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Fotoclubismo: lumière sur la photographie moderne brésilienne

Fotoclubismo: lumière sur la photographie moderne brésilienne

Pour sa dernière exposition au Museum of Modern Art, à New York, la conservatrice Sarah Meister explore le travail d’un groupe très influent de photographes amateurs brésiliens.
Roberto Yoshida, Gratte-ciels (Arranha-céus), 1959, Collection Fernanda Feitosa et Heitor Martins © 2020 Propriété de Roberto Yoshida 

Le 29 avril 1939, à 14h34 précises, un petit groupe de photographes amateurs se réunit dans le salon bleu de l’immeuble Martinelli à São Paolo, au Brésil, pour créer le Foto-Cine Clube Bandeirante (FCCB). Avocats, hommes d’affaires, comptables, biologistes, journalistes, ingénieurs, et banquiers… ces professionnels en col blanc partagent la même passion pour le progrès de la photographie. Des artistes comme Thomaz Farkas, Geraldo de Barros, Gertrudes Altschul, Maria Helena Valente da Cruz et Palmira Puig-Giró, pour n’en citer que quelques-uns, se retrouvent ainsi régulièrement dans un esprit de compétition et de camaraderie, afin de partager leurs découvertes.

Conscients que l’abstraction domine l’art moderne, les membres du FCCB repoussent alors les limites de la photographie, et leur influence s’étend aux cercles artistiques d’Europe et d’Amérique du Nord. Comme leurs pairs en peinture, design ou littérature, les membres du FCCB trouvent l’inspiration dans l’élégance majestueuse de la vie quotidienne, puisant dans l’architecture, la nature, les textures, les formes et les ombres, ou encore dans la solitude et le mouvement, pour créer de nouvelles façons de voir le monde.

André Carneiro, Rails (Trilhos), 1951, The Museum of Modern Art, New York © 2020 Propriété de André Carneiro

Pendant 25 ans, en quête d’originalité stylistique et technique, le FCCB n’a cessé de défier les stéréotypes visuels, résistant à l’attrait de la répétition et du cliché. Mais avec le coup d’État de 1964, qui voit les États-Unis financer le renversement du président João Goulart par les forces armées brésiliennes, un régime répressif brutal se met en place. Il va dominer le pays les vingt années suivantes. Alors que le FCCB se prépare pour la huitième Biennale de São Paulo en septembre-novembre 1965, le gouvernement commence aussi à emprisonner les opposants et intellectuels, marquant la fin d’une époque.

Après sa dissolution, le FCCB a pratiquement disparu de l’histoire de la photographie moderne hors du Brésil. Pour sa dernière exposition au Museum of Modern Art, qui se tient depuis le 8 mai, la conservatrice Sarah Hermanson Meister propose Fotoclubismo: Brazilian Modernist Photography and the Foto-Cine Clube Bandeirante, 1946–1964, revenant sur un chapitre essentiel mais oublié de l’histoire de l’art. Avec plus de 60 photographies issues de la collection du MoMA, l’exposition et le catalogue présentent une série d’œuvres offrant un aperçu indélébile du modernisme à la saveur brésilienne au milieu du siècle dernier.

Œil vif et esprit curieux

Geraldo de Barros, Fotoforma, 1952-53, The Museum of Modern Art, New York © 2020 Archives Geraldo de Barros. Avec l’aimable autorisation de la Galerie Luciana Brito

Sarah Meister découvre le FCCB en 2005, lorsque le conservateur américano-vénézuélien Luis Pérez-Oramas présente l’œuvre du photographe et peintre brésilien Geraldo de Barros (1923-1998) au MoMA. Elle est alors frappée par un autoportrait de Barros datant de 1949 où un rayon de lumière illumine les yeux du modèle, conférant une touche surréaliste à un portrait des plus classiques. Le photogramme Fotoforma de 1952-53 de De Barros attire également son attention ; l’image abstraite de la lumière brillant à travers une carte perforée de son employeur, Banco do Brasil, révèle la rencontre fascinante d’un œil vif et d’un esprit curieux.

« Lorsque vous voyez quelque chose que vous aimez vraiment, en tant que conservateur, vous vous demandez : “Comment se fait-il que cela soit entièrement nouveau pour moi ? Pourquoi est-ce totalement absent de tous les chapitres de l’histoire de la photographie enseignés à l’école ?” », explique Sarah Meister. « Le MoMA nous encourage à essayer de répondre à ces questions. Je me suis rendue au Brésil où j’ai rencontré des conservateurs, des universitaires, des historiens, des collectionneurs et des artistes pour qui cette œuvre fait partie intégrante de l’histoire qu’ils racontent. J’ai pu établir un contexte et chercher pourquoi ces œuvres étaient passées à la trappe. »

Maria Helena Valente da Cruz, The Broken Glass (O vidro partido), c. 1952, The Museum of Modern Art, New York © 2020 Propriété de Maria Helena Valente da Cruz

