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Le défi bleu

La surfeuse et photographe Gabriella Angotti-Jones crée à travers la glisse un espace d’inclusion pour les femmes noires et les sportifs non-binaires.

« Je n’aurais jamais pensé que ça m’arriverait », s’exclame la surfeuse et photographe Gabriella Angotti-Jones, alors qu’elle couvre les championnats Vans Pipe Masters 2022 sur la côte nord d’O’ahu, dans l’archipel d’Hawaï. 

Cet événement unique, auquel on participe sur invitation, Gabriella Angotti-Jones le décrit comme étant « la Coupe du monde de surf » ; il rassemble soixante surfeurs masculins et féminins du monde entier, qui se mesurent à Banzai Pipeline, l’une des vagues les plus célèbres au monde.

Gabriella Angotti-Jones: I Just Wanna Surf (Copyright © Gabriella Angott-Jones, 2022)
Gabriella Angotti-Jones: I Just Wanna Surf (Copyright © Gabriella Angott-Jones, 2022)

« Des amis noirs, trans et queer ont été invités à participer, et nous nous sommes retrouvés au cœur du championnat de surf le plus important de l’année. C’était merveilleux de pouvoir en être les témoins, de représenter nos communautés, établir des liens et engranger des expériences », dit-elle. 

« Je ne pensais pas que l’industrie du surf voudrait de nous ici, mais ça n’a pas été le cas. Le surf a quelque chose de négatif, d’agressif, mais il est beaucoup plus que cela, dans son ensemble. On nous a bien accueillis, on nous a soutenus, c’était fou, excitant et incroyable. »

Gabriella Angotti-Jones: I Just Wanna Surf (Copyright © Gabriella Angott-Jones, 2022)
Gabriella Angotti-Jones: I Just Wanna Surf (Copyright © Gabriella Angott-Jones, 2022)

« Connaissez-vous Selema Masekela ? », demande alors Gabriella Angotti-Jones. Elle parle ici de l’animateur TV, spécialiste de surf, compagnon de l’actrice oscarisée Lupita Nyong’o. Il se trouve que Masekela, fils du musicien de jazz sud-africain Hugh Masekela, a passé son enfance à une trentaine de kilomètres de San Clemente, petite ville balnéaire du comté d’Orange où Gabriella Angotti-Jones a fait ses armes.

« Selema a l’âge de mon père, mais nous sommes très proches l’un de l’autre, car nous sommes les seuls Noirs ayant grandi au milieu des surfeurs blancs », explique Gabriella Agnotti-Jones. 

Gabriella Angotti-Jones: I Just Wanna Surf (Copyright © Gabriella Angott-Jones, 2022)
Gabriella Angotti-Jones: I Just Wanna Surf (Copyright © Gabriella Angott-Jones, 2022)

« Il présentait les Pipe Masters, il est venu me voir, et il m’a dit: ‘Vous faites des photos ici, ça me fait tellement plaisir de voir que vous arrivez au bon moment, et que vous comprenez ce qui se passe. J’ai eu la même expérience quand j’avais votre âge. J’espère que vous vous trouverez vous-même, et que vous serez réceptive aux opportunités qui se présentent, parce que ce monde peut vous offrir tout ce que vous demandez et devriez exiger de lui en tant que femme noire.’ »

Gabriella Angotti-Jones rayonne de joie et de dynamisme, tout comme son livre récemment paru, I Just Wanna Surf, qui a été sélectionné pour le Aperture PhotoBook Award 2022, un prix récompensant le premier livre photo d’un auteur.  « C’est vraiment incroyable », se réjouit-elle. « Je suis encore sous le choc, je n’arrive pas à réaliser ce qui m’arrive. » 

« L’eau est mon élément »

Au cours du siècle dernier, la Californie du Sud est devenue synonyme de vie facile, avec ses plages de sable, son soleil, son océan, ses surfeurs, ses belles blondes aux corps bronzés et toniques, chevauchant les vagues le jour et se relaxant le soir en fumant des joints autour des feux de camp. 

Bien que le surf soit d’origine hawaïenne, il s’est largement popularisé en Californie ; immortalisé par les films, les magazines et la musique du milieu du siècle, le surf est devenu mythique, incarnant l’image de l’athlète « super américain » alternatif.

Gabriella Angotti-Jones: I Just Wanna Surf (Copyright © Gabriella Angott-Jones, 2022)
Gabriella Angotti-Jones: I Just Wanna Surf (Copyright © Gabriella Angott-Jones, 2022)

Contrairement aux sports d’équipe que l’on pratique au lycée, à l’université et dans les ligues professionnelles, le surf est une activité individuelle qui échappe aux règles. La quête de la vague idéale crée un lien profond avec la nature, d’où son attrait pour les non-conformistes et les nomades. 

