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La scène latino LGBTQ du Los Angeles des années 1980

La scène latino LGBTQ du Los Angeles des années 1980

Le photographe Reynaldo Rivera retrace son enfance à Los Angeles. C’est là qu’il a grandi, avant la gentrification, avant les projecteurs et l’avènement de la « Cité de la nuit ».

« La seule décennie qui m’inspire de la nostalgie, c’est celle des années 1970 », raconte, installé chez lui à Los Angeles, Reynaldo Rivera. « Pour moi, elles sont auréolées de rêve. Pourtant, j’ai vécu quelque chose d’horrible à cette époque. Mon père m’a kidnappé, avec ma sœur, et nous a emmenés dans un village au Mexique avant de disparaître pendant plusieurs années. On dirait une histoire à la Oliver Twist. Nous avons été recueillis par une dame, qui chantait des airs de Toña la Negra. J’aurais dû avoir une mère, des tantes et des oncles… mais ma baby-sitter, c’était la musique. »

Provisional Notes from a Disappeared City © Reynaldo Rivera
Provisional Notes from a Disappeared City © Reynaldo Rivera

Rivera reprend quelques mesures d’Arráncame La Vidad, un boléro lancinant de la chanteuse Toña la Negra, avant de poursuivre. « C’est ma plus grande influence. La musique a ouvert une porte, et j’ai pu créer un environnement dans lequel j’avais envie de prendre des photos. L’immersion dans cette musique mexicaine, pleine de douleur et de tragédie, a fait de moi un personnage baroque, enclin aux émotions les plus vives. J’ai cherché mes réponses chez Toña la Negra, puis Bessie Smith et Billie Holiday, et j’ai appris à prendre des raclées, tout en adorant ça. » 

Jeunesse

Durant sa jeunesse, Rivera voyage entre le Mexique et les États-Unis, et s’aperçoit que grâce à la photographie, il pourra instaurer un semblant de continuité dans sa vie chaotique. Il déniche un appareil dans une pile d’objets volés par son père et se lance, sans avoir la moindre idée de son fonctionnement.

« Pellicule après pellicule, rien n’en sortait », se souvient Rivera. « La dame de la boutique photo m’a expliqué comment me servir de tous les boutons. Mais quand on ne sait rien, ni sur les pellicules, ni sur la lumière, c’est du chinois. J’ai cru que je ne comprendrais jamais rien, mais rapidement, tout est devenu instinctif. »

Provisional Notes from a Disappeared City © Reynaldo Rivera

Rivera est alors un autodidacte et photographie par besoin viscéral. Loin de se considérer comme un artiste, il est pourtant animé par l’envie de ressembler à Brassaï, un photographe français dont il a découvert les œuvres dans une librairie d’occasion de Stockton, en Californie. Adolescent à l’époque, il travaille avec son père dans une conserverie.

« La Philippine qui tenait la caisse avait un faible pour moi. Elle me laissait prendre des caisses entières de bouquins pour un dollar. C’est comme ça que j’ai découvert des gens comme Lisette Model et Cartier-Bresson. Je prenais des piles de magazines du début du siècle et des années 1920, et je les dévorais. Voilà mon école : tout ce que les gens mettaient au rebut. Et me voilà, à 56 ans. »

Provisional Notes from a Disappeared City © Reynaldo Rivera

Rivera marque une pause, la gorge serrée par l’émotion de ne jamais avoir reçu d’éducation. « Comme je n’ai pas fait d’études, j’ai toujours eu l’impression que je ne pouvais pas contribuer à une discussion, que je n’avais pas de crédibilité. J’en retire un complexe d’infériorité, et c’est la raison pour laquelle je ne me suis jamais présenté comme photographe. »

Glamour

La photographie fournit ainsi à Rivera une stabilité, alors que son parcours paraît tumultueux et tourmenté. Dans les années 1970, il intègre un gang local. Il y a pourtant cette impression qu’il n’est pas fait pour cette vie et quitte le gang après la mort violente de son mentor Gato. De cholo, il devient punk, puis passe à la new wave, sans jamais se retourner. Il finit par faire son coming out en 1983, alors même qu’il obtient un poste au LA Weekly.

Provisional Notes from a Disappeared City © Reynaldo Rivera
Provisional Notes from a Disappeared City © Reynaldo Rivera

Au journal, il sort avec le critique musical, devient ami de l’éditeur mode, et des portes s’ouvrent à lui, après des années passées dans l’exclusion. Armé d’un accès VIP aux boîtes de nuit LGBTQ et latinos telles que Mugi, The Silverlake Lounge et La Plaza, prend des portraits des artistes et des clients, venus se réfugier à l’abri d’un monde hostile. Son dernier ouvrage, Reynaldo Rivera: Provisional Notes from a Disappeared City, célèbre cette communauté, tissée dans la beauté, le glamour et l’acceptation de soi.

« J’ai toujours photographié tout ce que je voulais. Je ne cherchais pas à rendre compte de quoi que ce soit pour un magazine », précise Rivera. « Je captais ces moments pour moi. Les photos ont donc une part de signification en plus. Avec toutes ces images rangées dans des boîtes, je me suis aperçu que je pouvais revivre ces instants à l’infini. C’était une véritable machine temporelle. Je pouvais retrouver mon lien à des personnes qui étaient parties, et à toutes ces histoires. »

Adieux

Provisional Notes from a Disappeared City © Reynaldo Rivera
Provisional Notes from a Disappeared City © Reynaldo Rivera

A l’époque, le virus du Sida décime la communauté et pratiquement tous les personnages photographiés par Rivera sont emportés, certains même très peu de temps après les images. « À l’époque, le VIH équivalait à une condamnation à mort, et c’était rapide. On n’avait pas le temps de se mettre dans tous ses états. On découvrait qu’on était atteint, et en trois ou quatre mois, c’était terminé », raconte Rivera.

Vers la fin des années 1990, le photographe comprend que ce lien établi par ses photos avec son passé crée en lui une profonde mélancolie, qui pèse sur son équilibre mental. « Je suis passé par une période où la photographie me faisait peur. J’ai tout mis dans des boîtes, et j’ai jeté des tonnes de choses. J’ai eu peur de regarder tout ça pendant une bonne vingtaine d’années. »

Provisional Notes from a Disappeared City © Reynaldo Rivera

Au fil du temps, il parvient à se reconnecter au passé sans éprouver de peur ni d’anxiété, et comprend que ses photos sont tout ce qu’il reste d’une cité disparue.

« On ne peut jamais retourner dans le passé », déclare-t-il. « Notre Los Angeles a disparu. Bien-sûr, la ville a été démantelée et les jeunes sont arrivés, mais surtout, ce qui faisait qu’elle nous appartenait, à nous, à notre génération, a disparu. Nous avons vécu les derniers instants de La cité de la nuit, ce roman de John Rechy. Le Los Angeles des années 1980 était fait de violence extrême, de danger, et de liberté. La liberté, c’est dangereux. »

Par Miss Rosen

Miss Rosen est journaliste spécialisée en art, photographie et culture, et vit à New York. Ses écrits ont été publiés dans des livres, des magazines et des sites web, dont Time, Vogue, Artsy, Aperture, Dazed et Vice, entre autres.

Reynaldo Rivera: Provisional Notes from a Disappeared City 
Publié chez Semiotext(e)
$34,95
Disponible ici.

Made in L.A. 2020: a version 
Ouverture en 2021
Hammer Museum, 10899 Wilshire Blvd., Los Angeles, CA 90024, USA
Plus d’informations ici.

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