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Eikoh Hosoe et ses passages secrets

Eikoh Hosoe et ses passages secrets

Une monographie dirigée par Yasufumi Nakamori pour découvrir comment le maître a imposé, par son enseignement et ses photographies, une vision décalée de l’archipel japonais.
Man and Woman, an additional, 1959, de Eikoh Hosoe ed. dirigé par Yasufumi Nakamori (MACK, 2021) © Avec l’aimable autorisation de l’artiste et MACK

Si on aime Roland Barthes et son Empire des signes, on aime le Japon et ses photographes, c’est comme ça. Au rayon des liaisons affectives indiscutables, citons aussi le numéro spécial Japon de La Recherche Photographique (1990), l’exposition de Nicolas Bouvier, en 1995, à l’American Center, à Paris, quasi consacrée au Japon des années 60. Sans oublier l’ouragan visuel signé Daido Moriyama à La Fondation Cartier pour l’art contemporain, en 2003, et la revue Provoke disséquée au BAL en 2016. Cette curiosité émerveillée, entretenue grâce aux institutions et associations diverses, se retrouve dans une édition abondante, laquelle a pourtant accordé peu de place aux photographes japonaises, comme l’avait souligné Pauline Vermare lors d’une passionnante masterclass en ligne de la MEP, le 4 février 2021. 

Paraît aujourd’hui chez Mack un gros livre entièrement dédié à Eikoh Hosoe, qui a fêté ses 88 ans le 18 mars dernier (il est né en 1933 à Yonezawa, préfecture de Yamagata). Supervisé par Yasufumi Nakamori, le livre suit son œuvre, chronologiquement, de ses premières photos, documentaires, noires, terriennes, aux sortilèges arty de l’architecture « cosmique » de Gaudí, à Barcelone. Chaque chapitre est commenté par Hosoe lui-même, qui décrit à la fois le contexte de ses prises de vue et leur contenu, n’hésitant pas à rappeler combien son travail est construit sur la mémoire, notamment celle de la Seconde Guerre mondiale. Certaines séries sont connues, comme celle avec l’écrivain Yukio Mishima (1925-1970), d’une beauté canonique, littéralement soumis à l’objectif du photographe, en état de sidération narcissique (Ordeal by Roses, 1961-1962). Ou celle, ludique et mystérieuse, avec le fondateur du butô, Tatsumi Hijikata, « un danseur hors pair », qui les vit arpenter, tels deux compères dans un conte pour enfants-rois, les paysages autour d’Akita, non loin du lieu où le tout jeune Hosoe avait été évacué de l’été 1944 à l’été 1945 (Kamaitachi, 1965-1968).

Ordeal by Roses #32, 1961, de Eikoh Hosoe ed. dirigé par Yasufumi Nakamori (MACK, 2021) © Avec l’aimable autorisation de l’artiste et MACK
Kamaitachi #17, 1965, de Eikoh Hosoe ed. dirigé par Yasufumi Nakamori (MACK, 2021) © Avec l’aimable autorisation de l’artiste et MACK

Il y a chez Eikoh Hosoe, qui fut, entre autres enseignant aux États-Unis et co-fondateur du collectif éphémère VIVO, un vif désir d’échapper aux stéréotypes, de se soustraire aux contraintes du médium et de ne pas s’en cacher : la photographie comme une tentative d’évasion. D’où ce sentiment de puissance qu’expriment, par exemple, les corps (nus) qu’il a photographiés de très près, à la limite de l’intimité, comme s’il voulait les empêcher de sortir du cadre pour mieux les ravir (Embrace, 1969-1970). Ou les multiples portraits d’artistes saisis dans leur jeunesse, ainsi Ed van der Elsken, en 1959, ou Shomei Tomatsu, en 1972, qui ont presque l’air de sortir à reculons de leur propre histoire. 

By the Arakawa River, Near Yotsugi, Tokyo, 1971, de Eikoh Hosoe ed. dirigé par Yasufumi Nakamori (MACK, 2021) © Avec l’aimable autorisation de l’artiste et MACK

Eikoh Hosoe n’est pas un photographe aussi familier que peuvent l’être Nobuyoshi Araki ou Daido Moriyama, autocentré pour le premier, autarcique pour le second. Il provoque un certain étonnement, parfois même de l’incompréhension, tant il puise dans une esthétique intrigante qui prend source dans le théâtre, un imaginaire ritualisé, ou même la performance, vécue comme une délivrance. Il est un homme de son temps, mais à contretemps. Par son amplitude et sa précision éditoriale, cette monographie permet de pénétrer les passages secrets d’un maître japonais, au fond moins classique qu’il n’y paraît. 

Par Brigitte Ollier

Brigitte Ollier est une journaliste basée à Paris. Elle a travaillé durant plus de 30 ans au journal Libération, où elle a contribué à la renommée de la rubrique « Photographie », et elle a écrit plusieurs livres sur quelques photographes mémorables.

Eikoh Hosoe, édité par Yasufumi Nakamori, Mack, 400 pp., 65 €. Version anglaise et japonaise. Texte de Christina Yang.

Aussi une conversation instructive avec Ryuichi Kaneko (1948-2021) autour de sa collection de livres (interview Marc Feustel).

Pour retrouver Nicolas Bouvier :

Chronique japonaise de Nicolas Bouvier est paru chez Payot (1975).

Pour écouter Pauline Vermare, historienne de la photographie, et son point de vue (en anglais) sur les photographes japonaises, lors du Photofestival de Tbilissi, c’est ici.

Pour connaître le Japon à Paris : Maison de la Culture du Japon.

Embrace #46, 1970 de Eikoh Hosoe ed. dirigé par Yasufumi Nakamori (MACK, 2021) © Avec l’aimable autorisation de l’artiste et MACK
Man and Woman #20, 1960, de Eikoh Hosoe ed. dirigé par Yasufumi Nakamori (MACK, 2021) © Avec l’aimable autorisation de l’artiste et MACK
Man and Woman, an additional, 1959, de Eikoh Hosoe ed. dirigé par Yasufumi Nakamori (MACK, 2021) © Avec l’aimable autorisation de l’artiste et MACK

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