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Pouvoir, sexualité et domination des femmes 

Helmut Newton et Renée Jacobs exposent ensemble leurs photographies érotiques de la femme.

Le photographe Helmut Newton est célèbre pour avoir produit des images de la domination féminine, faisant des mannequins de la haute couture des créatures sexuellement libérées à la recherche de leur propre plaisir. Son mélange audacieux de glamour, de décadence et d’une certaine noirceur n’a pas seulement captivé l’imagination du public pendant plus d’un demi-siècle, il a aussi redéfini les notions de la photographie de mode et de nu. Ses sujets sont devenus les protagonistes de drames dont la mise en scène s’inspirait du cinéma, de la littérature et de l’art.

« Newton était toujours dans l’air du temps, parfois même en avance sur lui », explique Matthias Harder, directeur de la Fondation Helmut Newton. La capacité de Newton à réaliser des photos qui à la fois définissaient et transcendaient son époque, a fait de lui l’un des photographes les plus influents du 20e siècle. Alors que le débat sur le genre et la sexualité continue de progresser et d’évoluer, son œuvre paraît emblématique dans l’époque actuelle.

Tied-up Torso, Ramatuelle 1980 © Helmut Newton
Tied-up Torso, Ramatuelle 1980 © Fondation Helmut Newton
Sie kommen (naked), French Vogue, Paris 1981 © Helmut Newton
Sie kommen (naked), French Vogue, Paris 1981 © Fondation Helmut Newton

La photographe Renée Jacobs est une âme sœur, dont le travail célèbre le désir féminin via des images de femmes rêveuses, audacieuses et séduisantes. En tant que lesbienne, la photographe adopte une perspective libératrice. Une maturité durement acquise, pour celle qui a été avocate en droits civiques avant de devenir photographe. 

La photographie a ainsi aidé Renée Jacobs à s’affirmer son homosexualité et à accepter le pouvoir réparateur de sa sexualité. « J’étais morte avant de faire mon coming out et je n’ai fait que rajeunir au fur et à mesure que je devenais plus libre », raconte-t-elle. « Simone de Beauvoir a dit que “tout mouvement vivant est un glissement vers la mort”, ce qui n’est pas tout à fait exact pour tant de personnes homosexuelles qui commencent mortes et glissent vers la vie à mesure qu’elles découvrons qui elles sont ».

Venus en fourrure

Woman examining man, Calvin Klein, American Vogue, Saint-Tropez 1975 © Helmut Newton
Woman examining man, Calvin Klein, American Vogue, Saint-Tropez 1975 © Fondation Helmut Newton

Avec l’exposition de Helmut Newton : Private Property, ainsi que des œuvres de Renée Jacobs incluses dans une exposition collective organisée en parallèle, s’illustre la ligne de démarcation entre passé et présent, homme et femme, représentations hétérosexuelles et lesbiennes du désir féminin dans la photographie. En créant des images iconiques de femmes exprimant leur pouvoir, leur sexualité et leur domination, Newton et Jacobs font passer leurs modèles du statut d’objet à celui de figures complexes inspirant fascination et admiration.

Helmut Newton a habilement opposé les constructions sociales de la sexualité féminine en célébrant le radical, le transgressif et le subversif dans son œuvre. Né à Berlin dans une riche famille juive pendant la République de Weimar, Newton a grandi à une époque où la possibilité sexuelle était ouvertement acceptée. 

« Les photos de deux femmes ensemble ont toujours donné l’idée d’une relation lesbienne », explique Sylvia Gobbel, qui apparaît sur la photographie de 1981,  intitulée Autoportrait avec femme et mannequins, studio Vogue, Paris, et a également posé pour la série Paris de Renée Jacobs. « Helmut Newton était ouvert d’esprit sur l’homosexualité depuis sa jeunesse. Il disait que, dans les années 1920 et 30, avant le nazisme, Berlin était le refuge des homosexuels, femmes et hommes. Dans les cabarets, il y avait des spectacles de travestis. Helmut a grandi dans cette atmosphère. Cela a été d’une grande inspiration pour ses photos par la suite. »

Woman into man, Yves Saint Laurent, French Vogue, Paris 1979 © Helmut Newton
Woman into man, Yves Saint Laurent, French Vogue, Paris 1979 © Fondation Helmut Newton
After Dinner, Paris 1977 © Helmut Newton
After Dinner, Paris 1977 © Fondation Helmut Newton

Tout au long de sa carrière, Helmut Newton a eu une vision exacte de la scène qu’il voulait créer, prenant un soin extrême à ce que l’image se déroule dans la vie réelle pour correspondre à celle de son imagination. « Newton dirigeait toujours les modèles », dit Gobbel. « Ses idées étaient très précises. Il avait l’histoire en tête et voulait la voir dans son objectif. Le client savait que s’il engageait Newton, il devait lui laisser toute liberté. Les gens le savaient et n’ont jamais essayé d’intervenir. »

Matthias Harder souligne aussi le fait que Newton a presque exclusivement travaillé sur commande, que ce soit en collaborant avec des rédacteurs de magazines, des créateurs de mode ou des agences de publicité. Pour s’exprimer dans le cadre de projets commerciaux, Newton, à partir des années 1960, a ainsi développé « un langage visuel autonome, inimitable et formateur. Sur le plan stylistique, il ne faisait aucune distinction entre l’éditorial et la publicité ».

