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Le pouvoir intime du portrait

Dans le cadre de l’exposition « Face to Face », présentée à New York, la photographe américaine Catherine Opie livre sa réflexion sur le genre photographique.

Le portrait perdure parce qu’il répond au besoin universel d’isoler, d’observer et de préserver le visage humain, au sein du fragile royaume matériel. Regardant l’image, nous y cherchons sans fin des indices dans l’expression, l’attitude de la personne représentée, oubliant souvent qu’un portrait nous renseigne autant sur le modèle que sur l’artiste. 

Dans l’exposition « Face to Face: Portraits of Artists by Tacita Dean, Brigitte Lacombe and Catherine Opie », accompagnée d’un livre reprenant le titre, la grande curatrice et auteur Helen Molesworth réunit plus de cinquante images, qui nous invitent à explorer, pour notre plus grand plaisir, les relations profondes entre l’artiste, le modèle et le spectateur.   

Les trois œuvres de Tacita Dean, Brigitte Lacombe et Catherine Opie nous offrent une vision fascinante du continuum entre le passé et le présent, avec leurs portraits intimes des cinéastes Martin Scorsese et John Waters, des écrivains Maya Angelou, Hilton Als et Joan Didion, et des artistes Kara Walker, Mickalene Thomas, David Hockney et Louise Bourgeois.

Tacita Dean, Portraits, 2016. © Tacita Dean, avec l'autorisation de l'artiste, Frith Street Gallery, Londres et Marian Goodman Gallery, New York / Paris
Tacita Dean, Portraits, 2016. © Tacita Dean, avec l’autorisation de l’artiste, Frith Street Gallery, Londres et Marian Goodman Gallery, New York / Paris
Tacita Dean, One Hundred and Fifty Years of Painting, 2021. © Tacita Dean, avec l'autorisation de l'artiste, Frith Street Gallery, Londres et Marian Goodman Gallery, New York / Paris
Tacita Dean, One Hundred and Fifty Years of Painting, 2021. © Tacita Dean, avec l’autorisation de l’artiste, Frith Street Gallery, Londres et Marian Goodman Gallery, New York / Paris

Face à face

« Selon moi, ces trois artistes ne sont pas seulement en dialogue avec leurs modèles, mais aussi avec l’histoire du genre – le portrait – et du médium : la photographie », écrit la conservatrice Helen Molesworth dans l’introduction de Face to Face

L’ouvrage présente des portraits d’artistes à part entière. Et l’on pense, en tournant les pages, à la typographie rigoureuse d’August Sander, la sensualité subversive de Berenice Abbott, le rapport à l’intimité de Nan Goldin, l’esprit collaboratif d’Andy Warhol et le formalisme informel de Peter Hujar.

« La diaphonie joue un grand rôle dans ces images : elles dialoguent à travers le temps et l’espace, établissent des liens entre les différentes pratiques, font converser les artistes les uns avec les autres », écrit Helen Molesworth.

« L’art, c’est beaucoup de choses, mais pour les artistes, c’est une manière de communiquer entre eux à travers des images. C’est un jeu transhistorique fait de vols et d’emprunts, d’hommages rendus les uns aux autres – un appel et une réponse permanents. »

Brigitte Lacombe, Glenn Ligon, New York, NY, 2020. © Brigitte Lacombe
Brigitte Lacombe, Glenn Ligon, New York, NY, 2020. © Brigitte Lacombe
Brigitte Lacombe, Maya Angelou, New York, NY, 1987. © Brigitte Lacombe
Brigitte Lacombe, Maya Angelou, New York, NY, 1987. © Brigitte Lacombe

Un autre album de famille

D’emblée, la pratique photographique de l’artiste américaine Catherine Opie s’est située à l’intersection de l’identité et de la communauté, offrant une exploration intime de la vie américaine contemporaine. Depuis son adolescence, elle a utilisé la photographie pour se connecter avec les gens autour d’elle, puis a commencé à élargir son cercle, passant avec aisance d’un groupe à l’autre.

« Je voulais créer une représentation visuelle de la vie de mes amis, pour que l’on sente à quel point ils sont merveilleux, rendre hommage à ma propre communauté queer à travers des portraits formels », explique Catherine Opie, qui est consciente des liens innés entre l’art, les artefacts, l’histoire et la narration dans la réalisation d’un portrait.

A la fin des années 1980 et au début des années 90, tandis que l’épidémie de sida atteint des proportions critiques, Catherine Opie rejoint ACT UP et Queer Nation, une organisation militante encourageant les solutions créatives aux problèmes systémiques.

« L’album de famille a son rôle à jouer dans une pratique activiste du portrait »

Catherine Opie

Les premiers portraits de Catherine Opie illustrent la communauté queer de Los Angeles, puis de San Francisco. Ces images créent un espace de visibilité pour les membres de la communauté, dont les portraits manquent ou sont inexacts, et leur donne une chance d’être acceptés et compris par ceux qui sont étrangers à leur monde, d’établir avec eux des liens intimes.

