Stéphanie est journaliste. Elle a vécu au Brésil à Rio de Janeiro, là où elle aimait se rendre à l’opéra. Depuis la crise économique qui touche la ville, les musiciens et danseurs de l’institution ne sont plus payés par l’Etat. Un danseur étoile doit être chauffeur Uber la nuit. Des musiciens doivent accumuler des petits boulots. La danseuse étoile, Marcia, a dû s’exiler en Autriche pour continuer à travailler. « Là voilà ! » lance soudain Stéphanie. Et on y croit pas. Elle est là. En train de danser devant nous sur la scène du théâtre antique. Incomparable grâce d’un instant qui s’évapore si vite… 

On voit bien qu’on peut avoir cinquante ans et rester jeune!

« Une anti-institution » 

Peut-être est-ce l’une des plus belles images de ce Festival consacré à la photographie depuis cinquante ans. Une femme qui a été contrainte de quitter son pays danse pour nous rappeler combien la culture est fragile et combien un corps peut lutter pour le dire… Sans doute est-ce l’un des plus beaux cadeaux de cette édition des Rencontres de la photographie. « Surprendre » est le maître-mot de Sam Stourdzé, le directeur du Festival depuis 2014. On peut dire que ce soir- là son mot d’ordre a été respecté. On peut dire qu’il a été assez présent sur l’ensemble du programme des Rencontres. Un programme haut en couleur et qui mêle photographies documentaires, images plasticiennes, expérimentations. « Un demi-siècle de présence nous donne un sentiment ambiguë », avoue Sam Stourdzé, « on se sent tellement être une anti-institution. On veut sortir des sentiers battus. On avait peur que cet anniversaire nous momifie un peu. Mais en fait, on voit bien qu’on peut avoir cinquante ans et rester très jeune ! ». Il glisse cette dernière phrase d’une façon malicieuse, satisfait. Il peut l’être. En l’espace de cinq ans, depuis qu’il est arrivé à ce poste, la fréquentation du Festival a augmenté de 70%. Elle est passée de 84.000 visiteurs en 2014 à près de 140.000 en 2018. Comment analyse-t-il ce succès ? « Il est toujours difficile d’essayer de comprendre pourquoi » dit-il et d’ajouter : « Peut-être que notre effet de surprise marche. Ce qui est sûr, c’est que 70% de notre public revient d’une année à l’autre. Ce qui prouve notre renouvellement constant ». 

Sam Stourdzé, le directeur des Rencontres d’Arles. Depuis son arrivée en 2014, la fréquentation du Festival a bondi de 70% © Jean-Baptiste Gauvin

« L’idée folle » 

Pour Anne Clergue, la fille d’un des trois fondateurs du Festival, la ville en elle-même y est pour beaucoup. « La lumière, le chant des cigales, la beauté du Rhône » énumère-t-elle. Pas de meilleur écrin pour recevoir « l’idée folle » de son père comme elle la qualifie. Le photographe Lucien Clergue a fondé les Rencontres d’Arles avec l’historien Jean-Maurice Rouquette et l’écrivain Michel Tournier car ils se sont rendus compte que ce nouvel art du XXème siècle n’avait aucun événement pour le fêter. Dix ans avant, Lucien Clergue s’était rendu à New York et avait vu combien les Américains avaient bien plus de considérations pour la photographie que les Français. L’idée d’organiser un événement a germé dans sa tête. Il ne restait plus qu’à réunir les bonnes personnes et oser. Très vite, les Rencontres deviennent le rendez-vous incontournable des photographes. Pierre-Jean Amar, historien de la photographie et photographe, a documenté cette ascension. Grand ami de Willy Ronis, il l’a photographié en train de montrer ses images à Marc Riboud qui organisait alors un stage à destination des jeunes photographes dans les années 1970. « À l’époque, il ne fallait pas payer pour montrer ses portfolios à des photographes comme c’est le cas aujourd’hui. On le faisait dans la rue, à même le sol » témoigne-t-il, un brin de nostalgie dans la voix et d’ajouter : « Moi, j’ai montré mes images à Ansel Adams par exemple. Il m’a dit qu’il aurait aimé en faire quelques-unes comme les miennes. » Pas de plus belle récompense pour un jeune photographe.


