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Dans le Perche, la photo au service de l’environnement

La troisième édition du festival Le champ des impossibles expose 32 artistes autour du thème de l’arbre, mêlant peinture, sculpture et photographie. Une manifestation à l’atmosphère champêtre qui sensibilise son public, local et invité, aux langages visuels modernes.
Anaïs Boudot
Arbre buissons, prologue, 2018 © Anaïs Boudot
Anaïs Boudot
Cercle ronces, la noche oscura, 2017 © Anaïs Boudot

A moins de 2 heures de Paris, le Parc Naturel Régional du Perche offre un paysage luxuriant de verdure, une architecture ancienne préservée et un patrimoine magnifiquement restauré. On peut allègrement affirmer que c’est une des plus belles campagnes de France. Peu de bâtisses ont moins de 100 ans, des champs et des forêts protégées, en vigueur, une restriction d’ajouter des panneaux de circulations ou publicitaires, et l’interdiction de couper les arbres. Le site est une évidence pour le festival Le champ des impossibles, une manifestation orchestrée et développée par la directrice artistique Christine Ollier. « Ce festival permet de désacraliser un peu l’art contemporain et le faire découvrir à tous », déclare t-elle. « Nogent-le-Rotrou est une ville avec des nombreux sites patrimoniaux, où de grands travaux de réhabilitation ont lieu. Implanter la culture dans cette région, déjà touristique, est une étape importante de son développement. »

Dans cette ville au cœur du parc national, à laquelle on peut accéder par un TER directement depuis Paris, les galeries d’art sont pourtant peu nombreuses. Jérôme-François Chatelain, propriétaire de la galerie Edmund explique: « Il existe une galerie historique, Label Friche, à la sortie de la ville, mais qui est financée par de l’argent public et qui a des missions confiées par la ville, avec une intervention dans les écoles. Nous proposons une autre offre avec des artistes, au sein d’un circuit totalement privé. » Parmi eux, Sandra Städeli, qui expose en ce moment une série d’images d’arbres photographiés la nuit, dans de magnifiques tirages aux noirs profonds. Ils font ressortir la finesse de leurs branches, ainsi illuminées soit par un flash classique soit par un dispositif lumineux proche de celui d’un chantier de construction. « Il y a tout un travail de recherche sur le papier mat », dit Sandra Städeli. « J’ai hésité entre un papier japonais ou celui-ci, qui est un papier à fort grammage et qui absorbe beaucoup. Je travaille en général en octobre et novembre, à partir de 18h30-19h. C’est l’avantage de travailler l’hiver, la nuit tombe tôt. »

Israel Ariño
Sans titre 2, série la pesanteur du lieu (2017) © Israel Ariño
Lisa Sartorio
Angle mort, Road Of Bones © Lisa Sartorio, Galerie Binôme
Murielle Joubert
Rémanence-R1001, 2022 © Murielle Joubert

A deux pas, au Cent8, c’est Raphaëlle Peria qui présente son travail à mi-chemin entre la photographie et la gravure. Des images de sites naturels où elle redessine sur la surface du tirage au scalpel, pour donner aux feuilles un relief par exemple. Un rendu minutieux et intriguant. « J’appelle cela “des grattages sur photographie”. C’est d’ailleurs plus le geste du grattage du dessin qui m’intéresse que la photographie au départ. Je suis comme une touriste qui se rend dans des lieux où la nature prend le pas sur la construction humaine. Je prends la photo que tout le monde pourrait prendre puis je me l’approprie pour qu’elle devienne autre chose. A Abbeville, c’est dans les Hauts de France, pas très loin de là où je suis née, j’ai parcouru un parc et j’ai pris plein de photos. Ces arbres ont vu passer ma mère quand elle avait mon âge. Pour moi, les arbres sont les gardiens de nos secrets, les gardiens de notre mémoire. Ils savent tout, il se passent beaucoup de choses, mais ils ne raconteront jamais rien.» Réaliser ces œuvres peut prendre deux semaines à un mois. « J’ai plein de tout petits outils: des gouges, des burins, des brunis, soit des berceaux, des pointes sèches. Au départ, je viens plutôt de la gravure. »

