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Philip Wolmuth, photographe de la banlieue londonienne, est mort

Philip Wolmuth, photographe de la banlieue londonienne, est mort

Le Britannique Philip Wolmuth, qui avait fait de la justice sociale le combat de sa vie, s’était fait connaitre pour ses photos dans les quartiers défavorisés de Londres.
Les garçons sous le survol de Westway jettent des pierres sur un train de métro de Londres alors qu’il passe Acklam Road, Notting Hill © Philip Wolmuth

Décédé la semaine du 21 février dernier, Philip Wolmuth (1950 – 2021) a documenté le quotidien de la classe ouvrière, principalement au Royaume Uni, dans la tradition des photographes « engagés » tels que Jacob Riis et Lewis Hine. Il a utilisé la photographie pour également démocratiser ce moyen d’expression, plusieurs années avant l’avènement du digital.

Il l’apprend dès son plus jeune âge, mais ce n’est que lorsqu’il atteint la vingtaine qu’il commence à réellement en vivre. Au début des années 1970, il habite à Londres, et quitte le quartier de South Kilburn pour s’installer à Camden Town. C’est là, dans un squat, qu’il vit de plein fouet la brutalité du système des logements sociaux. Philip Wolmuth emménage plus tard dans une maison communautaire, dont les résidents sont impliqués dans la politique sociale locale. Son sens de la justice et sa conscience activiste s’enracinent alors à ce moment là.

Aire de jeux Horniman’s Adventure, North Kensington, 1975 © Philip Wolmuth

Le pouvoir au peuple!

Inspiré par le travail de l’anglais Paul Carter, qui lance en 1973 un projet photographique précurseur, le Blackfriars Photography Project, Wolmuth obtient une bourse de la Gulbenkian Foundation. Il crée en 1976 le projet North Paddington Community Darkroom (chambre noire communautaire de North Paddington, NPCD), au sein du Centre Communautaire 510 de Harrow Road. Situées à la frontière de Portobello et Notting Hill et enclavées dans les quartiers riches, North Paddington et North Kensington sont à l’époque des zones défavorisées où apparaissent dénuement économique, pénurie de logements, habitats insalubres ou murés, et surpopulation. À cela s’ajoute un taux de chômage considérable pour la communauté des travailleurs immigrants.

« La vision qu’avait Philip de la photographie communautaire ne se bornait pas à prendre des photos des actions entreprises, mais également à les réaliser avec les personnes impliquées dans ces projets », expliquent sa compagne Jane Matheson ainsi qu’Anna et Eva Wolmuth, leurs filles.

Carnaval de Notting Hill © Philip Wolmuth

Wolmuth cherche alors à donner aux habitants des quartiers toutes les clés pour comprendre la photographie. Au travers du dispositif NPCD, il donne des cours de photographie et de développement de négatifs, organise des expositions, constitue une archive des événements locaux, et soutient les organisations communautaires.

« La photographie communautaire n’était pas limitée à l’activisme de l’époque, mais s’intégrait également à une politisation concomitante de la photographie elle-même », explique t-il au British Journal of Photography en 2010. « Notre but, dans le cadre du NPCD, était avant tout de contrer les stéréotypes de la représentation des femmes, des minorités ethniques, et des ‘luttes de classe’ (une expression qui allait bientôt tomber en désuétude) au sein des médias de masse. »

Challenge Scaffolding Ltd., l’une des nombreuses petites entreprises louant un espace sous des arches de chemin de fer désaffectées dans le King’s Cross Goods Yard, 1989 © Philip Wolmuth

Fidèle à ses principes

Non content de gérer le NPCD, Wolmuth se montre particulièrement prolifique en tant que photographe, et va rendre compte de la vie londonienne durant une cinquantaine d’années. De 1977 à 2020 il s’intéresse à l’espace de parole Speaker’s Corner, et crée un portrait impérissable de la résistance sociale britannique dans toute sa gloire. Il couvre le mouvement Occupy London, l’incendie de la tour Grenfell, la manifestation anti- Brexit People’s Vote March, le mouvement Extinction Rebellion et l’épidémie de COVID-19, et reste fidèle à ses convictions politiques. Juste avant sa mort, Café Royal Books publie deux ouvrages, Notting Hill 1970s et Kings Cross 1989-90. Ces collections tirées de son archive montrent le photographe en plein travail.

« Le mot qui me vient toujours, lorsque je regarde le travail de Philip, c’est ‘chaleur’. Ses photos débordent de chaleur et d’humanité, sans comporter le moindre jugement. Il ajoute une touche d’ironie de temps à autre, pour marquer le coup, mais son humour n’est jamais méchant. Ses images m’enchantent, tout comme son sourire si calme. Il vient en flottant, sans faire de bruit, et ressort de la situation avec des moments intimes, composés sans le moindre effort, pris au moment idéal, avec une lumière parfaite », affirme l’artiste Paul Carter.

Tea dance au Hampden Comunity Centre, Somerstown, Kings Cross, Londres, 1990 © Philip Wolmuth

« J’ai l’impression que Philip est tout à fait à l’aise avec sa vision du monde, lui qui est si humble. Il lui suffit d’être lui-même. Ses photos ne sont ni laborieuses ni convenues. L’intérêt et la surprise qu’il ressent pour les événements sont d’une sincérité absolue. Il ne bat jamais le rappel et n’a aucun besoin de revendiquer. Il est ce qu’on appelle un véritable reporter, un authentique témoin. Il semble bien que son amour de la photographie ne l’ait jamais quitté. »

Par Miss Rosen

Miss Rosen est une journaliste spécialisée en art, photographie et culture, et vit à New York. Ses articles ont été publiés dans des livres, des magazines et des sites web, dont Time, Vogue, Artsy, Aperture, Dazed et Vice, entre autres.

Notting Hill 1970s 
Kings Cross 1989-90

£6,50 le livre, les deux pour £11,00
Café Royal Books 
Disponible ici.

Le gymnase allemand et les détenteurs de gaz, Kings Cross, 1990 © Philip Wolmuth

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