
D’abord ingénieur des brevets, Isabelle Le Minh est diplômée de photographie en 1993. De cette première carrière, on trouve trace dans son approche. C’est avec ingéniosité qu’elle vient questionner le médium et sa façon de vivre dans le temps. Dans une interview qu’elle donne à Arte en 2017 elle explique que l’apparition de la photographie numérique a été décisive dans sa démarche : « qu’est ce qui va changer, qu’est ce qui est intéressant par rapport à la photographie argentique traditionnelle ? ». Un questionnement qu’elle travaille pour la première fois dans Trop tôt, trop tard – After Cartier-Bresson, une série dans laquelle elle expérimente pour la première fois ce qui fait aujourd’hui son style : la citation et le détournement. Dans ses photographies, elle reprend des œuvres de Cartier-Bresson qu’elle modifie, en enlevant toute présence humaine. En partant du travail de Cartier-Bresson, qui porte haut la notion « d’instant décisif », elle commence ainsi à interroger les effets du numérique sur cet instant qu’il est désormais possible de créer de toute pièce.

La post-photographie en question
Une réflexion autour de la post-photographie -à laquelle fait d’ailleurs très bien écho le titre de cette exposition, Before something new (avant quelque chose de nouveau), qu’elle prolonge également dans sa dernière série Traumachrome. Partie photographier l’entreprise Kodak à Rochester (USA) sur du film noir et blanc TRi-X, elle voulait rendre compte du déclin de l’empire de la marque. Au moment de scanner ses pellicules, du jaune et du rouge (les emblématiques couleurs Kodak) se sont invitées sur les scans. Un dialogue avec l’histoire de la photographie certes créé à son insu mais qu’elle n’a pas hésité à embrasser pour, là encore, mieux interroger les évolutions du médium.
Son dialogue avec l’histoire de la photographie ne s’arrête pas aux œuvres et aux artistes, c’est également la dimension technique et théorique qu’elle aime questionner. C’est notamment le cas dans sa série Life Time, After Robert Heinecken qui détourne l’encyclopédie Time-Life (une compilation de plusieurs tomes destinés aux jeunes photographes très utilisée dans les années 60) en la numérisant puis la photographiant à nouveau, à l’argentique cette fois.

Silver, 2019, Courtesy Galerie Christophe Gaillard, Paris. © Isabelle Le Minh, ADAGP, 2019. © Photo: Rebecca Fanuele.
Un hommage aux débuts de la photographie
A mi-chemin entre la photographie et l’art conceptuel, jeux techniques, détournements clins d’œil et superpositions, Isabelle Le Minh démontre une fine et intelligente connaissance de l’histoire de la photographie. En dialoguant ainsi avec les âges, elle porte à voir ce qui est aujourd’hui oublié des premiers débuts de la photographie. Plus que de lui rendre hommage, elle la fait revivre à nouveau, même si c’est un peu autrement.

Moebius film, 2019, Courtesy Galerie Christophe Gaillard, Paris. © Isabelle Le Minh, ADAGP, 2019.

Par Sophie Puig
Before something new, Isabelle Le Minh
Du 7 septembre au 12 octobre 2019
Galerie Christophe Gaillard, 5 Rue Chapon, 75003 Paris