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Edouard Boubat, regard de velours

Tout juste rénovée, la Galerie Rouge consacre une nouvelle exposition aux dix premières années de la carrière du photographe humaniste Edouard Boubat, de 1946 à 1957, avec l’ambition de comprendre l’éclosion de son regard et de cette douceur qui caractérise ses clichés.
Edouard boubat
Autoportrait avec Lella, Paris, 1950 © Edouard Boubat

Des tirages inédits cohabitent avec des tirages rares et légendaires. L’exposition présente trois volets, Lella, premier grand amour du photographe qui fut sa muse, puis Paris, scène humaniste par excellence, et enfin, ses reportages à l’étranger (Portugal, Espagne, Italie et Etats-Unis). L’occasion de découvrir le regard d’Édouard Boubat décliné sur plusieurs sujets.

S’il ne s’agit pas de sa photo la plus iconique, l’autoportrait du photographe avec Lella nous offre les coulisses de cette collaboration artistique. Édouard Boubat, avec ses grands yeux bleus de la tendresse et sa bouche généreuse a le visage de l’amour à côté de sa muse qui, elle, pose avec aplomb tout en regardant l’objectif avec un oeil perçant. Les clichés de Lella sont le fruit d’un amour et d’une coopération artistique active.

Edouard boubat
Lella, Bretagne, 1947 © Edouard Boubat

Lella est l’amie de la soeur d’Édouard Boubat, et la rencontre des deux futurs amants fut d’abord photographique, comme elle l’évoquera. « La première fois que j’ai vu Édouard Boubat, c’est sur une photo. Cette photo était le seul ornement d’un mur, celui de la chambre de la soeur d’Edouard. Frère et soeur avaient des chambres d’étudiants contiguës, sous les combles. Et cette photo, je l’ai longtemps regardée. Cela se passait sous l’Occupation. (…) Seconde image : jeunes filles, jeunes gens nous dévalons bruyamment un escalier noir comme l’enfer, sans crainte de nous rompre le cou. Première à descendre (…), j’aperçois du haut du premier étage et dans un rectangle de lumière qui m’éblouit – l’embrasure de la porte d’entrée – un long jeune homme vêtu de vert. Je le “remets” tout de suite. Me frappent instantanément, et avant même de l’avoir approché, son attitude rêveuse, son “innocence” et un air de bienveillance sereine épandu dans toute sa personne. Un pressentiment me dit, à moi qui n’en ai jamais et qui en outre ne me suis jamais intéressée aux représentants de l’espèce masculine, que ce jeune homme m’est destiné et qu’il vient de m’être livré dans un emballage de soleil. (…) Vingt ans est notre âge et Paris vient d’être libéré. » 

Les clichés de Lella sont une ode à l’amour et une célébration de la féminité. « Le reflet de la femme en soi provoque un élargissement du coeur et nous invite à l’harmonie avec ce jaillissement » dira Édouard Boubat. Certainement le tirage le plus célèbre du photographe, Lella, Bretagne, 1947 présente Lella en gros plan, face à l’objectif, regardant au loin avec une allure fière de Marianne et une sensualité de sirène. Sa peau diaphane, ses cheveux ondulés au vent, elle ressemble à la proue flamboyante d’un navire.

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Lella, Bretagne, 1947 © Edouard Boubat

Ce qui est étonnant c’est cette lumière si particulière qu’on retrouve dans les clichés d’Édouard Boubat, elle est céleste et enveloppe toujours les sujets du photographe, on a l’impression de sentir le soleil nous caresser la peau. Un cliché reflète à merveille ceci, et présente Lella sur la plage au bord de l’eau, les pieds ancrés dans le sol, son buste droit et glorieux comme une statue antique, elle semble flotter dans le ciel radieux. Hymne à la vie.

On comprend bien pourquoi Édouard Boubat est un des éminents représentants de la scène humaniste, émergeant dans la France d’après-guerre, aux côtés de Robert Doisneau, Henri-Cartier Bresson, Brassaï et Willy Ronis. La guerre finie, on se réjouit d’être en vie. Lui-même le reconnaît : «  Après la guerre j’ai toujours vingt ans, j’ai envie de vivre (…). Mes photos comme des portes dans le temps m’ouvrent le monde : “En avant Route !” », “Il faut saisir la photo. C’est la vie qu’il faut embrasser pour qu’elle s’éveille ». L’humain, la vie sont au coeur de son travail photographique. Pour preuve, ses clichés présentés ici de Paris, et du Portugal, où il est envoyé en 1956 par le magazine Réalités dont il est l’un des principaux photographes.

