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Concevoir le design à travers la photographie avec Julius Shulman

Les photographies de Julius Shulman, en particulier celles qui ont été connues sous le nom de « Desert Modernism » à Palm Springs, ont été en partie à l’origine de l’influence explosive de l’architecture moderne du milieu des années 1960, une influence si forte qu’elle perdure encore aujourd’hui.

Tout en haut de la Frey House II, à Palm Springs, on est saisi par une impression très forte. Non pas en raison de la vue plongeante sur la ville, de la forme du bâtiment construit autour d’un rocher ni des détails modernistes de la cuisine : c’est de là, exactement, que le légendaire Julius Shulman a photographié la célèbre villa, conçue par l’architecte Albert Frey et achevée en 1964.

« Julius Shulman a joué un très grand rôle dans l’architecture moderne du sud de la Californie, à l’époque de son incroyable floraison de créativité. Il a réalisé d’innombrables photographies qui ont fait connaître cette période dans le monde entier »

Alain Hess, architecte et historien

A l’intérieur de ses murs en verre, il a mis en évidence les poutres, le toit en tôle ondulée et, bien sûr, le rocher. Les photographies de Julius Shulman de l’architecture moderne du milieu du siècle, en particulier celle qui est connue sous le nom de desert modernism , ont été en partie responsables de l’influence considérable de ce style durant les années 1960 – une influence si forte qu’elle perdure aujourd’hui.

« Julius a joué un très grand rôle dans l’architecture moderne du sud de la Californie, à l’époque de son incroyable floraison de créativité. Il a réalisé d’innombrables photographies qui ont fait connaître cette période dans le monde entier », dit l’architecte et historien Alan Hess. Celui-ci a contribué à l’ouvrage Julius Shulman: Palm Springs (ed. Rizzoli, 2008), en collaboration avec Shulman et l’artiste et conservateur Michael Stern. « D’une certaine manière, l’image que nous avons de la Californie du Sud moderne, telle qu’elle était au milieu du siècle, a été façonnée par la vision qu’en a eu Julius. » 

© J. Paul Getty Trust. Getty Research Institute, Los Angeles (2004.R.10)

Shulman photographie sa première maison moderniste en 1936, conçue par le célèbre architecte Richard Neutra. « C’était la première maison moderne que j’avais jamais vue », déclare Shulman à Artforum en 2001. Photographe autodidacte, il réalise cette image avec un simple appareil photo Kodak Vest Pocket. Neutra l’embauche, et peu de temps après, il photographiera les travaux d’autres architectes considérés comme les maîtres du design moderne, tels que Frank Lloyd Wright, Rudolph Schindler, Albert Frey et d’innombrables autres. C’est en partie grâce à Schindler que Shulman commence à s’affirmer en tant que photographe, et à comprendre les nombreuses facettes de leurs métiers respectifs. Dans Artforum, Shulman se souvient de la réaction de l’architecte à ses premiers travaux, rappelant au photographe que la lumière n’était jamais répartie de manière égale sur tous les murs.

© J. Paul Getty Trust. Getty Research Institute, Los Angeles (2004.R.10)
© J. Paul Getty Trust. Getty Research Institute, Los Angeles (2004.R.10)
© J. Paul Getty Trust. Getty Research Institute, Los Angeles (2004.R.10)
© J. Paul Getty Trust. Getty Research Institute, Los Angeles (2004.R.10)
© J. Paul Getty Trust. Getty Research Institute, Los Angeles (2004.R.10)
© J. Paul Getty Trust. Getty Research Institute, Los Angeles (2004.R.10)

Le mythe de la Californie du sud

Au fur et à mesure que Shulman avance dans sa carrière, ses photographies d’architecture deviennent presque aussi importantes que les œuvres elles-mêmes : durant la plus grande partie de sa carrière, il sera un photographe commercial, vendant son travail à des magazines. Une foule de gens tomberont amoureux du design moderniste après avoir vu des photographies de Shulman.

Bien qu’il y ait d’autres photographes d’architecture à l’époque, ce qui distingue Shulman, dit Hess, c’est que ses photographies ne sont pas seulement des images de beaux bâtiments, mais qu’elles illustrent tout un style de vie, le mythe de la Californie du sud, avec le futur élégant, excitant, auquel elle est promise.

