Wind + Sand. Curonian Spit,1976-2000 © Kazimieras Mizgiris
L’Isthme de Courlande est une barre de sable de près de 100km de long, qui se lance comme une langue de lézard, de la Russie baltique à la côte lituanienne. Selon la mythologie locale, il a été sculpté par une déesse de la mer, la géante Neringa. Un coup d’œil sur les photographies de Kazimiras Mizgiris suffit pour se rendre compte que le jeu divin se poursuit sans fin. On s’imagine facilement d’énormes mains qui modèlent du sable mouillé en sculptures fantastiques ou lissent les dunes, y laissant des traces sinueuses des bouts des doigts.
Chez soi en exil
Le photographe lituanien Kazimiras Mizgiris est arrivé dans le village de Nida en 1974 en tant qu’exilé intellectuel : il était courant à l’époque que les autorités communistes bannissent dans les provinces peu peuplées des « éléments » qu’elles considéraient « dangereux » ou « corrompus ». Ce petit village de pêcheurs et ancienne colonie d’artistes allemands, avec son air salé, le sable qui s’infiltre partout, y compris dans le bol de soupe, et les paysages changeants, a vite captivé Mizgiris qui n’a jamais voulu le quitter.
Wind + Sand. Curonian Spit,1976-2000 © Kazimieras Mizgiris
En plus de sa pratique photographique, il est collectionneur et marchand d’ambre et fondateur d’un musée de l’ambre. Un jour, il reçut la visite de la directrice d’une galerie allemande qui s’intéressait au passé de la ville, et plus particulièrement aux traces du photographe allemand Alfred Ehrhardt. Il fallut dix ans avant que la directrice Christiane Stahl ne puisse donner suite à sa découverte et inviter le photographe lituanien à exposer son travail à la galerie Alfred Ehrhardt à Berlin.
« Poétiquement, l’homme habite sur cette terre… »
L’œuvre de Mizgiris semble incarner ce que le poète allemand Hölderlin avait en tête lorsqu’il a invoqué l’idée d’« habiter poétiquement la terre ». La poésie est un acte de fabrication, et pour Mizgiris cela signifie être attentif au pouvoir créatif des éléments naturels : le vent qui pousse des gros grains de sable le long de la pente d’une dune comme une fine brume ou qui transporte en tourbillons d’infimes particules ; qui pétrit du sable appesanti par la pluie en des formes fantastiques sans d’autre but que les éroder en piliers impossibles ; ou qui plie le dos d’une dune à croissant comme si un géant s’agitait dans son sommeil…
Wind + Sand. Curonian Spit,1976-2000 © Kazimieras Mizgiris
Le travail du photographe consiste souvent, un peu paradoxalement, dans l’inactivité : « Il faut de la patience pour attendre le moment où se produit le miracle de la formation de la mer, du vent, du soleil et des nuages dans le sable », explique Mizgiris. « Il faut attendre qu’un nuage se forme au-dessus des dunes et que l’ombre se déplace où il faut. » Le photographe allie habilement la lenteur contemplative attentive aux rythmes de la nature à une palette d’éléments aléatoires.
L’abstraction et l’imagination
Les portraits du sable de Mizgiris dialoguent avec une sélection d’images d’Alfred Ehrhardt (1901–1984). Le photographe allemand a été fasciné par l’émergence de formes abstraites dans la nature. Comme Mizgiris, il a passé des années à photographier des dunes éphémères et des replats de marée, à documenter les empreintes d’oiseaux dessinant un angle droit contre l’arc d’une dune, des micro-entonnoirs et crêtes, des ondulations et des creux dans le sable… Alors que Ehrhardt était toujours en quête de motifs, Mizgiris, dans son rapport au paysage, est essentiellement poète : les dunes deviennent une fois de plus un terrain de jeu des dieux, un site primordiale de la création du monde où toutes les formes géologiques sont inventées et effacées, comme si un enfant divin apprenait son métier.
Wind + Sand. Kurische Nehrung © Kazimieras Mizgiris
Wind + Sand. Curonian Spit,1976-2000 © Kazimieras Mizgiris
Spine of a mirating dune, 1934 © Alfred Ehrhardt Stiftung
Par Ela Kotkowska
100 Years of Bauhaus, Part IV: The Curonian Spit: Kazimiras Mizgris & Alfred Ehrhardt
Du 21 septembre au 22 décembre 2019
Alfred Ehrhardt Stiftung, Auguststr. 75, D – 10117 Berlin