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Joel Meyerowitz à la plage

Joel Meyerowitz à la plage

Dans son dernier livre, Provincetown, Meyerowitz capture fierté et émotion.

Située dans la baie d’un cap, à quelques 500 km au nord-est de la 5ème avenue de New York  et de l’agitation de ces trottoirs où Joel Meyerowitz a réalisé les images qui l’ont rendu célèbre, se trouve une petite station balnéaire que l’on a surnommée P’town.


Renee, Provincetown, Massachusetts, 1981; from Joel Meyerowitz: Provincetown (Aperture, 2019) © Joel Meyerowitz

Dans son récent livre très évocateur, Provincetown, Meyerowitz décrit P’town comme «un lieu d’une grande beauté naturelle, avec ses plages de sable infinies, ses dunes, ses forêts et ses étangs cachés dans les bois». Et pourtant, vous ne trouverez pas une seule forêt, un seul étang, parmi les plus de 100 images du livre. En guise de cela, Meyerowitz, avec son regard aiguisé de citadin et son indéfectible aptitude à saisir l’instant, a réalisé là-bas de tendres portraits ensoleillés d’estivants des années 1970 et 80.

Dans les années 70, lorsque Meyerowitz, attiré par la lumière légendaire de la région, commença de passer ses étés à Provincetown, il y trouva un paradis pour les écrivains, les artistes, les esprits créatifs, les membres de la communauté gay et lesbienne, aussi bien que pour les étrangers en tout genre. «Ce que j’ai découvert, dit-il dans l’introduction du livre, c’est la manière dont la lumière pénétrait et dévoilait le mystère des gens, révélant leur véritable identité, de telle sorte que chacun devenait beau. »


Darrell, Provincetown, Massachusetts, 1983 ; from Joel Meyerowitz: Provincetown (Aperture, 2019) © Joel Meyerowitz

Comprenant le parti qu’il pouvait en tirer, il publia une annonce dans le journal local où l’on pouvait lire: «PERSONNES REMARQUABLES! Si vous sentez que l’on vous remarque en raison d’une tache de naissance, d’une cicatrice, d’une expérience personnelle, de cheveux roux, etc. […] je voudrais faire votre portrait. » Des gens répondirent à l’annonce, et Meyerowitz les prit en photo avec un appareil grand format 8 x 10.

Il a notamment réalisé le portrait de Norman Mailer le plus chaleureux que l’on n’ait jamais vu, tenant son jeune fils dans ses bras robustes, celui d’une femme blanche en maillot de bain noir enlacée à un homme noir en maillot de bain blanc, ou encore le portrait fascinant d’un enfant aux taches de rousseur avec un poisson imposant sur les épaules – tout cela révélant un chatoiement de la vision qui captive le regard.

Mais Meyerowitz a également photographié des hommes qui aiment les hommes et des femmes qui aiment les femmes, par exemple deux femmes insouciantes, toutes deux en chemise verte, s’approchant l’une de l’autre, ou encore une femme, un perroquet juché sur son épaule, sa jambe enlacée de manière suggestive par la main de sa compagne. De par leur sujet, sans parler de leur composition et de leur caractère direct (l’objectif est toujours au niveau des yeux du sujet, il y a toujours un contact visuel, nulle sentimentalité), ces portraits sont d’une incroyable modernité. Et le discret sentiment de fierté, le bien-être qu’expriment les images de Meyerowitz sont réellement saisissants: en les regardant, l’on oublie facilement qu’elles ont été réalisées des décennies avant que le mariage pour tous ne devienne légal dans cette région.

​​​​​Elizabeth and Melinda, Provincetown, Massachusetts, 1981 ; from Joel Meyerowitz: Provincetown (Aperture, 2019) © Joel Meyerowitz

Il faut ajouter que personne n’avait la moindre idée, à l’époque, des ravages que causerait l’épidémie de SIDA au sein de la communauté gay. Le spectateur sait ce qui allait arriver –  au contraire des hommes et des femmes posant devant l’objectif avec, en arrière-plan, une mer paisible – et ce terrible savoir provoque, au fil des pages, une émotion poignante.

Rien ne saurait nous surprendre de ce que Meyerowitz – deux fois boursier de la fondation Guggenheim, ayant à son actif plus de 350 expositions – peut accomplir avec un appareil photo. Et pourtant, le passage d’un Leica 35 mm (un appareil qu’il pouvait tenir à la main tout en se frayant un chemin à travers les rues animées de New York) à une chambre grand format sur trépied est quelque chose qui mérite l’attention. Le processus de réalisation de ces images, dit-il, l’a conduit à réfléchir à des questions difficiles sur ce que capture réellement un portrait, et à ceux à qui sa vérité s’adresse. « En bref, qu’est-ce qu’un portrait ? », s’interroge-t-il rétrospectivement dans Provincetown. Ce à quoi il répond: «Vivre un moment de fascination en présence d’une autre personne.» Et dans le cas de cette série de portraits subtile et sensible, c’est aussi le tiraillement du temps qui passe.


Carol, Provincetown, Massachusetts, 1980 ; from Joel Meyerowitz: Provincetown (Aperture, 2019) © Joel Meyerowitz
Steve, Debbie, Guy, and Mark, Provincetown, Massachusetts, 1985 ; from Joel Meyerowitz: Provincetown (Aperture, 2019) © Joel Meyerowitz
Stephen, Lynette, and Jack, Provincetown, Massachusetts, 1981 ; from Joel Meyerowitz: Provincetown (Aperture, 2019) © Joel Meyerowitz

Steven, Provincetown, Massachusetts, 1981 ; from Joel Meyerowitz: Provincetown (Aperture, 2019) © Joel Meyerowitz
Caroline and Margaret, Provincetown, Massachusetts, 1983 ; from Joel Meyerowitz: Provincetown (Aperture, 2019) © Joel Meyerowitz

Par Bill Shapiro

Bill Shapiro est l’ancien rédacteur en chef du magazine LIFE et l’auteur de What We Keep.


Provincetown 

Aperture 

75,00 $

27cm x 32cm, 160 pages

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