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Paris Photo 2019 : l’oraison funèbre de Lennart Nilsson

Paris Photo 2019 : l’oraison funèbre de Lennart Nilsson

Le photojournaliste suédois a réalisé un travail aussi troublant que délicat sur les fœtus issus de grossesses non achevées. Des portraits funéraires qui questionnent profondément notre rapport à l’existence. Quatorze photographies sont exposées pour la première fois par la galerie Stene Projects dans le cadre de Paris Photo.

Foetus 20 weeks, 1965/2012 © Lennart Nilsson

Peut-être la photographie n’était-elle jamais allée autant dans un extrême, là où se mêlent la vie et la mort, l’existence et le néant. Ici, elle parvient à saisir quelque chose d’absolument déconcertant : le visage d’un très jeune nourrisson tristement inerte, pas encore né et déjà disparu. Dans cette zone grise d’une grossesse qui n’est pas allée à son terme, Lennart Nilsson trouve un sujet inédit et frappant, dérangeant forcément les consciences, mais les mettant face au défi de voir la mort de près et d’en voir un de ses visages, peut-être le plus douloureux. Aussi, grâce à un procédé technique élaboré, le photographe réussit à faire des portraits doux, d’une beauté étonnante et qui interrogent notre propre condition. Non seulement nous nous regardons en tant qu’être humain qui est passé par ce stade, mais nous le faisons en sachant que ce nourrisson-là n’a pas connu l’étape de la naissance. Étrange relation à un objet photographié qui est à la fois le révélateur de ce que nous avons été et de ce que nous ne serons jamais. 


Foetus 6 months, 1965/2012 © Lennart Nilsson

Microcosmos 

C’est entre 1958 et 1965 que Lennart Nilsson a réalisé ces photographies. Proche de plusieurs scientifiques et médecins, il a obtenu l’autorisation d’un hôpital de Stockholm d’installer un petit studio photographique dans l’enceinte du bâtiment et d’ainsi pousser son travail jusqu’à saisir le portrait d’un fœtus. Il avait à peine dix minutes pour faire une image et il en fera environ une centaine durant cette période. L’une d’elles formera la couverture d’un numéro du magazine Life en 1965, le numéro le plus vite vendu de l’histoire du magazine. Un livre sera aussi publié et obtiendra un succès mondial. « Ces photographies ne laissent personne indifférent », analyse le galeriste Jan Stene, « elles ont une qualité artistique certaine et je pense que c’est pour cela qu’elles sont si fortes ». Selon lui, ces photographies ouvrent d’énormes questions et pas seulement vis-à-vis de nous-mêmes, mais aussi en termes de relation à l’univers, au microcosmos. Aussi, elles n’auraient jamais pu être prises aujourd’hui, tandis que l’imagerie médicale se perfectionne et qu’il est désormais possible de voir un très petit nourrisson avec beaucoup de détail. Le sujet en lui-même est devenu beaucoup trop sensible moralement, éthiquement et religieusement. « Lennart Nilsson n’avait aucune idée morale ou religieuse quand il faisait ces photographies », dit Jan Stene, « pour lui, elles étaient simplement une image de l’existence humaine ». Elles sont aussi d’étranges hommages à ces visages qui ne verront jamais le jour et qui demeureront pourtant longtemps dans l’esprit de celui qui les a vus.


Foetus 18 weeks, LIFE (cover), 1965/2010 © Lennart Nilsson

Foetus 17 weeks, 1965/2012 © Lennart Nilsson

Foetus 13 weeks, 1965/2010 © Lennart Nilsson

Par Jean-Baptiste Gauvin

Stene Project

Paris Photo – B41

Grand Palais, 3 Avenue du Général Eisenhower, 75008 Paris 

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