
Du noir et bland à la couleur
Winogrand, un des grands photographes américains d’après-guerre, est davantage connu pour ses photographies en noir et blanc de la vie New-Yorkaise. Mais en réalité, Winogrand a laissé derrière lui plus de 45 000 diapositives couleurs. Le fait qu’elles n’aient presque jamais été montrées peut, certes, être révélateur d’une préférence de Winogrand pour le noir et blanc, mais révèle aussi un choix esthétique lié à l’histoire de la photographie. Rappelons que la pellicule en couleur n’a même pas un siècle ! Popularisée seulement dans les années trente par Kodak avec la sortie de la pellicule Kodachrome, la photographie en couleurs était perçue pendant longtemps comme appartenant aux mondes éditorial et publicitaire, mais pas à celui de l’art. À cela s’ajoute la question financière. Winogrand a fait très peu de tirages couleur, car il n’en avait probablement pas les moyens. Venant d’une famille modeste après avoir rapidement arrêté la photographie éditoriale, Winogrand ne pouvait pas se permettre d’être un photographe couleur, comme Eggleston a pu l’être par exemple. Néanmoins, cela ne l’a pas empêché d’avoir toujours sur lui deux appareils photo : l’un avec une pellicule noir et blanc et l’autre avec une pellicule couleur.

Un seul objectif : être derrière l’objectif
La première femme de Winogrand l’a expliqué ainsi : être mariée à Winogrand, c’était « comme être marié à un objectif ». Photographe prolifique, il cherchait surtout à prendre des photos plutôt qu’à les montrer. L’exposition permet aux visiteurs de comprendre la manière dont Winogrand travaillait. La pièce centrale est divisée en huit diaporamas thématiques et chronologiques, de 1952 à 1967. On y découvre sa fascination pour l’insignifiant, le banal, la poésie du quotidien : des hommes qui s’enlacent sur la plage, une femme qui passe dans la rue, une table de condiments, la vitrine d’un restaurant… Parmi les premières images, ses tableaux de Coney Island décrivent une tranquillité qui tranche avec le chaos habituel de son Manhattan en noir et blanc. L’une des raisons étant sûrement la vitesse d’obturation encore lente des premières pellicules couleurs. Dès les années 1960, armée des nouvelles pellicules Kodachrome 60 et X, Winogrand se met à photographier tout New York en couleur. Le visiteur au sein de l’exposition se retrouve presque dans une machine à remonter le temps, submergé par la vision omnisciente de Winogrand.

L’héritage de Garry Winogrand
Les diaporamas sont un hommage à la manière dont Winogrand a choisi de présenter ses photographies en couleurs dans « New Document ». Néanmoins, toute exposition soulève aussi la question de sa pertinence actuelle. Pour Sawyer, il s’agit d’une manière d’explorer la collection permanente du Brooklyn Museum (qui contient beaucoup de tirages noir et blanc de Winogrand) tout en apportant un aspect novateur avec ses photographies en couleurs méconnues. D’autant plus que, comme l’explique Sawyer « ces dernières années, il y a un intérêt nouveau qui s’est développé pour le travail de Winogrand, et beaucoup de jeunes artistes aujourd’hui le voient comme une source d’inspiration ».




Par Claire Debost
Garry Winogrand: Color
Du 3 mai au 8 décembre 2019
Brooklyn Museum, 200 Eastern Parkway, Brooklyn, New York 11238-6052