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Luigi Ghirri : cartographier l’invisible

Luigi Ghirri : cartographier l’invisible

Une exposition au Jeu de Paume à Paris retrace une décennie prolifique du photographe italien. Pionnier de la couleur, Luigi Ghirri (1943-1992) a su faire de la photographie un instrument pour mieux saisir l’«écriture terrestre», l’ «architecture de l’éphémère».

Haarlem, 1973. The Vegini Luigi collection © Succession Luigi Ghirri

Luigi Ghirri a 27 ans lorsqu’il se lance dans la photographie en 1970. Il occupe alors depuis près de dix ans la profession de géomètre dans la région de Reggio d’Émilie en Italie. Cette caractéristique se sent dès ses premiers clichés et ne va cesser de se vérifier tout au long de cette décennie où l’artiste sera résolument productif, ce que montre à merveille l’exposition qui a lieu en ce moment au Jeu de Paume. D’emblée, nous sommes projetés dans l’univers conceptuel du photographe qui balance entre la volonté de saisir un portrait nouveau de l’individu et le désir de dévoiler le simulacre que peut constituer notre environnement à l’heure de la société de consommation. Ainsi, les premiers clichés qui sont présentés – dans un encadrement élégant qui laisse la place au vide – abordent de front ces deux tendances. D’un côté, Luigi Ghirri prend en photographie des passants. Que ce soit à Amsterdam, Zurich ou Paris, il fixe le pas contrarié de personnes âgées dans la rue, le prélassement de badauds dans un parc, et toujours avec une distance qui empêche d’identifier l’individu et le dilue dans le monde qui le compose. D’autre part, il immortalise les surfaces qui s’offrent à lui : murs, devantures de magasin, façades de maisons ; le tout dans des tableaux colorés qui se jouent des frontières entre nature et culture.


Bologna, 1973. CSAC, Università di Parma © Succession Luigi Ghirri

Dioramas

À ce titre, il s’intéresse très tôt aux affiches qui peuplent les rues d’Italie. Mannequins qui posent dans une joie factice, produits de supermarché dont sont vantés les effets, publicités criardes aux pigments chatoyants… Le photographe traque ces images du quotidien qui habitent l’espace public et en rend toute la dimension esthétique et politique. Esthétique parce qu’elles forment d’étonnantes surfaces colorées qui reflètent un rêve diffus de confort et de sécurité. Politique parce qu’elles disent un projet de société basé sur la consommation à grande échelle et le culte du marché – parfois tourné à l’ironie comme sur cette photographie d’un pneu crevé posé à côté d’une publicité pour des pneus prise en 1970 à Modène ou bien encore sur celle d’un portant de cartes- postales à Bastia en 1976 où toutes les cartes représentent un couché de soleil. Mais Luigi Ghirri ne se contente pas de cet humour léger qui fait sourire, il va questionner profondément les pratiques et les usages de la société européenne qu’il côtoie à l’époque. À Venise ou à Paris, il fait le portrait de touristes qui se prennent en photographie devant des monuments, interrogeant l’acte de photographier en lui-même dans une mise en abîme d’avant- garde. Plus tard, il se rend dans une fête foraine à Modène, devant des dioramas à Salzbourg ou encore dans une « Italie miniature » à Rimini où il souligne les limites poreuses entre le décor factice et le paysage naturel.


Modena, 1972. CSAC, Università di Parma © Succession Luigi Ghirri

Infini

Car c’est sans doute le cœur de la démarche de ce géomètre devenu poète de l’habitat : comment l’être humain s’empare de la nature et la façonne à sa façon. Ainsi, de nombreuses fois, Luigi Ghirri s’intéresse à l’absurdité d’une architecture tout autant qu’à son caractère éphémère. Ces bancs vides à côté d’un littoral ou bien ces serviettes posées sur un gazon qui attendent des corps pour s’allonger dessus. Sur la plage, le photographe immortalise un parasol fermé ou bien un portique avec une balançoire sans enfants dessus… Poésie du vide, épopée de la trace, l’artiste signe ici sa capacité à percevoir l’invisible et à souligner l’habitacle dans lequel se meuvent les humains. Il fait par exemple très attention aux signes que la vie urbaine inscrit dans le territoire : les panneaux d’affichage sur les routes, les flèches dessinées au sol… Du vernaculaire dans la veine de Walker Evans.

Mais Luigi Ghirri est également un contemplatif et un rêveur. Sa cartographie est aussi celle d’un songe, un songe que tout être humain peut ressentir dans le désir du voyage. Sa série Infini le montre bien. Le photographe dresse le portrait du ciel en réalisant pas moins de 365 clichés de la voûte céleste habitées de nuages et parfois d’un avion qui passe. C’est aussi sa série Atlante. En 1973, Luigi Ghirri photographie les pages d’un atlas, laissant notre imagination partir à l’évocation d’une île perdue dans le Pacifique, d’une coordonnée géographique… « Il me semble que le seul voyage aujourd’hui possible se situe dans les signes, dans les images. » disait Luigi Ghirri.


Atlante, 1973. Bibliothèque nationale de France © Succession Luigi Ghirri 

Rimini, 1977. CSAC, Università di Parma © Succession Luigi Ghirri

L’Île Rousse, 1976. Bibliothèque nationale de France © Succession Luigi Ghirri 

Modena, 1972. CSAC, Università di Parma © Succession Luigi Ghirri 

Rimini, 1977 © Succession Luigi Ghirri 

Brest, 1972. CSAC, Università di Parma © Succession Luigi Ghirri 

Salzburg, 1977. Collection privée. Courtesy Matthew Marks Gallery © Succession Luigi Ghirri 

Pescara, 1972 © Succession Luigi Ghirri

Par Jean-Baptiste Gauvin

Luigi Ghirri, Cartes et territoires

Du 12 février au 02 juin 2019

Jeu de Paume, 1 Place de la Concorde, 75008 Paris

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