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Notre top 10 du concours Arles Books 2021

Notre top 10 du concours Arles Books 2021

Lors des Rencontres de la Photographie à Arles, quatre prix du livre sont décernés. Trois d’entre eux sont accordés par l’équipe des Rencontres et récompensent : le prix du livre d’auteur, le prix du livre historique et le prix photo-texte. La fondation Luma, elle, accorde un prix à une maquette de livre n’ayant jamais fait l’objet d’une publication, avec le fameux Dummy Book Award.

Blind vous propose sa sélection du top 10 des 58 livres présélectionnés à tous ces prix.
 

1. Face To Face – Seiichi Furuya & Christine Gossler – Chose Commune (Sélection Prix du livre d’auteur 2021)

Face To Face – Seiichi Furuya & Christine Gossler – Chose Commune

Sixième chapitre d’une série de livres intitulée Mémoires débutée en 1989 par le photographe japonais Seiichi Furaya, Face to Face en est l’ultime opus. Tout commence en 1973 quand Furaya quitte le Japon pour l’Europe à bord du transsibérien. Arrivé en Autriche, il rencontre Christine Gössler avec qui il aura un enfant en 1981. Peu de temps après, elle commencera à montrer des signes de schizophrénie et se suicidera en 1985. Depuis, Furaya n’a jamais cessé de revenir sur son/leur histoire à travers ses archives dans ce qu’on pourrait appeler l’œuvre d’une vie. Après cinq livres édités sur le sujet, il retrouve en 2018 des photographies prises par Christine avec un petit appareil de poche et un 35mm. En observant ses trouvailles, il découvre avec surprise que Christine tirait aussi souvent son portrait, dans les mêmes instants où lui la photographiait. Dans ce « face à face » présenté de façon chronologique, l’émotion prend. Édité de manière très élégante par Chose Commune, le résultat est bouleversant.

2. Hayal & Hakikat : A Handbook of Forgiveness & A Handbook of Punishment – Cemre Yeşil Gönenli – co-édition Gost Books et Fil Books (Sélection Prix du livre historique 2021)

Hayal & Hakikat: A Handbook of Forgiveness & A Handbook of Punishment – Cemre Yeşil Gönenli

Un manuel de pardon et un manuel de punition se font face dans cet ouvrage surprenant où, d’un côté comme de l’autre, on traverse deux livrets de photos en noir et blanc d’hommes dont les têtes n’apparaissent pas. Derrière ces images, il y a le 34e sultan ottoman : Abdülhamid II qui a régné sur l’empire de 1876 à sa déposition en 1909. Le sultan avait lu dans un roman policier que « tout criminel dont l’articulation du pouce est plus longue que celle de l’index, est enclin au meurtre ». Ému par ces informations pseudo-scientifiques, il avait ordonné à tous les condamnés pour meurtre d’être photographiés avec leurs mains visibles, en préparation d’une amnistie planifiée en fonction de la longueur de leurs articulations du pouce. C’est au cours d’un atelier que l’artiste turque Cemre Yeşil Gönenli a découvert cette histoire et à la suite de recherches, les archives qui vont avec. La photographe a ensuite découpé les visages des sujets afin d’accentuer l’ambiguïté des images. Le sort de chacun de ces prisonniers reste jusqu’à aujourd’hui inconnu car aucune trace n’a été retrouvée du verdict d’Abdülhamid II après avoir vu les mains en attente de pardon.

3. Freedom is Not Free – Mashid Mohadjerin – Royal Academy Fine Arts (Sélection Prix du livre d’auteur 2021)

Freedom is Not Free – Mashid Mohadjerin – Royal Academy Fine Arts

« Je n’avais pas de plan particulier en tête quand j’ai débuté cette série, je souhaitais juste trouver des images qui résonnaient en moi » dit la photographe iranienne Mashid Mohadjerin à propos de son projet « Freedom is Not Free » qui a fini par trouver sa place dans un ouvrage du même nom. Tiré à cinq cent exemplaires, il est constitué de cinq parties introduites chacune par un texte écrit par Mashid Mohadjerin. Le point de départ, c’est l’année de naissance de sa grand-mère : 1934. On remonte ensuite le fil de l’histoire iranienne à travers le portrait des femmes qui l’entouraient, de ses amies aux membres de sa famille. Face à elles, des lieux de son enfance, des objets qui la touchent mais aussi des images liées à l’histoire de la révolution de 1979 et comment ce bouleversement a modifié le quotidien des Iraniennes. En toile de fond, des collages viennent superposer des éléments du quotidien, des icônes de la musique… À travers ce portrait intime de l’artiste et son entourage, c’est l’histoire des femmes en Iran qui nous est montrée, et en filigrane, leur combat pour la liberté.

