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Comment les femmes font évoluer la photographie de rue

Une nouvelle exposition met en lumière les travaux de 79 photographes venant de 20 pays et qui repoussent les limites du genre.
Ninia Sabadze
Untitled © Ninia Sabadze

Après avoir remporté le World Press Photo pour ses clichés de l’effondrement de la Tour Sud, le 11 septembre 2001, la photographe tatare Gulnara Samoilova a entrepris un long voyage pour guérir du traumatisme subi, comme des milliers de personnes présentes à Ground Zero ce jour-là. Elle a abandonné le photojournalisme et s’est reconvertie en photographe de mariage, célébrant la famille, la communauté et l’amour. 

Après avoir monté une entreprise florissante, Samoilova se rend compte que quelque chose manque à sa vie : la passion qu’elle ressentait adolescente quand elle arpentait, appareil photo à la main, les rues de sa ville natale, Ufa, en République du Bashkorastan. Dès le début de sa carrière, la photographie de rue lui offre une échappatoire parfaite au stress de la vie quotidienne et deviendra son refuge de prédilection pendant les 40 années suivantes.

Maria Daniel Balcazar
“Time Out from Entrancement” © Maria Daniel Balcazar

Mais la photographie de rue résiste par nature aux aspirations carriéristes qui ont catapulté ce médium dans les mondes de l’industrie et de l’art ces dernières années. Elle est essentiellement pratiquée par amour et par plaisir, ce qui permet aux photographes de s’engager librement dans le monde et de repousser les limites du genre vers de nouveaux domaines. Prête pour ce changement, Samoilova réalise que le temps est venu de retourner à ses premières amours après avoir suivi le cours de fin d’études de Mary Ellen Mark à l’International Center of Photography en 2015.

Alors qu’elle réfléchit à la voie quelle souhaite suivre, le destin s’en mêle lorsque Donald Trump est élu président. Le sexisme de ce dernier ravive les souvenirs de toute une vie – et à ce moment-là, elle comprend que sa réussite personnelle n’est pas une fin en soi. Déterminée à fédérer une communauté où elle pourrait offrir des opportunités et un soutien qu’elle aurait aimé recevoir tout au long de sa carrière, Samoilova crée l’association Women Street Photographers (Femmes Photographes de Rue) en 2017. 

Au cours des cinq dernières années, Women Street Photographers est passé d’une plateforme Instagram à des expositions itinérantes sur trois continents, une résidence d’artiste, une série de films et un livre, Women Street Photographers (Prestel, 2021). À travers tout cela, Samoilova s’est attachée à valoriser les femmes qui transforment les codes de la photographie de rue.

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Donna Kross
“Onion Camouflage” © Donna Kross
Anna Biret
“Girl and a cow” © Anna Biret

Alors que la crise du Covid dévaste New York, la ville d’adoption de Gulnara Samoilova, beaucoup se sentent dépassés, isolés et épuisés par des fardeaux qu’ils portent seuls. Pour aider à rétablir, reconstituer et reconstruire un sentiment de connexion, de communauté et de créativité, Samoilova va organiser la quatrième exposition annuelle de Femmes photographes de rue

Invité d’honneur par Debra Klomp Ching, copropriétaire de la galerie Klompching de Brooklyn, le groupe présente les travaux de 79 photographes de 20 pays, dont Hazel Hankin, Dominique Misrahi, Gabrielle Motola, Anna Biret et Orna Naor, ainsi qu’une exposition solo de Maude Bardet, première lauréate de la résidence d’artiste WSP 2020.

« La photographie de rue est toujours très rafraichissante parce qu’elle parle des gens – et ce ne sont jamais les mêmes, donc il y a toujours un élément de surprise », explique Samoilova. « Chaque fois que vous allez dans un quartier inédit, vous avez l’impression de voyager et de rencontrer de nouvelles cultures. Je me considère comme une photographe de rue classique et il est toujours intéressant de voir ce que les photographes du monde entier font dans leur environnement. »

Dominique Misrahi
“Home is Where You Are” © Dominique Misrahi

Lors d’un séjour à Rio de Janeiro, une nuit, la photographe Maria Daniel Balcazar observe les membres de l’école de samba de Vila Isabel répéter leur chorégraphie dans la rue. Elle remarque que les enfants regardent et dansent aux côtés des adultes et les immortalise pour Time Out

« Malgré leur énergie et leur enthousiasme pour suivre le rythme, ils devaient faire des pauses, sous la plateforme en bois du camion transportant les musiciens et la sono », explique Balcaza. « C’est ainsi que les traditions se transmettent de génération en génération. La samba, et ses racines de la diaspora africaine, en fait la musique et la danse la plus importante du Brésil. » 

Sandra Cattaneo Adorno
“Scarti di Tempo” © Sandra Cattaneo Adorno

Réalité et illusion

Là où la photographie de rue traditionnelle se concentre sur la vie en milieu urbain, Gulnara Samoilova adopte une approche expansive, s’engageant auprès d’artistes qui travaillent à la campagne ou sur les plages. Elle trouve l’inspiration chez les photographes friands d’abstraction dans leur travail, que ce soit à travers les reflets, la lumière, la couleur ou la composition.

« L’une de mes règles pour l’exposition est que les gens ne peuvent pas envoyer d’expositions multiples, j’ai donc été très surprise d’apprendre que la photo de Sandra Cattaneo Adorno est un reflet », dit Samoilova. « Ce que j’aime dans le travail de Sandra, c’est sa rêverie poétique. C’est apaisant et réparateur tout en étant multidimensionnel et complexe : elle combine tout cela en un seul cliché. » 

Cette image figurera également sur la couverture de la prochaine monographie de Cattaneo Adorno, Scarti di Tempo, qui a pris racine pendant les premiers jours du Covid. Le choc de l’isolement social a transformé l’expérience du temps de Cattaneo Adorno, qui semblait s’étirer sans fin pour disparaître de la mémoire comme s’il n’avait jamais existé. Ne pouvant plus faire des photographies dans la rue, Cattaneo Adorno a réfléchi à la manière dont la photographie peut être utilisée pour préserver et réarranger le temps. Elle a cherché des images qui brouillent les frontières de la réalité et de l’illusion, comme une métaphore de l’esprit, pour créer Scarti di Tempo, qui signifie à la fois « décalage temporel » et « lambeaux de temps » en italien.  

Alejandra López-Zaballa
“Sharing” © Alejandra López-Zaballa

« En élargissant les techniques traditionnelles, Sandra a développé un processus photographique profondément personnel, qui l’a finalement conduite à des résultats fantastiques », écrit Gueorgui Pinkhassov, membre de Magnum Photos, dans la préface du livre. « Sandra a absorbé presque magiquement les connaissances acquises et les a transformées à travers sa propre compréhension de la photographie de rue, repoussant les limites de sa nature documentaire. »

La quatrième exposition annuelle de Women Street Photographers est présentée à la galerie Artspace PS109 d’El Barrio, à New York, jusqu’au 24 avril 2022. 

Women Street Photographers est publié par Prestel, 35 $.

Gulnara Samoilova est la commissaire de la première exposition personnelle de Sandra Cattaneo Adorno, avec des œuvres de Scarti di Tempo et Águas de Ouro, pour la 6e édition de Personal Structures – Reflections, qui se déroule parallèlement à la 59e Biennale de Venise, du 23 avril au 27 novembre 2022.

Gabreille Motola
Untitled © Gabrielle Motola

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