À cette fin, chaque commande était l’occasion de mettre en œuvre les idéaux d’Helmut Newton. Et cela commençait avec les modèles. « Il a toujours engagé des modèles qu’il considérait comme des femmes forte », explique Gobbel. « Il n’aimait pas les “filles”. L’expression de leur visage devait toujours être puissante. Presque comme une actrice, toujours maîtresse de leur vie. Elles ne dépendaient jamais des hommes. Dans ses photos, les modèles masculins sont considérés comme accessoires, “tels des chaussures ou des sacs”, disait-il. Le centre de ses photos était toujours la femme. Il admirait les femmes fortes, comme l’était la sienne, June. Des femmes qui n’avaient pas besoin d’un homme sur qui s’appuyer, mais des femmes sur lesquelles lui pouvait s’appuyer. »

Three Girls On A Roof © Renee Jacobs
Three Girls On A Roof © Renee Jacobs
The Hand © Renee Jacobs
The Hand © Renee Jacobs

Velvet Underground

Renée Jacobs se souvient avoir vu les photographies d’Helmut Newton pour la première fois fin des années 1980 et début des années 1990. « C’était juste à l’époque où je faisais mon coming out et c’était formidable de voir la façon dont il montrait des femmes élégantes, chics et sensuelles comme je ne l’avais jamais vu à l’époque », dit-elle. « Voir ces images de personnes du même sexe était merveilleux. Cela ouvrait une porte. En même temps, c’étaient des actrices et on savait que ce n’était pas réel. Je suis tout à fait favorable à ce que les gens défendent leurs fantasmes, mais il est aussi important que l’authenticité du désir soit également représentée. »

Ainsi, pour Jacobs, la photographie est devenue un espace commun permettant à l’artiste et au modèle d’explorer les aspects intimes de la sexualité féminine. « Chacun de nous a des besoins qui lui sont propres, et si nous ne sommes pas autorisés à les aborder, quelqu’un d’autre le fera pour nous », dit-elle. « Il nous faut de la substance, et du contexte. »

Elle renvoie à l’introduction de son livre, Polaroids, dans laquelle Gregory Forstner explore l’importance de créer un contexte pour exprimer le désir dans une œuvre d’art. « L’une des forces des images de Renée consiste à ouvrir un espace à partir duquel le spectateur est soumis aux émotions de protagonistes, acteurs eux-mêmes de leurs propres fantasmes », écrit-il. « Ses modèles semblent affirmer qu’une image ne doit pas être nécessairement belle du moment qu’elle est libre, car c’est un moment offert et non volé. »

Sur le toit © Renee Jacobs
Sur le toit © Renee Jacobs
In The Car © Renee Jacobs
In The Car © Renee Jacobs

Esquivant la notion de regard masculin ou féminin, Renée Jacobs adopte ainsi le même processus de production qu’Helmut Newton, qui entretenait des liens étroits avec ses modèles, et dont elle se sent foncièrement proche pour cette raison. « Ces femmes dont il a fait la carrière et dont il a changé la vie l’adoraient », dit-elle.

« Ces femmes qui m’ont donné à voir leur vraie réalité, cela a été incroyablement libérateur pour moi, car permis de savoir où je me situe dans tout cela », résume Renée Jacobs. « Si vous laissez un espace aux besoins et aux désirs des gens, vous leur permettez de se montrer dans un spectre de diversité. Il y a 7 milliards de personnes sur la planète ; cela représente 7 milliards de façons différentes d’aborder la sexualité et la sensualité. Les problèmes arrivent lorsqu’on les censure. »

L’œuvre de Renée Jacobs fait partie d’une exposition collective organisée en parallèle avec
Helmut Newton : Private Property à la Maison méditerranéenne de la photographie Fotonostrum à Barcelone jusqu’au 3 juillet 2022. Helmut Newton : Private Property est présentée jusqu’au 10 juillet.

Les œuvres de Renée Jacobs présentées dans l’article ne font pas partie de l’exposition Fotonostrum.

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