Mais le port d’attache du surf – Orange County – est l’une des régions les plus riches des États-Unis, aussi connue pour son conservatisme politique. 

Pour la mère de Gabriella Angotti-Jones, italo-américaine de la première génération ayant grandi dans le East Los Angeles, les villes balnéaires du comté d’Orange représentaient l’apogée du rêve américain. « Mon premier souvenir, c’est lorsqu’elle m’a emmenée au bord de l’océan, et les vagues battaient le rivage. C’était plutôt dangereux », décrit Gabriella Angotti-Jones. « J’ai couru vers l’eau, elle m’a pris dans ses bras et m’a dit : ‘Pas question que tu y ailles.’ Mais j’ai eu l’impression que je ne risquais rien. »

Gabriella Angotti-Jones: I Just Wanna Surf (Copyright © Gabriella Angott-Jones, 2022)
Gabriella Angotti-Jones: I Just Wanna Surf (Copyright © Gabriella Angott-Jones, 2022)
Gabriella Angotti-Jones: I Just Wanna Surf (Copyright © Gabriella Angott-Jones, 2022)
Gabriella Angotti-Jones: I Just Wanna Surf (Copyright © Gabriella Angott-Jones, 2022)

Très tôt, Gabriella Angotti-Jones suit des cours de natation, puis passe ses journées à la plage, avant de s’initier aux techniques du sauvetage en mer. « L’eau est mon élément », dit-elle. 

« J’aime l’océan, et il me donne aussi une leçon d’humilité. J’ai l’impression que c’est la seule chose que je connaisse vraiment : je fréquente l’océan depuis mon plus jeune âge, il a largement contribué à construire mon identité. L’océan m’a donné une très grande confiance en moi et en mon environnement, il est très stimulant. On apprend à connaître ce qui est tout à fait imprévisible, quelque chose de puissant et de vivant. »

Extrême limite

Ayant grandi dans l’une des seules familles métisses de San Clemente, Gabriella Angotti-Jones est très tôt confrontée au racisme. Un jour, à l’âge de six ans, alors qu’elle va jouer au tennis avec son père – qui était noir -, la police arrête la voiture. Le policier s’approche, et son père souffle à Gabriela : « Ne bouge pas ! Ne fais rien ! »

« Je me souviens que j’ai enlevé ma ceinture de sécurité, et que je me suis blottie sur mon siège en essayant de me faire la plus petite possible », se souvient-elle.

« L’officier était archi-agressif avec mon père, il lui a posé des questions du genre : ‘C’est votre voiture ? Où allez-vous? Pourquoi conduisez-vous si vite ?’. C’était vraiment déshumanisant. Mon père a gardé tout son calme. Ce n’est que plus tard, au dîner, qu’il m’a dit : ‘Il faut qu’on parle.’ »

Malgré les dures réalités auxquelles ils sont confrontés, les parents de Gabriella Angotti-Jones ne cessent de lui répéter qu’elle peut suivre la voie qu’elle a décidé de suivre. 

Gabriella Angotti-Jones: I Just Wanna Surf (Copyright © Gabriella Angott-Jones, 2022)
Gabriella Angotti-Jones: I Just Wanna Surf (Copyright © Gabriella Angott-Jones, 2022)
Gabriella Angotti-Jones: I Just Wanna Surf (Copyright © Gabriella Angott-Jones, 2022)
Gabriella Angotti-Jones: I Just Wanna Surf (Copyright © Gabriella Angott-Jones, 2022)

Et à l’âge de huit ans, c’est exactement ce qu’elle fait, se lançant dans le surf alors qu’elle est la seule fille noire dans ce milieu. Avec le temps, elle commence à prêter attention aux regards des gens et à leurs drôles de commentaires. 

Submergée par un raz-de-marée de microagressions racistes qui la font douter d’elle-même, elle s’interroge : « Est-ce que je me sens vraiment chez moi ? Est-ce que cette vie est faite pour moi ? Pourquoi est-ce que je suis ici ? »

À l’âge de douze ans, elle interrompt sa pratique du surf pour protéger sa santé morale. « J’intériorisais ces expériences, et j’ai pris subitement conscience de mon apparence, de mes cheveux, de la couleur de ma peau, du fait que j’étais une Noire. Je n’étais pas comme les autres, et je voulais m’adapter davantage », raconte-t-elle. 