« L’album de famille a son rôle à jouer dans une pratique activiste du portrait », explique Catherine Opie, qui estime que ses portraits sont devenus des mémoriaux, en quelque sorte, de ceux qui ont perdu la vie. « Mais ce qui compte encore plus, après toutes ces années, c’est que beaucoup de jeunes viennent me voir et me disent : ‘J’ai compris qu’il n’y avait pas de mal à être queer en voyant votre travail dans un musée.’ C’est vraiment remarquable. »

Catherine Opie, Jerome Caja, 1993. © Catherine Opie, avec l'autorisation de Regen Projects, Los Angeles et Lehmann Maupin, New York, Hong Kong et Séoul et Thomas Dane Gallery, Londres et Naples
Catherine Opie, Jerome Caja, 1993. © Catherine Opie, avec l’autorisation de Regen Projects, Los Angeles et Lehmann Maupin, New York, Hong Kong et Séoul et Thomas Dane Gallery, Londres et Naples
Catherine Opie, David, 2017. © Catherine Opie, avec l'autorisation de Regen Projects, Los Angeles, Lehmann Maupin, New York, Hong Kong et Séoul, et Thomas Dane Gallery, Londres. Lehmann Maupin, New York, Hong Kong et Séoul et Thomas Dane Gallery, Londres et Naples. Naples
Catherine Opie, David, 2017. © Catherine Opie, avec l’autorisation de Regen Projects, Los Angeles, Lehmann Maupin, New York, Hong Kong et Séoul, et Thomas Dane Gallery, Londres et Naples.
Catherine Opie, Michèle, 2016. © Catherine Opie, Courtesy Regen Projects, Los Angeles et Lehmann Maupin, New York, Hong Kong et Séoul. Lehmann Maupin, New York, Hong Kong et Séoul et Thomas Dane Gallery, Londres et Naples
Catherine Opie, Michele, 2016. Catherine Opie, avec l’autorisation de Regen Projects, Los Angeles et Lehmann Maupin, New York, Hong Kong et Séoul. Lehmann Maupin, New York, Hong Kong et Séoul et Thomas Dane Gallery, Londres et Naples

Moments intimes partagés

Pour « Face to Face », Catherine Opie a donné carte blanche à Helen Molesworth, et la sélection des œuvres souligne le combat de la photographe pour la démocratie et l’égalité à travers son travail de portraitiste. Cette sélection exceptionnelle – allant du portrait plein de tendresse du peintre Kerry James Marshall au demi-nu éblouissant de l’icône punk queer Vaginal Davis – souligne la capacité intuitive de la photographe à établir des liens en dépit des différences.

« Je ne pense pas qu’un portrait capture l’essence d’une personne, mais c’est une représentation d’un moment partagé très intime. C’étaient des moments vraiment uniques », raconte Catherine Opie. « J’ai eu des relations personnelles avec beaucoup de modèles des portraits présents dans l’exposition, donc d’une certaine manière, c’est un album de famille. »

Au fil des ans, Catherine Opie a remplacé les fonds colorés de ses photographies, caractéristiques de son travail, par des écrans noirs sur lesquels se détachent les modèles, ce qui donne à ses portraits un caractère délicatement sculptural.

« Quand j’ai commencé à utiliser les écrans noirs, je voulais inconsciemment que les portraits soient à la fois internes et externes. Je voulais créer un vide, et réfléchir à notre relation à la photographie, en particulier dans un monde numérique, pour inciter les gens à ralentir, à se taire et à être des témoins », explique Catherine Opie, qui a inclus un autoportrait de cette série dans « Face to Face ».

« On me demande toujours : ‘ À quand, le nouvel autoportrait emblématique ?’, mais quand on fait quelque chose, on ne sait pas ce qui arrivera ensuite. On fait des choses, puis l’histoire de l’art suit son cours. Je ne cherche pas à faire des portraits qui vont rester dans l’histoire, je fais seulement un travail inscrit dans l’époque où l’on vit. »

A propos de ses portrait des artistes conceptuels Lawrence Weiner et John Baldessari, réalisés au cours des dernières années de leur vie, Catherine Opie en parle avec tendresse : « J’aime vraiment le portrait de John Baldessari flottant là, avec ses cheveux blancs. Je connaissais John depuis que j’avais vingt ans, et je l’aimais tellement, comme j’aimais Lawrence Wiener. Ces portraits me brisent le cœur chaque fois que je les regarde, parce qu’ils ne sont plus là. »

L’exposition « Face to Face: Portraits of Artists de Tacita Dean, Brigitte Lacombe et Catherine Opie » est présentée jusqu’au 1er mai 2023 à l’International Center of Photography de New York. Le catalogue est publié par MACK, 45,00 $.

Brigitte Lacombe, Patti Smith, New York, NY, 2014. © Brigitte Lacombe
Brigitte Lacombe, Patti Smith, New York, NY, 2014. © Brigitte Lacombe

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