Blind Magazine : photography at first sight
Photography at first sight
Rechercher
Fermer ce champ de recherche.
Robin Friend et Igor Tereshkov, deux regards sur la terre défigurée

Robin Friend et Igor Tereshkov, deux regards sur la terre défigurée

Le centre photographique ImageSingulières de Sète (France) présente le travail de deux photographes impliqués dans la transmission d’un message écologique. « Bastard CountrySide » de Robin Friend et « Oil and Moss » de Igor Tereshkov y sont exposés jusqu’au 6 mars 2022.
© Igor Tereshkhov

Deux styles, deux regards, un même message. Chacun sur son territoire, Robin Friend et Igor Tereshkov, témoignent par l’image de la façon dont le monde moderne défigure nos paysages, empoisonne jusqu’au plus profond de la terre et anéantit toute vie animale. Le centre photographique ImageSingulières de Sète dans le sud de la France lie intelligemment ces deux travaux au long cours.  

Robin Friend, campagne bâtarde 

« Cette espèce de campagne un peu bâtarde, assez laide, mais bizarre et composée de deux natures… fin des ornières, commencement des passions… ». Robin Friend a fait sienne cette phrase de Victor Hugo dans Les Misérables. Son exposition (aussi un livre), « Bastard CountrySide », est un voyage dans la campagne britannique. Celle des routes assez larges pour une voiture, emmurées par d’épaisses haies, celle des collines embrumées au vert puissant, celle des villages de pierre et des côtes balayées par les embruns. Mais voilà. Le photographe né à Londres nous montre l’arrière du décor, cette campagne bâtarde justement, enlaidie par l’homme, entre ville et nature. 

© Robin Friend

Ce travail est une enquête. À la recherche des lieux métaphores : ces endroits qui illustrent au mieux la destruction de la nature par les dérives du monde moderne. Les images frappent juste. En témoigne cette photo prise d’une décharge souterraine de voitures. Une découverte faite par le photographe dans le nord du Pays-de-Galles. Il lui a fallu descendre en rappel, embarquer dans un canot pneumatique et utiliser un puissant projecteur pour capturer cette vue post-apocalyptique. Voici la trace de l’homme. Un amoncellement de carcasses, de moteurs, pneus et autres carrosseries rouillées. On ne comprend pas comment cette cascade de ferraille a pu atterrir dans cette cavité. Seul un halo lumineux éclaire la scène. L’eau est miroir, elle démultiplie le désolant spectacle. 

Robin Friend a son univers. Poétique et activiste. Ses images racontent un tout, illustrent le désastre écologique. Comme la photo de ce cachalot échoué dans le Norfolk. Deux femmes se sont approchées de l’animal, l’une d’elles touche le museau de la bête. La carcasse imposante se vide de son sang, étendue sur une plage de cailloux, aux côtés d’un autre squelette, celui d’un long bateau. Image symbolique de notre prise de conscience d’un monde abîmé, affaibli et meurtri. Robin Friend nous met face à une question simple : quelle planète laissons-nous pour les générations futures ? 

© Robin Friend

Igor Tereshkov, de mousse et de pétrole 

Un noir et blanc sauvage, sombre, de mouvement. Les photos d’Igor Tereshkov semblent exhumées d’un album du XIXe siècle. En 2018, il s’engage avec Greenpeace à Sourgout dans le district autonome des Khantys-Mansis, à l’ouest de la Sibérie, où est produit près de 50% du pétrole russe.Des extractions pétrolières – en Russie, environ 1,5 million de tonnes de pétrole sont déversées chaque année dans l’environnement – qui polluent les sols et menacent le mode de vie de ces peuples éleveurs de rennes, semi nomades. « Oil and Moss » raconte leur histoire. 

À chaque fois, des taches noires visqueuses parsèment la photo. Le photographe, né à Enerhodar en Ukraine, a prélevé des gouttes de pétrole des extractions avant de tremper le film de 35 mm dans cette eau contaminée. La substance attaque la pellicule aléatoirement, symbole de la trace de l’homme sur l’environnement, mais aussi sur lui-même. « En plus du désastre environnemental sur l’environnement, la qualité de l’eau, la pollution de la mousse dont se nourrissent les rennes, il y a aussi à mon avis une crise de la propriété du sous-sol. C’est une sorte de colonisation », nous explique le photographe. 

© Igor Tereshkhov
© Igor Tereshkhov

Pour ce travail Igor Tereshkov a été surveillé de près par les compagnies pétrolières, quelques galeries n’ont pas osé exposer son travail, de peur sûrement de perdre des subventions. Entachées, floues, où la lumière peine à exister, les photos sont elles-mêmes souillées. Le message devient lui-même palpable, via la matière photographique, la destruction de l’extraction pétrolière s’exprime directement sur le papier. Mais le photographe n’y voit pas qu’une expression de fin d’un monde, « Je vois un certain romantisme et l’espoir de changement dans le fait de montrer le problème. Cela permet d’en parler, de reconnaître des faits, voilà l’espoir. »

Par Michaël Naulin

Michaël Naulin est journaliste. Passé par les rédactions de presse régionale et nationale, il est avant tout passionné de photographie et plus particulièrement de photoreportage.

« Bastard CountrySide » de Robin Friend et « Oil and Moss » d’Igor Tereshkov. Du 13 janvier au 6 mars 2022, Centre photographique ImageSingulières, 15 rue Lacan 34200 Sète.

© Robin Friend

Ne manquez pas les dernières actualités photographiques, inscrivez-vous à la newsletter de Blind.