« Si les Gitans forment un sujet récurrent dans l’histoire de la photographie, Jacques Léonard a su apporter un point de vue très personnel car son regard est empreint d’humanisme », raconte Jean-François Camp de la galerie Durev, qu’il dirige avec Annie Boulat. C’est vrai que de nombreux photographes ont abordé cette communauté : André Kertész en banlieue parisienne, Josef Koudelka dans les pays de l’Est ou encore Lucien Clergue et Mathieu Pernot à Arles.

Chacun d’entre eux s’est attaché à tisser des liens personnels avec cette communauté très fermée, sésame indispensable pour pouvoir les photographier. Dans ce concert de grands noms, Jacques Léonard, méconnu en France, tient une place à part. On a découvert son travail à Arles l’été dernier grâce à Anne Clergue. En ce début d’année, Durev présente à Paris une autre sélection effectuée par la galeriste arlésienne : « J’ai eu un coup de cœur parce qu’il ne cherche pas à documenter ce milieu mais pose un regard affectueux sur ces gens », note Jean-François Camp.

C’est là, en effet, une différence notable. Hasard ou coïncidence, Jacques Léonard, né en 1909, est le fils d’un marchand de chevaux français d’origine gitane. Sa vie professionnelle le conduit en Espagne en 1952 où il épouse Rosario Amaya, une gitane du quartier de Montjuïc, dans la banlieue de Barcelone. Ayant partagé la vie et le quotidien des baraquements, il a eu toute la liberté de les photographier, ne cherchant pas à témoigner de leur coutume mais portant plutôt sur eux le regard bienveillant d’un membre de la famille.

Les clichés montrant les mères avec leurs enfants ou encore captant des moments festifs comme les scènes de flamenco, prouvent qu’il y était chez lui. La photo de cette femme en mouvement donnant le sein est emblématique de ses compositions très dynamiques. La vie prise sur le vif !

Un autre détail dans le parcours de Jacques Léonard explique aussi ce “naturel”. Avant de devenir un photographe professionnel et d’exercer pour des journaux espagnols ou les Chemins de Fers catalans et tenir un studio de publicité, il a d’abord travaillé dans le cinéma. Aux studios Gaumont à Paris, il a collaboré avec Abel Gance sur plusieurs films dont J’accuse. Et c’est au cours d’un voyage pour les repérages d’un film qu’il découvre l’Espagne où il restera jusqu’à sa mort en 1994. C’est là, aux Archives photographiques de Barcelone, que sont conservées ses négatifs.

Lorsqu’il tombe malade dans les années 1970, Jacques Léonard délaisse la photographie pour se consacrer à l’écriture d’un livre sur la culture gitane. Mais tout était en train de changer : en 1975, les quartiers gitans de Barcelone ont été démantelés et la communauté a été contrainte de s’installer ailleurs, à la Mina où ont été relogées des populations vivant auparavant dans des bidonvilles. Sans le savoir, Jacques Léonard a donc saisi un monde voué à disparaître. C’est aussi cela qui rend son travail précieux.

Par Sophie Bernard
Sophie Bernard est une journaliste spécialisée en photographie, contributrice pour La Gazette de Drouot ou le Quotidien de l’Art, commissaire d’exposition et enseignante à l’EFET, à Paris.
Jacques Léonard, « Et si l’on dansait »
A la Galerie Durev
56, boulevard de la Tour Maubourg, 75007 Paris
Informations sur l’exposition ici et sur Jacques Léonard ici.