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Nazaré, Portugal , 1956 © Edouard Boubat
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L’homme et l’enfant, Nazaré, Portugal, 1956 © Edouard Boubat
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Nazaré, Portugal, 1956 © Edouard Boubat

Cette commande portugaise se soldera par une véritable rencontre avec le pays et ses habitants, qui correspond d’ailleurs à une quête plus intime. La mère d’Édouard Boubat étant portugaise, le photographe se retrouve en quête de ses origines : « La photographie est comme une quête, un pèlerinage, une chasse ». Sa première photo prise là-bas, montre un homme tenant au plus près de lui son enfant qui dort paisiblement dans ses bras, il regarde la mer houleuse, moment de sérénité, de contemplation et de transmission. « Je vais voir la plage, je prends juste mon petit Leica de l’époque et cet homme était là. Clac. J’étais arrivé depuis une demi heure, il m’attendait avec son enfant, et j’ai fait ma première photo du Portugal, une photo qui restera. » 

Il immortalise un Portugal pauvre, laborieux mais heureux. À l’image de ces clichés pris sur les plages de Nazaré, village de pêcheurs traditionnel qui vit au rythme des marées et des vagues déchaînées. On voit des hommes, des femmes et des enfants, la peau tannée par le soleil, pratiquant la pêche au filet traditionnelle et physique appelée « Arte Xavega ». S’il documente la pêche portugaise pour Réalités, Édouard Boubat reviendra, irrésistiblement attiré par le pays et s’enfoncera dans les terres dans la région du Ribatejo, au bord du Taj.

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Boulevard Saint-Germain, Paris, 1948 © Edouard Boubat
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Première neige au jardin du Luxembourg, Paris, 1955 © Edouard Boubat

Celui que Jacques Prévert appelait le « correspondant de paix » dans « Eternité instantanée » de 1971 (« Boubat, lui, dans les villes les plus proches, comme dans les terres les plus lointaines ou les grands déserts de l’ennui, cherche et trouve des oasis. C’est un correspondant de paix ».) doit son titre à son ouverture, adoptant un regard neuf, et s’émerveillant de tout. « En photographie, nous employons des mots merveilleux, ouverture par exemple, il y a celle du diaphragme qui est une chose mécanique mais il y a aussi notre ouverture à nous. », «  Je crée avec ce qu’on me donne. Si je ne vais pas de l’autre côté de la terre, je peux photographier la fleur du jardin, un peu de lumière au pied de ma fenêtre ou ma chaise de paille. » dira-t-il. Les photos prises dans les rues et les parcs de Paris témoignent de cette saisie de la magie et de la poésie de l’instant : des enfants qui dansent sur les toits fumant de Paris, une bataille de boules de neige au jardin du Luxembourg, une chèvre de cirque en plein numéro. Édouard Boubat semble contempler la vie comme cette enfant qui regarde ce qui se passe à travers la vitrine d’un magasin du Boulevard Saint Germain, le nez écrasé contre la vitrine, happée. 

« Comme la photographie est faite de tout et de rien. Ce rien à faire. Seulement dire merci, aux amants, aux plages, au soleil, aux rencontres, à tous ceux qui sont partis dont il reste seulement une photo. Cette gratitude est mienne. »  Chaque personne croisée, chaque situation rencontrée semble s’offrir comme un cadeau, celui de la vie. 

Édouard Boubat contemple la vie avec un regard de velours. Ses photos s’offrent chacune comme un poème qui adoucit l’existence et nous invite à contempler la vie avec la même ouverture du regard. 

Exposition « Édouard Boubat, La douceur du regard (1946-1957) », à la Galerie Rouge, 3 rue du Pont Louis-Philippe, 75004 Paris, du mercredi au samedi de 11h à 19h, du 21 avril au 18 juin 2022.

Edouard Boubat
Grenade, Espagne, 1955 © Edouard Boubat
Edouard Boubat
Les mains de Lella, Ile-de-France, 1948 © Edouard Boubat
Edouard Boubat
Portugal, 1956 © Edouard Boubat

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