To Want For Nothing © Laura Letinsky
To Want For Nothing est la dernière série de Laura Letinsky, réalisée ces deux dernières années entre Chicago, où elle enseigne, et Berlin. Chaque photographie montre des morceaux d’images détourées, découpées et arrachées qui ont ensuite été arrangés ensemble de manière baroque et énigmatique. On y identifie des objets, des lieux, des corps et du texte, mais rien ne prend le dessus et toute hiérarchie a été brouillée. La composition est extrêmement précise et les équilibres sont parfois bancals, fragiles, comme si tout était au bord d’un précipice. Cette étrange collection d’images accumulées flotte dans l’espace blanc-gris d’un studio dont on devine les coins de tables, les angles de mur et les ombres portées.
To Want For Nothing © Laura Letinsky
La maîtresse de la nature-morte
Ces fragments d’images, agencés par l’artiste de manière volontairement intuitive, n’ont pas été choisis au hasard et ils proviennent tous d’un certain imaginaire, celui de la publicité et de l’impression : des magazines de vente aux enchères, de mode, de voyage, de mariage et de décoration. Laura Letinsky continue son exploration de la nature-morte dont elle dit qu’elle est le monde de l’intimité et du foyer, de la promiscuité (Entretien avec Brian Sholis pour le magazine Aperture le 31 janvier 2013). Encore une fois, elle sublime le genre et en exprime l’essence. Ces images incomplètes, dont on a parfois du mal à identifier la nature et dont l’ajustement déroute, conforte le geste photographique dans sa capacité à tout rapporter au même plan, à égaliser, et aussi à prescrire.
To Want For Nothing © Laura Letinsky
Désir et photographie
Le titre de l’exposition To Want For Nothing (désirer pour rien) semble accuser ces images publicitaires d’une exigence de prescription et chaque photographie résonne comme un avertissement. Ces images de magazines accumulées s’entassent et se répètent comme pour délimiter et provoquer indéfiniment notre capacité à désirer, à vouloir posséder et consommer. La consommation, idée chère à l’artiste jusque dans ses précédentes séries, est ici déclinée de manière moins mélancolique que normative, comme une exhortation à vouloir « pour rien ». Laura Letinsky nous dit que la photographie est puissante et qu’elle est intrinsèquement liée au désir, pour le meilleur comme pour le pire. Elle nous dit aussi, qu’à travers sa vulnérabilité, la photographie naît du désir et en appelle toujours un autre, à venir, énigmatique et indéfinissable celui-là.
To Want For Nothing © Laura Letinsky
To Want For Nothing © Laura Letinsky
To Want For Nothing © Laura Letinsky
Par Hugo Fortin