Gabriella Angotti-Jones: I Just Wanna Surf (Copyright © Gabriella Angott-Jones, 2022)
Gabriella Angotti-Jones: I Just Wanna Surf (Copyright © Gabriella Angott-Jones, 2022)
Gabriella Angotti-Jones: I Just Wanna Surf (Copyright © Gabriella Angott-Jones, 2022)
Gabriella Angotti-Jones: I Just Wanna Surf (Copyright © Gabriella Angott-Jones, 2022)

« Sans compter qu’à San Clemente, comme dans toutes les régions de ce genre, les familles sont des gens du bord de mer depuis toujours. Les gamins sont littéralement nés dans l’eau. Il y avait des personnes comme moi, mais j’avais cinq ans lorsqu’elles étaient arrivées, elles étaient là depuis des années-lumière. Je me sentais radicalement différente. »

Un été sans fin

En 2019, Gabriella Angotti-Jones, alors âgée de vingt ans, renoue avec ses racines en liant connaissance avec d’autres femmes noires, surfeuses non-binaires, qui partagent sa passion pour l’océan. Inspirée par leur énergie, elle les photographie, balayant ainsi le cliché du surfeur. 

« Au début, j’ai eu la conviction que je devais protéger ces personnes, comme si c’était ma responsabilité », dit-elle avant d’ajouter : « Je ressentais cela très fort, je ne savais pas comment le gérer. » 

Elle commence alors à tenir un journal de ses pensées, de ses sentiments et de ses observations sur le conseil de mentors tels que le photographe et éditeur photo Jeffrey Henson-Scales du New York Times

Gabriella Angotti-Jones: I Just Wanna Surf (Copyright © Gabriella Angott-Jones, 2022)
Photo of Gabriella Angotti-Jones by Basil Vargas (Copyright © Basil Vargas, 2022)

« J’ai senti que ce que j’écrivais était très dur. Dès que j’ai remis un pied dans l’eau, toutes mes vieilles impressions d’enfance ont resurgi. C’était malsain, j’essayais de gérer mon propre traumatisme racial et ma dépression en me projetant sur les gens que je rencontrais, qui ont fini par devenir des amis », dit-elle.

« Lorsque j’ai bien regardé ces photographies, j’ai vu le désespoir qui est inscrit en elles. Ce sont des images joyeuses, elles représentent des personnes proches les unes des autres, qui ont des intérêts communs et qui s’aiment, mais je ressentais tout le contraire au fond de moi, c’est-à-dire la confusion, l’incertitude de ce que l’on est et du sens de ce que l’on fait. Quand j’ai compris cela, j’ai pu commencer à raconter. Le surf est un sport qui perturbe, parce qu’on veut se dépasser soi-même en permanence, en chevauchant la vague, et la nature est loin de nous le permettre. » 

Le besoin d’écrire I Just Want to Surf est une vague que Gabriella Angotti-Jones a su affronter. Comme les meilleurs athlètes, elle a tiré de son sport une force physique et spirituelle, tout en se laissant guider par son instinct.

Gabriella Angotti-Jones: I Just Wanna Surf (Copyright © Gabriella Angott-Jones, 2022)
Gabriella Angotti-Jones: I Just Wanna Surf (Copyright © Gabriella Angott-Jones, 2022)

« C’est la chose la plus brute et la plus authentique que j’aie jamais faite, parce que je traitais ma dépression en temps réel. Je n’ai pas réalisé que le livre parlait de moi jusqu’à sa parution. J’étais dans le déni, je me disais : ‘Je ne montre que mes amis’ – et c’est vrai, tout est réel dans ces images. Aucune n’est posée », raconte la photographe.

« Ce n’est que lorsque j’ai travaillé en étroite collaboration avec Peter Van Agtmael et Ben Brody, qui ont écrit des livres extrêmement personnels sur la guerre, que j’ai décidé d’inclure une partie de mon expérience dans cet ouvrage, car ils m’ont dit : ‘Les gens veulent entendre ton histoire. Tu fais partie des choses que tu racontes.’ »

I Just Wanna Surf est publié par Mass Books, 40,00 $.

Gabriella Angotti-Jones: I Just Wanna Surf (Copyright © Gabriella Angott-Jones, 2022)
Gabriella Angotti-Jones: I Just Wanna Surf (Copyright © Gabriella Angott-Jones, 2022)
Gabriella Angotti-Jones: I Just Wanna Surf (Copyright © Gabriella Angott-Jones, 2022)
Gabriella Angotti-Jones: I Just Wanna Surf (Copyright © Gabriella Angott-Jones, 2022)
Gabriella Angotti-Jones: I Just Wanna Surf (Copyright © Gabriella Angott-Jones, 2022)
Gabriella Angotti-Jones: I Just Wanna Surf (Copyright © Gabriella Angott-Jones, 2022)

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