4. La Primera Movida – Miguel Trillo, Archivo Lafuente – La Fabrica (Sélection Prix du livre historique 2021)

La Primera Movida – Miguel Trillo, Archivo Lafuente – La Fabrica

Retour sur la Movida – l’un des mouvements les plus singuliers et les plus spontanés de la culture contemporaine espagnole – qui s’est déployée essentiellement à Madrid au début des années 80, et dont le fameux réalisateur Pedro Almodovar a fait partie. C’est au photographe espagnol Miguel Trillo qu’on doit le livre La Primera Movida, lui qui a été le témoin privilégié du défilé des mods, punks, modernes, sinistres, rockers, teddy boys de l’époque. Trillo n’arrêtait jamais de prendre des photos de ce monde qui l’entourait et le fascinait. Il était de toutes les nuits endiablées. Pour montrer ses images, « comme je ne pouvais les partager sur Instagram » dit-il, il a créé des fanzines (RockocóCallejones y avenidas) qu’il distribuait lui-même de main en main et qu’on retrouve dans ce livre qui rend un vibrant hommage à cette génération mythique.

5. Nasa Apollo 11. Man on the Moon – Stephen Knöll – Studio Tillack Knoll, Spector Books (Sélection Prix du livre historique 2021)

Nasa Apollo 11. Man on the Moon – Stephen Knöll – Studio Tillack Knoll, Spector Books

Sur la couverture du livre, les traces d’un pas sur la lune, précisément le pied gauche de Neil Armstrong, l’un des membres de l’équipage Apollo 11, qui a été le 21 juillet 1969 le premier homme à y marcher. Le designer et chercheur Stephen Knöll revient dans l’ouvrage Nasa Apollo 11 – Man on the Moon sur cette aventure folle qu’a été ce voyage réussi dans l’espace. Grâce aux archives de la Nasa rassemblées pour la première fois dans leur intégralité, on passe de l’intérieur de la fusée au poste de contrôle sur terre et l’on traverse toutes les étapes qui ont permis à cette aventure folle de se réaliser. Sur la lune, trois membres d’équipage étaient équipés d’une caméra de données Hasselblad 500EL avec plaques Réseau et d’un objectif Zeiss Biogon 60 mm et ont photographié ce qui les entourait. Qu’on soit porté ou non sur les cosmonautes, feuilleter ce livre et découvrir les images de cet autre monde provoque une émotion particulière.

6. Los Angeles Standards – Caroline & Cyril Desroches – Poursuite (Sélection Prix du livre d’auteur 2021)

Los Angeles Standards – Caroline & Cyril Desroches – Poursuite

Los Angeles, en long, en large et en travers. 1300 photographies prises par les architectes Caroline et Cyril Desroches pour tirer un portrait architectural de cette ville aux mille visages. Des rues, des palmiers, des néons, des devantures, des mini-malls, tout y passe. On est souvent surpris en tournant les pages, comme devant ces photographies de bâtiments-haies, inspirés de l’art topiaire, où la végétation s’apparente à un matériau de construction. Organisé en chapitres, Los Angeles Standards permet d’établir des comparaisons, des analogies, des correspondances. À travers ce travail minutieux, on redécouvre une ville qui a été mille fois photographiée et qui n’arrêtera jamais de nous surprendre. Los Angeles, ville de tous les possibles, pour le meilleur et pour le pire.

7. Sokohi – Moe Sukuzi (Sélection Prix du livre historique 2021)

Sokohi – Moe Sukuzi

Sokohi est un mot japonais utilisé depuis le XVIe siècle pour désigner une maladie optique qui cause une déficience visuelle et dont les médecins peinent encore à trouver le bon traitement. Cette maladie, le père de la photographe japonaise Moe Suzuki en est atteint. Lui qui a été éditeur toute sa vie, tenait un journal quotidien et photographiait beaucoup lors de ses voyages, a vu son quotidien se transformer à cause de ses problèmes de vue. Dans cet ouvrage relié par de grandes spirales (clin d’œil au cahier dans lequel son père tenait son journal), sa fille tente d’exprimer le monde tel que son père le voit ou ne le voit pas. Projet d’ombre et de lumière, ce livre extrêmement touchant est particulièrement bien réalisé par une femme qui se définit sur son site internet comme une bookartist.