Pierre-Jean Amar avec un portrait de Robert Doisneau qu’il a réalisé © Jean-Baptiste Gauvin

Mon bar 

Surtout, Pierre-Jean Amar insiste : « Ces années-là, ce qui était fondamental, c’est d’avoir pu réunir en même temps des gens qui ne se prenaient pas pour des grands artistes ». Quand on lui demande si ceux d’aujourd’hui ont « un peu le melon », il répond : « une pastèque, oui, vous voulez dire ? ». Il rit, mais son constat est amer. Il trouve que le Festival a perdu un peu de son âme. Les rencontres avec les artistes sont plus difficiles aujourd’hui, pour ne pas dire impossibles. « Je déplore un peu ce star-system, mais c’est normal que les choses évoluent » dit-il, tentant d’être philosophe. Un autre homme trouve que les Rencontres ne sont plus ce qu’elles sont. Il s’agit de Virgile, 59 ans, qui sert des cafés aux plus grands photographes du monde aimant venir dans ce troquet typique. À la tête de Mon bar sur la place du Forum, il aligne les verres de bière disposés sur un plateau tandis qu’il affirme à voix haute que les Rencontres ne sont pas tout. Et quand on lui rétorque : « elles ne font pas briller la ville tout de même ? », il s’emporte un peu : « Elle rayonne pas déjà avec les arènes ?! ». Il faut dire qu’il porte un t-shirt avec un taureau rouge des- sus. La corrida, autre passion d’Arles… 

L’exposition consacrée au travail de Philippe Chancel à l’église des Frères Prêcheurs à Arles © Jean-Baptiste Gauvin

Chantiers 

« C’est le patrimoine. Une ville millénaire. Les arènes. Le théâtre antique. Un cloître roman magnifique… ». Les yeux du maire, Hervé Schiavetti, s’illuminent quand il évoque Arles. Pour lui, c’est certain, il n’y a pas de meilleur endroit au monde pour accueillir les photographes. Il vous offre un verre à l’hôtel Nord Pinus et vous raconte comment il a discuté de l’avenir du Festival avec Lucien Clergue dans son bureau il y a quelques années. Depuis quelques temps, les lieux d’exposition se sont multipliés. L’énergie du maire y est pour quelque chose. Le directeur du Festival, Sam Stourdzé l’assure : Hervé Schiavetti sait soutenir cette manifestation. Il en faudra, du soutien, pour continuer cette grande aventure. Des chantiers attendent les deux hommes tandis que l’an prochain, le site de la Fondation Luma ouvrira entièrement au public. Pour le maire, ce qui est sûr, c’est qu’il y a toujours de quoi voir. À quelqu’un qui débarquerait sans savoir ce qu’est le Festival, Hervé Schiavetti a une injonction : « Régalez-vous ! ». 

La conférence de presse de clôture de la première semaine. Le directeur du Festival, Sam Stourdzé (à gauche) et le maire d’Arles, Hervé Schiavetti (à droite) © Jean-Baptiste Gauvin
Le calme d’une après-midi chez Myop. L’agence de photographes a aménagé un lieu courtisé à Arles, connu pour ses fêtes la nuit et ses doux moments la journée © Jean-Baptiste Gauvin

Un « espace détente » à la Croisière © Jean-Baptiste Gauvin
Une des animations dans une rue d’Arles. Le photographe Peter van Agtmael de l’agence Magnum donne des conseils aux Festivaliers © Jean-Baptiste Gauvin

L’entrée de la Croisière, l’un des lieux incontournables des Rencontres de la photographie © Jean-Baptiste Gauvin

Par Jean-Baptiste Gauvin

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