
Nombre des œuvres présentées dans cette exposition l’ont été lors d’une exposition orchestrée en 2014 au MoMA, à New York, par les commissaires Sarah Meister et Quentin Bajac, suite aux acquisitions des images du collectionneur depuis 2001.
Aujourd’hui directeur du Jeu de Paume, à Paris, Quentin Bajac, ainsi que son ex-collaboratrice du MoMA – aujourd’hui directrice d’Aperture -, nous proposent de découvrir la collection du MoMA de Thomas Walther, augmentée des dernières acquisitions de l’institution new-yorkaise de 2017 auprès du collectionneur. Une avant-première.
Thomas Walther : une collection éclectique de chefs d’œuvre
En 1970, l’Allemand Thomas Walther décide de quitter son pays pour s’établir en tant que photographe professionnel et commercial à New York. Cette nouvelle vie américaine coïncide avec le début de son activité de collectionneur qu’il poursuivra durant près de 20 ans, jusqu’à la fin des années 1990.


Il constitue sa collection au gré de ses rencontres avec les photographes et ayants droits, en fréquentant assidûment galeries et marchands d’art, ne suivant qu’une logique, celle de ses envies et coups de cœur. Rodtchenko, Berenice Abbott, Claude Cahun, Lissitzky, Edward Weston, André Kertész… la collection de Thomas Walther compte des chefs d’œuvres d’artistes célèbres tout comme des images d’artistes plus confidentiels.
Ce qui frappe dans cette exposition, c’est d’abord le foisonnement des images. La diversité de sa collection ne tient pas qu’aux artistes, mais aussi aux genres et aux approches. Architecture, portraits, nus, reportages, photomontages… Ces photographies sont le témoignage de l’esprit de liberté et de l’ébullition qui animent les cercles artistiques durant l’entre-deux-guerres.
À l’époque, que ce soit en Europe ou aux États-Unis, les photographes n’ont de cesse d’expérimenter et créent une grammaire photographique d’avant-garde.


Collection Thomas Walther : clichés urbains
L’urbanisation et ses constructions de plus en plus verticales fascinent et offrent de nouveaux points de vue (plongée, contre plongée). Grouillantes, les villes sont perçues comme des organismes vivants. Les photographes prennent des instantanés de scènes de rue, un terrain de jeu inépuisable.
Berenice Abbott documente les évolutions urbaines en photographiant en noir et blanc des buildings new yorkais très « hopperiens ». Quand Paul Citroën rend le caractère compact et labyrinthique de la ville à travers un photomontage de 200 images où les humains minuscules, fourmillent. Des artistes du Bahaus immortalisent les volumes et formes géométriques épurés et austères de bâtiments. Une photo interpelle, un autoportrait de Hajo Rose réalisé grâce à une superposition de négatifs : la façade d’un bâtiment apparaît sur le visage de l’homme qui regarde droit devant.
La face de l’humanité face au progrès. Un beau résumé du propos de cette exposition.

Collection Thomas Walther : réinventer le genre
Les photographes revendiquent enfin le médium photographique – auparavant dissimulé – et prennent la pose avec leur appareil en évidence. Henri-Cartier Bresson par George Hoyningen-Huene, Maurice Tabard avec Roger Parry ou Edward Steichen: ils célèbrent l’outil nomade avec lequel ils font corps et qui fait d’eux des explorateurs et expérimentateurs. Il n’y a qu’à voir la série « aérienne » hallucinante du photoreporter allemand Willi Ruge : « Je me photographie en train de sauter en parachute ».
Comme le nom de la série l’indique, l’homme se photographie en pleine chute libre, son appareil photo attaché à sa taille : la tête euphorique, à moitié mangée par son masque de parachutiste, et la bouche béante, le photographe réalise, un « selfie » audacieux et très avant-gardiste. L’imminence du danger apparaît sur un autre cliché, où les pieds du photographe flottent dans le vide.


Artistes de l’audace et de la mobilité, ces photographes d’avant-gardes s’extirpent alors de la photographie d’art et se lancent dans le photoreportage. Ils s’intéressent à la vitesse et au mouvement, figés par l’instantané. On retient son souffle en observant les corps en apesanteur des nageurs qui s’élancent du plongeoir dans le vide.
Sur la photo de John Gutmann, la championne olympique de plongeon de haut vol, Marjorie Gestring, semble flotter dans le ciel, son corps formant une parallèle quasi parfaite avec le plongeoir. Ces clichés d’exploits sportifs sont encore l’occasion d’expérimenter des cadrages originaux où le sujet principal se retrouve au bord du cadre. Comme cette image de plongeur, en plein développement d’une figure, qui n’est plus qu’une forme ronde en haut à droite du cadre, pour laisser les 3/4 de la photo au ciel et aux nuages.
Collection Thomas Walther : refléter le tourbillon de la vie
A travers ces expérimentations tous azimuts, on distingue deux mouvements. Les américains sont en quête d’une photographie de « haute fidélité », qui reproduise la réalité à l’identique. Karl Blossfeldt, lui qui est allemand, en est un éminent représentant avec ses photographies de végétaux. Et constitue un herbier photographique.
Les européens se tournent vers une photographie plus abstraite et surréaliste. A l’image d’André Kertész et ses « Distorsions », où les corps sont comme passés aux miroirs déformants. Ou encore les jeux de lumière, reflets et formes d’artistes comme l’américano-britannique Alvin Langdon Coburn qui participera au « vorticisme ».
Mouvement artistique britannique dans le prolongement du cubisme, lancé par le poète Ezra Pound qui établit le « vortex » comme un « tourbillon de fluides, explosion de formes et d’idées ».

Ce qui est certain, c’est que cette somme de photographies est bien le reflet du tourbillon de la vie, et on en ressort avec la sensation d’avoir passé un moment dans un kaléidoscope magique.
Par Marie d’Harcourt
Marie d’Harcourt est journaliste chez Blind Magazine, à Paris.
« Chefs d’oeuvres photographiques du MoMA. La collection Thomas Walther » au Jeu de Paume du 14 septembre 2021 au 13 février 2022, commissariat Sarah Meister et Quentin Bajac
Le catalogue de l’exposition. Textes de Quentin Bajac, Michel Frizot et Sarah Hermanson Meister. Coédition Jeu de Paume/Les éditions de la Martinière/MoMa. Broché, 19×25,5 cm, 352 pages, env. 300 ill, 39€.


Collection Thomas Walther. Don de Thomas Walther © Estate Germaine Krull, Museum Folkwang, Essen
© The Museum of Modern Art, New York, 2021


Don de Thomas Walther Avec l’aimable autorisation de la Steinitz Family Art Collection. © The Museum of Modern Art, New York, 2021