
La photographie de rue s’est imposée comme un élément de la vie moderne, les appareils photo des téléphones portables saisissant chaque instant. Mais ses humbles débuts au tournant du XXe siècle, avant même que le terme « photographie de rue » ne lui ait été justement accolé, ont été marqués par les nombreuses femmes qui y ont pris part. Avant l’apparition de ce nouveau média, la majorité des domaines artistiques étaient dominés par les hommes ; la photographie – et en particulier la photographie de rue – s’étant démocratisée, elle a permis aux femmes non seulement de rejoindre un nouveau mouvement, mais aussi de contribuer à le façonner. Tout ceci est démontré dans une nouvelle exposition à la galerie Howard Greenberg, « A Female Gaze », qui présente le travail de quelques femmes photographes de rue sur sept décennies, dont Berenice Abbott, Diane Arbus, Vivian Maier et Ruth Orkin.
Vivian Maier, qui a acquis une notoriété à titre posthume, est présente ici à travers quelques-unes des photos prises furtivement grâce auxquelles elle s’est fait connaître, actionnant l’obturateur de son appareil Rolleiflex accroché à sa taille lorsqu’elle marchait dans les rues de New York et de Chicago. Sur l’une d’elles, elle capte une femme tenant délicatement son porte-monnaie derrière son dos, les mains posées l’une sur l’autre. Une autre image sans visage montre une femme qui se penche en avant pour ajuster son escarpin ; un moment de la vie quotidienne immortalisé par Maier.

Parmi les 49 images exposées, l’une des plus remarquables est le Numéro de trapèze père et fils de Jodi Bieber, qui montre un jeune garçon dans une position de défi, en plein vol, tandis que son père le fait tourner. Bien qu’elle ait été prise 75 ans après certaines des photographies de l’exposition, elle ne semble pas anachronique, ses forts contrastes répondant à ceux de la Femme au voile de Lisette Model, également dans l’exposition.
On y trouve aussi Esther Bubley, Rebecca Lepkoff, Helen Levitt, Mary Ellen Mark, Francis McLaughlin-Gill et Barbara Morgan. Certaines images sont chargées d’émotion, comme Street Embrace d’Orkin, où une femme se penche en avant pour tenir doucement contre elle la tête d’un homme. D’autres s’intéressent moins au sujet qu’à la forme, comme City Street de Barbara Morgan, un photomontage saisissant combinant une vue à vol d’oiseau et une photographie à hauteur d’œil, les deux se fondant l’une dans l’autre grâce à un faisceau de lumière qui divise l’image en deux. Et puis il y a le quotidien et l’ordinaire, comme Esther Bubley qui capture dans Coast to Coast, un groupe de passagers d’un train, photographié à travers la vitre. Certains bavardent, d’autres regardent droit devant eux, tandis qu’une femme, centrée dans le cadre, fixe l’appareil photo.


Les images de l’exposition couvrent près d’un siècle et, avec elles, le développement de nouvelles techniques, de styles personnels et d’un monde en constante évolution. « A Female Gaze » démontre qu’il n’existe pas de regard féminin singulier, ni de style photographique féminin singulier. Il s’agit plutôt d’un groupe de photographes pionnières d’un nouveau médium, qui le définissent et le redéfinissent.
Par Christina Cacouris
L’exposition « A Female Gaze » est présentée à la galerie Howard Greenberg du 19 janvier au 2 avril 2022.