D’autres photographes flirtent avec les mythologies intérieures, comme Israel Ariño, tandis que Lisa Sartorio exprime les écorchures de l’histoire et du temps à travers un travail aux frontières de la photographie, du volume et de l’installation. Des œuvres elles aussi en relief, où l’image est imprimée sur du papier épais formant des sculptures qui rappellent les arbres, les écorces, les souches. Anaïs Boudot, quant à elle, utilise la technique ancienne de l’image sur verre, d’une grande finesse, pour créer un rapport intime avec le spectateur. Sa série d’œuvres, bien connue des spécialistes, montre des arbres, des feuilles, des bouts de branches, desquels on ne résiste pas de s’approcher pour admirer les détails.

Raphaelle Peria Laurent Monlaü Salomé Fauc
Ombre portée, La Chapelle, Uzès, 2021 © Salomé Fauc / Yakushima 1, Japon, 2012 © Laurent Monlaü / Hopea Odorata 2019 © Raphaelle Peria, avec l’aimable autorisation de l’artiste et de la Galerie Papillon.

Le Moulin Blanchard, cœur du projet culturel et du territoire de Perche-en-Nocé, composé de bâtiments agricoles, est le seul des anciens moulins à farine de la ville à disposer encore d’un droit d’eau et à avoir conservé des éléments de rouages et trémies. C’est dans ce lieu où le travail de deux photographes habituellement engagés sur des terrains photojournalistiques est exposé. Gregoire Eloy, connu pour ses projets au long cours sur l’héritage soviétique et les guerres du sud Caucase, a exploré une parcelle de forêt toute proche et les êtres qui l’habitent, ou la transforment. Il a ainsi conçu une installation documentaire à partir de l’expérience qu’il a partagée avec son complice Marc-Emmanuel Berville, constructeur d’une cabane clandestine cachée parmi les arbres. Andrea Mantovani, photographe dont les images et reportages apparaissent souvent dans le New York Times, a quelque peu délaissé le terrain de l’actualité (même si elle revient d’Ukraine) pour livrer une série fictionnelle. Ses images ressemblent à un conte fantastique, avec plusieurs mises en scènes de personnages – des activistes -, qui se battent pour la sauvegarde des dernières forêts primaires de l’Est de l’Europe, en l’occurrence celle de Białowieza. « Je crois au pouvoir de l’imaginaire », dit-elle. « On est dans une société si factuelle et nos enjeux environnementaux sont si durs, si confus, si tendus, que je voulais trouver une échappatoire pour raconter l’histoire de cette forêt. Non pas en confrontant le spectateur à la dureté de ce qui se passe, mais en allant vers le beau, vers le rêve. J’essaye de l’emmener plus loin, avec l’espoir qu’il aimera un jour la connaître. » Les personnages d’Andrea Mantovani n’en sont pas moins confrontés à la réalité. Leurs actions ont permis au bout d’un an de monter un dossier pour la Commission européenne, présenté devant la Cour de justice européenne, et la Pologne a été astreinte d’arrêter les coupes d’arbres. Aujourd’hui, enfreindre cette décision, c’est s’exposer à 100 000 € d’amende par jour. Le cas de la forêt de Bialowieza s’est avéré devenir un cas jurisprudence en Europe pour la préservation de nos forêts primaires. « C’est ça aussi qui est beau dans ce témoignage.»

Festival Le champ des impossibles, jusqu’au 12 juin 2022 au Parc Naturel Régional du Perche.

Sandra Städeli
Rêve 1, série La nuit rêvée des arbres, 2022 © Sandra Städeli
Mantovani Andrea
Série Le Chant du Cygne © Mantovani Andrea
Grégoire Eloy
La Parcelle, 2021 © Grégoire Eloy, Tendance Floue

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