
« Mon enfance n’a pas été des plus heureuses. Elle a forgé en moi un désir de justice et une passion que je ressens pour ceux qui n’ont pas une vie facile », déclare Mary Ellen Mark (1940-2015) en 2010 sur KOBRA SVT, une chaîne de télévision suédoise.
« Il était important pour moi d’être libre et de sillonner le monde, sans avoir de responsabilités familiales », ajoute-t-elle alors. « Si on ne vient pas d’un foyer heureux, on hésite à se créer des attaches. J’ai toujours désiré une liberté absolue. Je me souviens, quand j’avais sept ou huit ans, je revenais de l’école en pensant à en partir, à être libre. C’était une priorité. »


Cette ambition a régi toute la vie de la photographe. Parce qu’elle n’a pas eu d’enfants, Mary Ellen Mark a pu se consacrer entièrement à la création d’une archive photographique extraordinaire. C’est dans cet ensemble remarquable que le réalisateur Martin Bell, son mari et collaborateur durant 30 ans, a puisé les œuvres sélectionnées pour une monographie en trois tomes, intitulée The Book of Everything et publiée en fin d’année dernière par Steidl.
Mary Ellen Mark débute la photographie à sa majorité. Elle va s’y épanouir artistiquement autant qu’en tant que femme, les deux évolutions étant intimement liés. « Au moment-même où j’ai eu un appareil entre les mains, je suis sortie dans la rue », explique-t-elle dans une autre interview, cette fois avec Karen Stein, éditrice de Mary Ellen Mark: Exposure (2004). « Je vivais à Philadelphie, où je faisais mes études. Je me suis retrouvée dehors, à rencontrer des gens et les prendre en photo, et j’ai trouvé l’expérience magnifique. »

Respect
Éprouvée par sa propre enfance, Mary Ellen Mark comprend vite qu’il n’est pas question d’infantiliser les enfants, ni de les déstabiliser ou de les rabaisser, mais plutôt de les respecter, en les traitant d’égal à égal. « Je n’aime pas photographier les enfants en tant qu’enfants. Je les vois en tant qu’adultes, en tant que personnes. Je cherche toujours à ouvrir la voie vers qui ils pourraient devenir. »

Une sensibilité qui transparaît dans toute l’exposition Mary Ellen Mark: Girlhood, composée d’une trentaine d’œuvres, dont certaines sélectionnées dans ses séries les plus connues, Prom, Streetwise et Twins. La photographe s’adresse ainsi à ses sujets en tant qu’individus et non comme archétypes, préférant témoigner de leurs particularités plutôt que de jouer avec de possibles problématiques liées au genre, à la culture, à l’ethnicité ou à l’âge. Ces images soulignent clairement son empathie pour des jeunes filles, qui seraient restées dans l’oubli si elle n’avait réalisé d’authentiques portraits d’elles, rassemblés sous l’égide de la féminité et libérée du cadre imposé par le patriarcat. Ainsi son approche laisse t-elle entrevoir une perception intime, qui ne s’obtient en général qu’en traversant certaines épreuves de la vie.


« Je ne pense pas qu’un observateur puisse être véritablement objectif », explique Mary Ellen Mark en 1990, lors d’un entretien avec Eleanor Lewis à l’occasion de la sortie du livre The Photo Essay: Photographs by Mary Ellen Mark. « Dès qu’on cadre, on se montre sélectif. Quand on édite les images qu’on veut publier, on est à nouveau sélectif. On développe un point de vue que l’on souhaite exprimer. On essaie d’aborder les situations avec objectivité, mais ensuite, on n’est forcé d’avoir une opinion, qui se révèle dans nos photos. Il est d’ailleurs très important pour un photographe d’avoir un point de vue: c’est ce qui contribue à lui donner un style. »
Par Miss Rosen
Miss Rosen est journaliste spécialisée en art, photographie et culture, et vit à New York. Ses écrits ont été publiés dans des livres, des magazines et des sites web, dont Time, Vogue, Artsy, Aperture, Dazed et Vice, entre autres.
Mary Ellen Mark: Girlhood
Du 3 mars au 8 août 2021
National Museum of Women in the Arts
1250 New York Ave, NW Washington, DC 20005, USA
Plus d’informations ici.
The Book of Everything
€ 480,00
Steidl