En tant que membre de l’establishment, la conservatrice reconnaît l’importance de tenir compte de l’impact de son travail. « Aussi compliquées que soient les histoires racontées, l’envie de simplifier est compréhensible. J’y ai moi-même participé », poursuit-elle. « Tout au long de ma carrière, mes réflexions sur la photographie ont en partie été une tentative de trouver du sens à la diversité désordonnée de ce médium et in fine, je m’aperçois que dans cette volonté de faire sens, on peut, par inadvertance, simplifier à l’excès. »

Écrire et réécrire l’histoire

En organisant Fotoclubissimo, Sarah Meister ne se contente pas de mettre en lumière un chapitre manquant de l’histoire de l’art, elle interroge les idées d’un passé depuis longtemps révolu. « Je m’intéresse à la façon dont les modes passent et les consciences changent », explique t-elle. « Ce groupe était très célèbre dans les années 1950, et leurs clichés ont été primés sur les six continents. Ces photographes reconnus dialoguaient avec des artistes en Allemagne, en France et aux États-Unis. Passer de cette renommée à la situation actuelle, où je n’ai jamais entendu parler de l’un d’entre eux, montre à quel point l’histoire peut être versatile. »

Aldo Augusto de Souza Lima, Vertigo (Vertigem), 1949 The Museum of Modern Art, New York © 2020 Propriété de Aldo Augusto de Souza Lima

En redonnant à la FCCB la place qui lui revient, Sarah Meister attire également l’attention sur l’utilisation d’un langage colonialiste. Bien que le Brésil ait obtenu son indépendance du Portugal en 1825, un siècle plus tard, la pensée impérialiste était toujours en vogue dans la bourgeoisie. L’adoption du nom de « Bandeirante » (porte-drapeau en portugais), José Donati, membre du FCCB, l’explique dans un article de 1948 pour Boletim 24, le magazine mensuel du groupe : « Pour ceux qui ne connaissent pas l’histoire de São Paulo, Bandeirante fut le nom donné aux citoyens de la ville qui exploraient les confins du Brésil ; car ces nouveaux Paulistas allaient devenir les nouveaux bandeirantes, porteurs d’un nouveau standard de diffusion et de progrès, explorant la photographie d’art (connue et pratiquée par très peu d’initiés) à travers le Brésil. »

Les mots détiennent un pouvoir, renforçant les idéologies et les archétypes qui autrement minimisent ou effacent des pans entiers de l’histoire. « À un moment où Rio était encore la capitale et où São Paolo se débattait pour se forger une réputation internationale, les Bandeirante formaient un groupe régional », précise Sarah Meister. « Considérés comme des explorateurs et des précurseurs, ils étaient aussi perçus comme investis d’un fort sentiment d’appartenance local vecteurs d’une identité locale. C’est pour cela qu’ils ont choisi ce nom. Il est aujourd’hui important de reconnaître la problématique de l’asservissement des populations indigènes, de l’exploitation des ressources naturelles, de la recherche du contrôle territorial sous emprise coloniale – ce n’est pas compliqué, si l’histoire de l’art ne doit pas célébrer ces faits, comme toute histoire qui se respecte, elle doit nous les apprendre sous un nouvel angle. »

Gertrudes Altschul, Filigrane (Filigrana), 1953, The Museum of Modern Art, New York © 2020 Propriété de Gertrudes Altschul

Sarah Meister, qui a rejoint le MoMA comme conservatrice adjointe en 1997, avant de devenir conservatrice en 2009, a pris en ce mois de mai ses nouvelles fonctions de directrice exécutive chez Aperture, où elle continuera d’explorer les façons dont la photographie crée du lien entre les hommes. « La communauté est un aspect précieux de notre expérience humaine », dit-elle. « La photographie a toujours été un moyen fertile de l’explorer, qu’il s’agisse de poster une photo sur Instagram ou de se réunir dans un clubhouse pour parler de la photographie et de son importance, comme l’ont fait ces amateurs. La photographie peut rassembler les individus et aider à comprendre nos différences. Je ne pense pas qu’il y ait un autre médium qui offre les mêmes possibilités. »

Par Miss Rosen

Miss Rosen est une journaliste basée à New York. Elle écrit sur l’art, la photographie et la culture. Son travail a été publié dans des livres, des magazines, notamment TimeVogueAperture, et Vice.

« Fotoclubismo : Brazilian Modernist Photography and the Foto-Cine Clube Bandeirante, 1946-1964 », du 8 mai au 28 septembre 2021 au Museum of Modern Art, 11 W 53rd St, New York, NY 10019, USA.

Catalogue de l’exposition, publié par le Museum of Modern Art, New York. $45.00

Julio Agostinelli, Circus (Circense), 1951, The Museum of Modern Art, New York © 2020 Propriété de Julio Agostinelli
Thomaz Farkas, Ministère de l’Education (Ministério da Educação), [Rio de Janeiro], c. 1945, The Museum of Modern Art, New York. Don de l’artiste © Thomaz Farkas
Palmira Puig-Giró, Untitled, c. 1960, The Museum of Modern Art, New York. Fonds Agnes Rindge Claflin © 2020 Propriété de Palmira Puig-Giró

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