8. Two Thousand Words – Roberto Aguirrezabala – Editions Roberto Aguirrezabala (Sélection Prix du livre d’auteur 2021)

Two Thousand Words – Roberto Aguirrezabala – Editions Roberto Aguirrezabala

Objet sophistiqué et ludique au possible, Two Thousand Words de Roberto Aguirrezabala se déplie et se déploie à tout-va. On y découvre douze images prises par un anonyme lors de l’invasion des chars soviétiques dans les rues de Prague en août 1968, et qui cachent elles-mêmes le manifeste original en tchèque de l’écrivain Ludvík Vaculík, publié simultanément dans divers journaux le 27 juin 1968. Le texte est une déclaration réformiste, dans l’atmosphère d’ouverture qu’avait connue la Tchécoslovaquie depuis le début de 1968, avec l’arrivée au pouvoir d’Alexandre Dubček qui avait tenté de créer un socialisme à visage humain. Face à cet esprit de changement, Moscou avait réagi avec fermeté, envoyant des troupes soviétiques envahir le pays et rétablir l’ordre. À travers ce book-nobook, concept inventé par le philosophe Milan Simecka, Aguirrezabala cherche à nier le livre, à atteindre sa limite, remettant finalement tout en question. Révolution, ont-ils dit ?

9. The land of promises – Youqine Lefèvre (Sélection Luma Dummy Book Award Arles 2021)

The land of promises – Youqine Lefèvre

« En 1994, six familles belges, dont mon père, sont parties en Chine pour adopter des filles. Je suis née dans la province du Hunan en 1993 et j’ai été adoptée à l’âge de huit ans, raconte la photographe Youqine Lefèvre. Selon les documents officiels dont je dispose, je serais restée avec ma famille biologique pendant un mois avant d’être abandonnée. » À travers des papiers administratifs, des photos d’archives de ces six familles belges (dont la sienne) et des clichés qu’elle a pris de son pays natal lors de deux voyages qu’elle a effectués en 2017 et en 2019, Youqine Lefèvre revient dans cet ouvrage autoédité sur la politique de contrôle des naissances en Chine et ses nombreuses conséquences, mais aussi sur sa propre histoire. « The Land of promises dit-elle, reflète une envie, un besoin de me reconnecter à mes origines et de me réapproprier mon histoire. » En parallèle des portraits pris sur sa terre natale, on trouve des citations d’entretiens qu’elle menait avec les photographiés. Ce très beau livre qui part d’elle pour aller vers les autres et vice-versa, est une leçon d’humanité.

10. How to Look Natural in Photos – Beata Bartecka et Lukasz Rusznica – Palm Studios (Sélection Prix du livre historique 2021)

How to Look Natural in Photos – Beata Bartecka et Lukasz Rusznica – Palm Studios

How to Look Natural in Photos est à feuilleter plusieurs fois afin d’en discerner toutes les nuances, tous les liens que les commissaires Beata Bartecka et Łukasz Rusznica ont créés entre ces photographies prises par la police secrète polonaise entre 1944 et 1989. Restés anonymes, la plupart des photographes, qui ont capturé ces « photographies de reconnaissance » étaient des novices, apprenant à utiliser les caméras fournies par l’État tout en surveillant secrètement leurs sujets. Tout y passe : Voitures incendiées, empreintes digitales, accidents d’avion, manifestations, porte-documents, scènes de crime ou d’arrestations ou encore cadavres retrouvés. Le livre révèle l’utilisation colossale et ancrée de la photographie comme outil de pouvoir, de manipulation et de violence. C’est une histoire d’espions, d’agents, de gardes, de programmeurs d’algorithmes, de sujets de surveillance, de suspects, d’archivistes, de condamnés et de passants accidentellement photographiés. C’est la photographie dans ce qu’elle a de plus humain et d’inhumain.

Par Sabyl Ghoussoub

Né à Paris en 1988 dans une famille libanaise, Sabyl Ghoussoub est un écrivain, chroniqueur et commissaire d’exposition. Son deuxième roman Beyrouth entre parenthèses est sorti aux éditions de l’Antilope en août 2020.

Plus d’informations sur Arles Books 2021 ici.

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