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Rencontres d'Arles 2019 : « Déconstruire le stéréotype » par Valérie Belin

Rencontres d’Arles 2019 : « Déconstruire le stéréotype » par Valérie Belin

Pour ses cinquante ans, les Rencontres d’Arles invitent l’artiste Valérie Belin. Elle présente une série de huit photographies intitulées Painted Ladies, série réalisée en 2017 et exposée pour la première fois dans son entièreté. Créatrice d’images, Valérie Belin porte une réflexion vive et profonde sur le médium photographique et ses déclinaisons. Exceptionnellement, elle a souhaité s’entretenir avec nous quelques jours avant le Festival d’Arles.

Lady Blur, 2017 © Valérie Belin, Extrait de Valérie Belin, Painted Ladies (Éditions Xavier Barral, 2019)

Comment procédez-vous pour faire ces images que nous pouvons voir avec votre série Painted Ladies ?

Pour cette série, à l’origine, il y a eu une rencontre fortuite avec une image publicitaire que j’ai vue dans la rue. Une campagne d’affichage pour une marque de chaussures. Cette publicité montrait une jeune fille maquillée d’une manière très spécifique et très étrange, parce qu’il ne s’agissait pas d’un maquillage au sens où on l’entend de façon traditionnelle, mais plutôt d’une peinture. Cette jeune fille avait un visage peint. Cette image m’a intéressé parce qu’elle a rejoint mes propres obsessions. À partir de là, je me suis mise en quête de qui avait réalisé cette photographie et ce maquillage. Je suis tombée sur la maquilleuse Isamaya Ffrench qui est extrêmement talentueuse et qui est célèbre dans le monde du cinéma et de la mode. Elle a travaillé avec moi pour cette série. Ensuite, j’ai cherché des références peintes de manière à lui montrer des bases de travail. J’ai sélectionné des portraits dans la peinture fauviste, expressionniste… Des peintres comme Matisse, Kirchner, Kokoschka… Au moment de la prise de vue, la maquilleuse avait ces références dans son ordinateur et d’autre part, elle avait ses pinceaux. Elle passait des références aux modèles par l’entremise de ses pinceaux. Donc elle était presque sur le motif. Ces jeunes filles étaient comme des toiles vierges sur lesquels la maquilleuse venait créer un visage peint. Moi, en tant qu’artiste, c’est comme si j’avais voulu créer de toute pièce un être vivant grâce à la photographie et grâce à la peinture…

Vous avez dit dans un entretien : « La photographie a le pouvoir de redonner un semblant de vie à ce qui n’existe plus ou bien de momifier le vivant ». Avez-vous privilégié l’un ou l’autre dans cette série des Painted Ladies ?

Dans cette série c’est vraiment un mélange inextricable. Il n’y a pas de dichotomie qui est plus évidente ou plus visible. Ce n’est pas comme dans ma série des mannequins de vitrine (2003) où il s’agissait d’objets de plastique qui donnent l’illusion du vivant. Ici, il s’agit d’autre chose. Ici, c’est plutôt l’espèce de confusion ou de frontière troublée entre un être purement de chair et un être numérique, un être fabriqué par des outils à la fois traditionnels et aussi utilisés à l’ère du numérique. Il y a un aspect digital dans cette série, principalement donné par la fabrication en post-production du fond et du style de l’ensemble.

C’est comme si j’avais voulu créer de toute pièce un être vivant grâce à la photographie et grâce à la peinture…


Lady Shadow, 2017 © Valérie Belin, Extrait de Valérie Belin, Painted Ladies (Éditions Xavier Barral, 2019)

Les Painted Ladies sont une série qui a été précédée par de nombreuses autres dans lesquelles vous vous intéressez aux mannequins. Qu’est-ce qui vous fascine autant avec le mannequin ?

Ce qui me fascine dans cet objet, c’est son caractère de stéréotype. Je pense qu’un mannequin, qu’il soit un objet ou un être vivant, c’est-à-dire un mannequin d’agence de mode, constitue l’incarnation des fantasmes d’une époque ou plutôt la représentation des fantasmes d’une époque et de ses enjeux, de ses peurs, de ses dangers. C’est cela que je trouve fascinant. Cela est rendu possible parce que l’objet représente le stéréotype de la beauté en vigueur et en même temps, il a un caractère vide, il a un caractère vain. Il est à la fois puissant et vain. Il incarne la puissance et la vanité du stéréotype. Par « vanité », j’entends quelque chose de profond, de l’ordre du simulacre. Cet objet ou cette personne a perdu toute vie. Il n’est qu’un simulacre de vie. Je le montre pour ce qu’il est. C’est pour cette raison que j’ai pu parler, dans l’analyse de mon travail, de la tentative de « déconstruire le stéréotype » en le représentant, mais en le mettant en défaut par les effets de l’art, par les effets de la photographie et par le travail formel que je fais.

