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Le carnaval du bizarre de Diane Arbus

Le carnaval du bizarre de Diane Arbus

Le travail de la photographe, devenue une icône du monde de la photographie, est exposé à la Hayward Gallery de Londres. Un peu plus de cent clichés des débuts de son œuvre et pour la plupart tirés par l’artiste elle-même.

« Je vois la divinité dans des choses ordinaires » disait Diane Arbus qui ajoutait qu’elle avait toujours autour d’elle comme une brume qui la plaçait hors du monde, sur l’à-côté des êtres et des choses. Sans doute ses fréquentes dépressions y étaient pour quelque chose dans cette acuité du regard, mais elle avait surtout un œil hors pair qui lui permettait de traquer la bizarrerie du monde et d’en révéler toute la richesse. Ses célèbres portraits de « freaks », de gens de foires et de carnavals, de fous, de marginaux sont une invitation à cerner le genre humain, un petit théâtre dans lequel sont décortiqués les corps et les âmes des laissés pour compte de la société. Ce sont ses débuts en tant que photographe que la Hayward Gallery à Londres a décidé de présenter à travers une sélection de photographies prises à New York, là où l’artiste est née et là où elle s’est suicidée le 26 juillet 1971 en s’ouvrant les veines dans sa baignoire à l’âge de 48 ans.

Jack Dracula at a bar, New London, Conn. 1961, Courtesy The Metropolitan Museum of Art, New York / Copyright © The Estate of Diane Arbus, LLC. All Rights Reserved.

Saltimbanques

Fille issue d’une famille aisée qui a fait fortune dans le commerce, Diane Arbus s’est sentie comme le vilain petit canard durant toute son enfance. Une princesse privilégiée qui subissait la honte d’être à un rang supérieur dans la société comme elle l’a confié dans ses écrits. Toute sa vie sera l’inverse. Elle cherchera à s’affranchir de ses origines familiales et surtout à côtoyer un monde qu’elle ne connaît pas, celui des saltimbanques, des dérangés, des « monstres » qui par leur aspect ou leur mentalité sont rejetés et marginalisés. C’est en 1957 que Diane Arbus commence véritablement son travail photographique. À la New School for Social Research, elle suit les cours de Lisette Model, une rencontre déterminante. À cette dernière qui lui demandait de trouver un sujet à photographier, Diane Arbus lui aurait répondu : « je vais photographier ce qu’est le diable ».

Female impersonator holding long gloves, Hempstead, L.I. 1959, Courtesy The Metropolitan Museum of Art, New York / Copyright © The Estate of Diane Arbus, LLC. All Rights Reserved.

Pistolet en plastique

De fait, elle prendra en photographie ce qui cloche chez les gens. Tailles imparfaites chez les nains ou les géants, visages dérangeants chez les handicapés mentaux, corps étranges et effrayants chez les « freaks » et les travestis. Lors de ses premières expositions, des clichés qu’elle expose reçoivent des crachats de visiteurs. L’œuvre de Diane Arbus trouble et montre par là même qu’elle touche quelque chose de sensible de la société américaine de l’époque. Ce que photographie l’artiste ce sont les impuretés du monde, les scories de l’être humain. Un gosse qui tient une grenade dans la main comme s’il allait exploser avec nous dans les ravages de la guerre. Un autre qui nous tient en joue avec un pistolet en plastique et qui nous montre sa férocité naturelle. Ces deux jumelles dont l’une fait la tête tandis que l’autre sourit et embarrassent par leur différence celui qui les regarde. Ces riches new-yorkais qui cachent leur solitude dans l’étalage de l’argent. Diane Arbus perce les âmes et foudroie les personnes qu’elle saisit avec son appareil, armée d’un flash et extrêmement rapide dans son geste. En jaillissent des portraits fixés sur le vif, arrachés au mouvement du monde.

Kid in a hooded jacket aiming a gun, N.Y.C. 1957, Courtesy The Metropolitan Museum of Art, New York / Copyright © The Estate of Diane Arbus, LLC. All Rights Reserved.

Diable

Qui sait ce qui trottait dans la tête de celle que le photographe américain Walker Evans surnommait « Diane chasseresse » du nom de l’héroïne de la mythologie romaine et dont il disait voir dans son œuvre la « naïveté du diable ». Sans doute souhaitait-elle mettre en lumière une épopée humaine que peu d’artistes étaient capables de souligner, le grand récit des marginaux, ceux qui s’échouent sur les rives d’une société intraitable avec la minorité. Sans doute avait-elle envie de se venger de son destin de petite fille gâtée par la vie et envie d’explorer ce qui lui était inconnu. Pour elle, la vraie richesse était d’avoir conscience du traumatisme que représente en lui- même le fait de vivre et elle la trouvait, cette conscience, chez les gens abimés depuis la naissance par leurs conditions particulières qui les différenciaient de la majorité. Eux ont des choses à nous apprendre estimait la photographe. Et elle savait les magnifier dans des clichés doux et douloureux.

Stripper with bare breasts sitting in her dressing room, Atlantic City, N.J. 1961, Courtesy The Metropolitan Museum of Art, New York / Copyright © The Estate of DianeArbus, LLC.All Rights Reserved.
Boy stepping off the curb, N.Y.C. 1957–58, Courtesy The Metropolitan Museum of Art, New York / Copyright © The Estate of Diane Arbus, LLC. All Rights Reserved.

Lady on a bus, N.Y.C. 1957, Courtesy The Metropolitan Museum of Art, New York / Copyright © The Estate of DianeArbus, LLC.  All Rights Reserved.

Par Jean-Baptiste Gauvin

Diane Arbus : in the beginning 

Du 13 février au 6 mai 2019

Hayward Gallery Southbank Centre, 337-338 Belvedere Rd, Lambeth, London

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