« Il y a là une vision presque glamour du cadre de vie des gens modernes. Ils sont bien habillés, leurs maisons sont impeccables et ils sont connectés à la ville… »

L’Amérique des années 1950 et 1960 est fascinée par cette apparente facilité, dans des maisons où l’on a la belle vie, loin de la saleté urbaine, dit Hess. Par exemple, dans la célèbre image de Shulman Case Study House #22, Los Angeles, 1960. Pierre Koenig, architect, deux femmes bavardent dans une maison élégante aux murs en verre, qui semble donner sur un soir très agréable, à Los Angeles. « On passe simplement sa soirée à regarder cette belle ville devant nous. C’est le plaisir qui compte. Pas du tout la théorie… Je pense que c’est l’une des choses que les gens aimaient dans le modernisme californien, et Julius a capturé cela », dit Hess.

© J. Paul Getty Trust. Getty Research Institute, Los Angeles (2004.R.10)
© J. Paul Getty Trust. Getty Research Institute, Los Angeles (2004.R.10)

« Ce n’est pas une approche directe, mécanique, qui met en valeur la structure, la régularité, les asymétries, la composition du bâtiment », explique Hess. « Il y a là une vision presque glamour du cadre de vie des gens modernes. Ils sont bien habillés, leurs maisons sont impeccables et ils sont connectés à la ville… Ce genre de choses expriment l’idée de Julius sur la manière dont ces beaux bâtiments modernes pourraient être habités par l’homme et la femme modernes. »

« Il y a là une vision presque glamour du cadre de vie des gens modernes. »

Alain Hess

Shulman, dit Hess, devient une sorte de saint-patron, particulièrement pour les architectes modernistes de Palm Springs. Si l’on excepte les résidences célèbres telles que la Kauffman House, conçue par Richard Neutra, ou la Elrod House de John Lautner, les architectes de Palm Springs sont largement ignorés. « Ils avaient une vision vraiment intéressante de l’architecture moderne, mais personne n’y prêtait attention, sinon Julius », dit-il. A l’époque, les magazines ne publient pas son travail sur Palm Springs, mais il gagnera plus tard en popularité.

© J. Paul Getty Trust. Getty Research Institute, Los Angeles (2004.R.10)
© J. Paul Getty Trust. Getty Research Institute, Los Angeles (2004.R.10)
© J. Paul Getty Trust. Getty Research Institute, Los Angeles (2004.R.10)

Selon Hess, si le travail de Shulman est émouvant et important, en tant qu’œuvre d’art et témoignage historique, s’il occupe une telle place dans la conscience culturelle, c’est en partie parce que Shulman a survécu à beaucoup de ses pairs. Décédé en 2009, à 98 ans, il aura travaillé toute sa vie, sans discontinuer. Durant ses 20 dernières années, le monde de l’art commence à ne plus considérer Shulman comme un photographe artisan, mais il devient artiste à leurs yeux – labélisation nouvelle pour lui.

« C’était un homme d’affaires. Il gagnait son argent en vendant son travail à des magazines, et c’était le principal média de l’époque. [Il avait] beaucoup de succès. Il a appris ce qui se vendait, ce qui ne se vendait pas, et il travaillait de cette manière », déclare Hess. Mais une exposition dans les années 1990 à la galerie Craig Krull de Los Angeles va tout changer. « Il a vraiment commencé à voir son travail d’une manière toute différente. »

Ensuite viendront les ouvrages rassemblant ses œuvres -notamment celui de Hess -, les expositions dans des musées et des galeries, les conférences, et la reconnaissance internationale. On se presse pour l’écouter parler, raconter ses histoires, faire dédicacer ses livres. Il deviendra « le seul photographe à avoir reçu le statut de membre honoraire à vie de l’American Institute of Architects », selon l’International Center of Photography, qui lui décerne également un Lifetime Achievement Award en 1998. 

Les archives de Shulman, comprenant plus de 260 000 images, ont été acquises par le Getty Research Institute en 2005 et sont devenues un trésor de l’histoire du design. « Son regard était très aiguisé », salue Hess. « Il avait sa propre vision de l’architecture moderne, au même titre que Richard Neutra, Rudolph Schindler, Pierre Koenig et les autres ; c’est seulement qu’ils exprimaient leur vision à travers leur pratique de l’architecture, et Schulman l’exprimait à travers ses photos, dont le style est très particulier. » 

© J. Paul Getty Trust. Getty Research Institute, Los Angeles (2004.R.10)
© J. Paul Getty Trust. Getty Research Institute, Los Angeles (2004.R.10)
© J. Paul Getty Trust. Getty Research Institute, Los Angeles (2004.R.10)
© J. Paul Getty Trust. Getty Research Institute, Los Angeles (2004.R.10)
© J. Paul Getty Trust. Getty Research Institute, Los Angeles (2004.R.10)
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