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Elsa Leydier: Signal d’Alerte du Brésil

Elsa Leydier: Signal d’Alerte du Brésil

Pour l’artiste Elsa Leydier, il ne s’agit pas de choisir si les images sont plus fortes que les mots, mais plutôt de montrer le pouvoir des deux ensemble. Sa dernière série, #elenão, a été créée lors des élections présidentielles au Brésil qui ont sacré Jair Bolsonaro.

Les images, à première vue paradisiaques, sont en fait fracturées, voire à certains endroits d’apparences sursaturés ou décolorés. Cette impression d’un bug ou de faille s’explique par le processus de traitement d’image qu’a effectué Elsa Leydier. En travaillant à partir d’images issues de la recherche “Brésil” sur Google, Leydier a inséré directement dans le code de l’image des phrases haineuses de Bolsonaro, résultant en une image altérée. Ce processus d’altération crée plusieurs effets.

“É um índio que está a solto aqui em Brasília, veio de avião, vai agora comer uma costelinha de porco, tomar um chope, provavelmente um uísque, e quem sabe telefonar para alguém para a noite sua ser mais agradável. Esse é o índio que vem falar aqui de reserva indígena. Ele devia ir comer um capim ali fora para manter as suas origens.” [Sobre uma das lideranças do sateré-maués em uma audiência na Câmara dos Deputados que tratava sobre a questão indígena em Roraima] (“Lui c’est un Indien qui est libre ici à Brasilia, il est venu en avion, tout à l’heure il va manger une petite côte de porc, boire une bière, probablement un whisky, et peut-être même téléphoner à quelqu’un pour passer une bonne nuit. Et c’est cet Indien qui est venu ici parler de réserve Indigène. Il devrait aller manger de l’herbe là-bas dehors, pour maintenir ses origines”. [A propos d’un leader sateré-maué durant une audience à la Chambre des Députés sur la question Indigène] ) © Elsa Leydier

Fractures & Illusions

La série #elenão brise les clichés. En utilisant des résultats de recherches Google, Leydier détourne des images utopiques du Brésil. De l’Amazone aux images de carnaval, Leydier nous montre que des images que l’on pense familières révèlent souvent autre chose lorsqu’on regarde de plus près. Pour Leydier, il s’agit surtout d’un intérêt pour le pouvoir des images et des représentations. Derrière les paysages de plage et les célébrations se cache une politique violente, et le travail de Leydier est là pour nous rappeler ce qu’il se passe en réalité au Brésil.

“Vamos fuzilar a petralhada aqui do Acre, hein? Vamos botar esses picaretas para correr do Acre. Já que eles gostam tanto da Venezuela, essa turma tem de ir pra lá.” (“Allez, on va fusiller les partisans du Parti des Travailleurs de la région de l’Acre ? On va faire fuir toutes ces pioches de l’Acre. Puisqu’ils aiment tellement le Vénézuela, ils doivent aller là-bas”.) © Elsa Leydier

Message du Brésil

#elenão est aussi une critique de la politique de Bolsonaro majoritairement menée sur les réseaux sociaux. Leydier explique que “montrer des visions d’un paradis tropical (comme le Brésil peut souvent être perçu, notamment depuis l’extérieur) affectées me paraissait être une bonne métaphore pour parler des populismes et extrémismes, et la manière dont ils minent des peuples et territoires”. En intégrant les phrases haineuses prononcées par Bolsonaro depuis le début de sa carrière politique directement dans le code de l’image, Leydier montre la manière dont ces propos peuvent être dissimulés, propagés et révélés.

“90% desses meninos adotados vão ser homossexuais e vão ser garotos de programa com toda certeza desse casal” (“90% de ces enfants adoptés vont être homosexuels puis devenir des prostitués à coup sûr” [à propos de l’adoption pour les couples homosexuels]) © Elsa Leydier

L’art de l’anthropocène

Enfin, la série est un terrible rappel que les propos de Bolsonaro ne sont pas seulement capables de déformer des images, mais que ces paysages pourraient être réellement fracturés, voire détruits, en conséquence de ses politiques environnementales et sociales.

“O erro da ditadura foi torturar e não matar” (“L’erreur de la dictature a été de torturer sans tuer”) © Elsa Leydier
“No período da ditadura, deviam ter fuzilado uns 30 mil corrutos, a começar pelo presidente Fernando Henrique, o que seria um grande ganho para a Nação” (“Pendant la dictature ils auraient du fusiller 30 mille corrompus, en commençant par le Président Fernando Henrique, ce qui aurait été un grand gain pour la Nation”) © Elsa Leydier
“O objetivo é fazer o cara abrir a boca. O cara tem que ser arrebentado para abrir o bico.” (Sobre a prática da tortura). (“Le but c’est que le mec ouvre la bouche. Le mec doit être éclaté pour ouvrir sa gueule” [sur la pratique de la torture]) © Elsa Leydier
“Ô Preta, eu não vou discutir promiscuidade com quem quer que seja. Eu não corro esse risco porque meus filhos foram muito bem educados e não viveram em ambientes como lamentavelmente é o teu” [Sobre uma pergunta da Preta Gil sobre como reagiria se filho namorasse negra] (“Ecoute Preta, je ne vais pas discuter promiscuité avec qui que ce soit. Moi je ne cours pas ce risque car mes fils ont été bien éduqués et n’ont pas vécu dans une ambiance comme celle qui lamentablement est la tienne”. [Comme réponse à Preta Gil qui lui demandait comment il réagirait si son fils sortait avec une femme Noire”] ) © Elsa Leydier
“Não sei qual é a adesão dos comandantes, mas, caso venham reduzir o efetivo [das Forças Armadas] é menos gente nas ruas para fazer frente aos marginais do MST, dos haitianos, senegaleses, bolivianos e tudo que é escória do mundo que, agora, está chegando os sírios também. A escória do mundo está chegando ao Brasil como se nós não tivéssemos problema demais para resolver.” (” Je ne sais pas quel est le projet des commandants, mais si jamais on venait à réduire les effectifs des Forces Armées, ça signifierait moins de gens dans les rues pour faire front face aux marginaux du Mouvement des Sans Terre, des haïtiens, Sénégalais, Boliviens et toute l’ordure du Monde, surtout que maintenant, les Syriens aussi sont en train d’arriver. L’ordure du Monde est en train d’arriver au Brésil comme si on n’avait pas assez de problèmes à régler.”) © Elsa Leydier

Par Claire Debost

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