Oui, déconstruire les stéréotypes en les additionnant, c’est aussi votre démarche artistique… En tout cas par l’ajout de plusieurs couches comme dans les Painted Ladies où vous peignez les mannequins… Est-ce qu’il s’agit d’assembler des stéréotypes pour qu’ils s’annulent ensemble ?

Oui. C’est ce qu’on peut voir dans mon travail depuis quelques années. C’est le travail de la surimpression qui ajoute une couche au stéréotype et qui par cet ajout va le déconstruire. Quand je repense par exemple aux premières surimpressions que j’ai faites, les Têtes couronnées (2009), je superpose plusieurs vues très légèrement décalées de la même jeune fille – qui est une vraie jeune fille vivante – et, par ailleurs, je lui retire la vie par l’absence de texture de peau. Il y a donc un retrait du vivant. Mais la surimpression vient, au contraire, lui donner un tremblement, qui pourrait être un tremblement du vivant. C’est toujours complexe cette alchimie des couches…


Lady Stripes, 2017 © Valérie Belin, Extrait de Valérie Belin, Painted Ladies (Éditions Xavier Barral, 2019)

Dans votre œuvre, il y a aussi la recherche d’un concept très présent dans l’histoire de l’art depuis le XIXème siècle, c’est l’ « inquiétante étrangeté » définit par Freud que vous espérez sans doute déclencher chez le regardeur. C’est-à-dire qu’il y a une volonté de troubler. Comment faire une image troublante ?

Je n’en sais rien ! Il n’y a pas de recette… L’inquiétante étrangeté consiste en l’expérience de Freud qui, dans une gare, entre dans un train, aperçoit son propre reflet dans les vitres superposées du train et ne reconnaît pas son image. Si on applique cette expérience à mes photographies, cela veut dire que quand on regarde une de mes photographies, on ne reconnaît pas ce qu’on voit. Dans le cas de la série sur les mannequins de vitrines par exemple, le trouble s’installe quand on les regarde de près, quand on contemple l’image et qu’on s’aperçoit que par les détails du rendu photographique tout est faux. Le maquillage est peint à la main, les sourcils sont peints à la main, la pupille est peinte, le grain de peau est trop parfait et donc le faux remonte à la surface. Là, le trouble s’installe… On se dit : « Ah, mais non, ce n’est pas aussi simple que ça… Qu’est-ce que c’est que cette image ? ». Voilà un exemple de ce qui peut se passer quand on regarde une de mes photographies.

Vous exposez une nouvelle fois aux Rencontres d’Arles. Cette année, ce sont les cinquante ans. Que pensez-vous du Festival ?

C’est un Festival qui a beaucoup évolué et qui a suivi les évolutions de la photographie. On pourrait dire que les fondateurs du Festival ont défendu la photographie au moment où elle commençait à devenir une photographie d’auteur en France. Ils ont fait un travail remarquable. Ils ont défendu les artistes et les auteurs-photographes importants à l’époque. Au fil du temps, la photographie a évolué. Elle a rejoint le domaine des arts en général et le Festival a donné peu à peu une large place à des artistes utilisant la photographie. Aujourd’hui, le Festival est vraiment le reflet de cette complexité de l’utilisation de la photographie. Il n’y a pas une photographie, il y en a des multitudes. Le Festival en est le reflet et en même temps il maintient une vision prospective de découverte de jeunes photographes, de jeunes artistes et donne aussi la place à des artistes qui ont déjà une carrière derrière eux, mais en montrant des travaux qui n’ont pas réellement été montrés avant, qui gardent un caractère inédit.

Comme vos Painted Ladies ?

Comme cette série, oui.


Lady Inpainting, 2017 © Valérie Belin, Extrait de Valérie Belin, Painted Ladies (Éditions Xavier Barral, 2019)

Lady Stroke, 2017 © Valérie Belin, Extrait de Valérie Belin, Painted Ladies (Éditions Xavier Barral, 2019)

Propos recueillis par Jean-Baptiste Gauvin

Valérie Belin « Painted Ladies », Mécanique Générale 1er juillet – 22 septembre 10h – 19h30, Arles

Painted Ladies, Edition limitée, Par Valérie Belin et Eric Reinhardt, Publié par les Editions Xavier Barral

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