
« La politique, c’est comme le théâtre. Peu importe que vous gagniez ou non. Vous affichez vos opinions. Vous lancez: ‘Me voilà, écoutez-moi.’ », déclarait Harvey Milk, le premier représentant ouvertement gay à avoir été officiellement élu en Californie. De tout temps, la photographie, avec sa capacité à transmettre à la fois les faits et la fiction, a joué un rôle majeur dans le discours politique, en le modelant sans dire un mot.
L’exposition The Campaign , à voir à la Monroe Gallery à Santa Fe, se propose de montrer comment la photographie des 80 dernières années a documenté la course à la présidence suprême – celle des Etats-Unis –, de la campagne à l’investiture. Cette exposition – qui comprend notamment des oeuvres de Cornell Capa, Bill Ray, John Loengard, Alfred Eisenstaedt, Neil Leifer, Brooks Kraft et Nina Berman – nous conduit jusqu’en 1948, date où Thomas E. Dewey se porta candidat à une élection qui serait l’une des plus controversées de l’histoire.

A travers les scènes de foule animées d’Irving Haberman, on comprend l’influence de la photographie : d’innombrables sympathisants brandissent des pancartes sur lesquelles on peut voir l’image d’un Dewey confiant, regardant le public avec insistance, et exprimant ce mélange parfait d’assurance et d’artifice que les Américains ont appris à connaître et aimer.
Un héros tragique

« Les reporters écoutent, les photographes regardent », déclarait le photographe Bill Eppridge durant la tragique campagne de Robert F. Kennedy, en 1968, qui se conclurait par sa mort bouleversante, avant qu’il ait pu accéder à l’investiture démocrate. Bobby Kennedy, dont l’image publique était largement héritée de celle de son frère John, avait compris le langage de la visibilité et de la représentation bien avant que ces mots ne deviennent en vogue.
Dans une photographie d’Eppridge de la campagne de Kennedy à Watts (Los Angeles), le dernier jour des primaires, trois jours avant que des émeutes contre les violences policières ne dévastent le quartier, nous pouvons voir l’ancien procureur général porté sur les épaules de Noirs, son large sourire contrastant de manière saisissante avec l’expression de méfiance de leurs visages. Cette image d’Eppridge met en évidence le mélange complexe de naïveté et d’arrogance qui est le propre des privilégiés, face au spectre de la violence américaine.

Le pouvoir de la photographie
En septembre, l’audimat du premier débat entre Donald Trump et Joe Biden atteignit 73 millions, un genre de chiffre qu’apprécie le président. Businessman raté qui s’est recréé une image grâce à la télé-réalité, Trump comprend mieux que quiconque le pouvoir de l’image sur le public américain.

Etre photogénique devint une nécessité en 1960, lors du premier débat de John F. Kennedy et Richard Nixon. En régie, Irving Haberman photographia le plateau de télévision où se déroulait la scène, donnant aux spectateurs un accès aux coulisses de cet événement historique.
Ce qui retient l’attention, ce n’est pas l’action sur le plateau, mais le moniteur TV, grâce auquel le visage radieux de Kennedy pénètre dans des millions de foyers américains. Sous l’oeil de la caméra, Kennedy est l’image même de la vitalité – image qui contredit son état de santé réel. Calme et posé, Kennedy prend son essor tandis que Nixon décline, et le public oublie allègrement la maxime, toujours aussi sage, d’Edgar Poe: « Ne croyez rien de ce que vous entendez, et seulement la moitié de ce que vous voyez. »

Par Miss Rosen
Miss Rosen est auteur. Basée à New York, elle écrit à propos de l’art, la photographie et la culture. Son travail a été publié dans des livres, des magazines et sur des sites Web, notamment Time, Vogue, Artsy, Aperture, Dazed et Vice.

The Campaign
Jusqu’au 15 novembre 2020
Monroe Gallery, 112 Don Gaspar, Santa Fe, NM 87501