Le photographe américain Todd Webb (1905-2000) n’a trouvé sa voie qu’assez tard dans sa vie. Banquier pour commencer, il perd tout lors du crash de 1929 et parvient à survivre ensuite dans l’ouest américain, d’abord comme chercheur d’or, puis comme garde forestier. En 1934, il retourne à Detroit, sa ville natale, et travaille pour le constructeur automobile Chrysler, qui lui fait cadeau d’un appareil photo. Il utilisera ce dernier lors d’un séjour au Panama.
Des chameaux au repos avec la colline Kassala en fond.
© 2021 Todd Webb Archive
À son retour, il devient membre du Detroit Camera Club, où il fait la rencontre du photographe Harry Callahan. Celui-ci deviendra l’ami de toute une vie, et l’accompagne lorsqu’il part s’installer à New York en 1945, pour devenir photographe professionnel. Fermement ancré dans la scène culturelle en plein essor de l’après-guerre, Webb voit sa carrière décoller. En 1955, il reçoit une bourse de la Guggenheim Foundation, qui lui demande de créer un grand portrait des États-Unis, en voyageant à pied d’une côte à l’autre, ce qu’il fait l’année où Robert Frank publie son recueil photographique The Americans.
En 1958, l’ONU charge Webb de parcourir huit pays d’Afrique sur cinq mois, pour documenter l’industrie, la technologie et la modernisation de cette région à l’aube de la décolonisation, surnommée l’African Independence Movement. Les photos qui en résultent, perdues depuis longtemps, viennent tout juste de revoir le jour, une renaissance concrétisée par l’ouvrage et l’exposition intitulés Todd Webb in Africa: Outside the Frame.
Togoland (Togo), 1958 © 2021 Todd Webb Archive
Comprendre, une véritable quête
Charmé par la perception romantique véhiculée autour du continent africain, Webb fait la chronique de son voyage avec l’esprit d’un romancier d’aventure du 19e siècle. « Le souffle court, j’attends le premier regard », écrit Webb dans son journal. « Encore quelques minutes et mon rêve se réalisera : voir l’Afrique. J’ai peine à le croire. Enfin ! Terre ! »
Comme beaucoup d’autres, Webb voit l’Afrique comme un pays et non comme le berceau de l’humanité, un continent qui contient la diversité génétique la plus large de toute la planète. Limité par ses conceptions réductrices, il cherche une espèce d’africanité partout où il va, sans jamais pouvoir trouver ni définir ce qui, en réalité, n’existe pas.
Puis il en vient à photographier la véritable réalité, et aide l’ONU à construire l’histoire de nations émergentes telles que le Ghana et le Soudan, récemment libérés, ainsi que le Kenya, le Togo, la Somalie, le Tanganyika et Zanzibar (qui forment désormais la Tanzanie), sans oublier la Fédération de Rhodésie, le Nyassaland et la Rhodésie du sud, depuis devenus le Malawi, la Zambie et le Zimbabwe. La plupart de ces pays obtiendront leur indépendance dans la décennie.
Voir la couleur
Webb travaille en couleur, ainsi qu’en noir et blanc, adoptant de nombreux formats avec un Leica 3, un Rolleiflex et un appareil moyen format 6×7. Particulièrement lumineuses, ses œuvres en couleur évoquent une période poignante tout en préservant la nature des peuples et des terres, à une époque où la photo couleur n’était pas fréquente en Afrique.
© 2021 Todd Webb Archive
Pour parvenir à ce résultat, Webb a dû s’adapter au fait de « voir la couleur », ce qu’il considérait comme son « travail », alors que la photographie en noir et blanc relevait pour lui de « l’amour ». Détail ironique, l’ONU publie les photos couleur de Webb en noir et blanc, et les originaux restent dans l’ombre jusqu’à ce que Betsy Evans Hunt les découvre, soigneusement emballés dans cinq malles entreposées au sous-sol chez un collectionneur.
Parmi les 2 000 photos de Webb, seules 22 avaient été publiées. Prises dans leur ensemble, ces images nous invitent à contempler le lien qui perdure aujourd’hui encore entre indépendance et impérialisme, ainsi que le rôle de la photographie dans la création de l’histoire.
Par Miss Rosen
Miss Rosen est journaliste spécialisée en art, photographie et culture, et vit à New York. Ses écrits ont été publiés dans des livres, des magazines et des sites web, dont Time, Vogue, Artsy, Aperture, Dazed et Vice, entre autres.
Todd Webb in Africa: Outside the Frame
À découvrir jusqu’au 13 juin
Minneapolis Institute of Art, 2400 Third Avenue South, Minneapolis, Minnesota 55404, USA
Édité par Aimée Bessire et Erin Hyde Nolan
Chez Thames & Hudson
$50,00
Livre disponible ici.