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Donna Ferrato, la libération au féminin

Donna Ferrato, la libération au féminin

En fouillant dans ses archives pour réunir 50 ans de photographies de femmes, de leurs extases à leurs effondrements, Donna Ferrato publie un troublant hommage à leur pouvoir.

« Holy ». c’est l’adjectif qu’a choisi Donna Ferrato pour qualifier les femmes. « Les hommes ont toujours tous les honneurs. Le soutien. Les éloges. La dévotion. Hanoukka, Noël, toute la tradition tourne autour de Dieu, jamais autour de la Mère de Dieu. Cela suffit », dit-elle. Depuis 50 ans, la photographe américaine a documenté les femmes. Elle-même, enceinte, mère puis grand-mère. Les femmes qui s’abandonnent au plaisir, dans des clubs ou dans l’intimité. Les femmes battues, les femmes qui s’en sortent. Et puis sa mère, plus récemment, qu’elle a accompagnée pendant ses dernières années. Toutes sont dans le livre qu’elle vient de publier chez powerHouse.

Holy © Donna Ferrato / powerHouse Books
Holy © Donna Ferrato / powerHouse Books

« Elles apparaissent dans ce livre parce qu’elles font partie de ma vie. » Donna Ferrato est une force émotionnelle, féroce de liberté, imbue d’indépendance, dédiée corps et ame a la cause féminine avec la photographie comme plaidoyer – cela n’en fait pas une féministe au sens traditionnel du terme pour autant. Elle parle ouvertement de sexualité, dont elle a constitué une série d’images plus passionnelles qu’érotiques publiées en 2004 sous le titre Love & Lust. Quand elle capture des scènes d’orgie, sans pudeur ni voyeurisme, c’est une éloge des relations libérées, consentantes, et c’est cette notion qui est au cœur de son combat contre la violence domestique. 

Holy © Donna Ferrato / powerHouse Books

Pourtant, les journaux lui ont souvent tourné le dos. La sexualité des femmes, personne n’en voulait. « Les femmes hétéro sont le sujet le plus impopulaire qui soit. Personne ne veut voir les gens prendre du plaisir. Ils peuvent regarder une photo de femme battue, mais pas d’une femme adulée et adorée au milieu d’une orgie ». Les scènes de violence, elle les capture avec la même impossible intimité, parfois si proche de son sujet qu’elle dissèque la peur et la rage dans leur crudité nue. Mais sa proximité est parfois si déroutante que l’éditeur auquel elle a envoyé la photographie d’une femme se faisant gifler a annulé la commande et n’a plus jamais repris contact avec elle.  

Holy © Donna Ferrato / powerHouse Books
Holy © Donna Ferrato / powerHouse Books

Dans cette photographie, Donna Ferrato est à moins d’un mètre de l’agresseur – on voit son reflet dans le miroir qui décompose la scène sous tous les angles. Et si cette image est restée, c’est non seulement pour son incroyable proximité, mais également parce que la démarche de la photographe repose sur cet effet miroir, sur le reflet positif qu’elle renvoie aux victimes et aux autres d’elles-mêmes. « Nous avons vécu tant de choses ensemble et je les vois finir de manière très positive. Et c’est ce que je veux. Je veux que nous nous apprécions tous et nous entraidions. C’est vraiment pourquoi je suis photographe. »

Holy © Donna Ferrato / powerHouse Books

« Philip (le photographe Philip Jones Griffiths, qui a longtemps été son partenaire) m’a toujours dit que j’étais différente des autres photographes parce que je me vraiment des gens ». Et comme celles de Philip, les photographies de Donna aussi ont contribué à faire changer les choses. « J’ai utilisé ma voix pour normaliser le sexe et raconter en photos des histoires que la plupart des photographes ne toucheraient pas », dit-elle dans les souvenirs de la photographe Claudia Glenn Dowling, qui introduit le livre. Ensemble avec Claudia, elles ont sauvé une femme de la fureur de son mari, habité dans un club échangiste pour y tourner un documentaire, fouillé dans la vie sexuelle des personnes âgées, manifesté seins nus pour la Gay Pride et chassé les suprémacistes blancs. Plus tard, Donna a meme choqué les membres du Ku Klux Klan, qu’elle couvrait en commande pour le Philadelphia Inquirer, en citant la chanson de John Lenon et Yoko Ono, « Woman Is the Nigger of the World ». On ne peut qu’imaginer leur tête.

Avec ce livre, une autre surprise attend ceux qui douteraient du pouvoir des femmes. « J’ai incrusté des messages subliminaux dans le livre pour retourner leur cœur. C’est mon assurance contre le patriarcat. » Une façon à la fois brute et poétique de rendre hommage à celles qu’elle a défendues toute sa vie.

Holy © Donna Ferrato / powerHouse Books

Par Laurence Cornet

Laurence Cornet est directrice éditoriale de l’association Dysturb, journaliste spécialisée en photographie, et commissaire d’expositions indépendante, à Paris.

Donna Ferrato, Holy
Publié par powerHouse Books
$49.95
Livre disponible ici.

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