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Sarah Moon, Dior pour toujours

Réalisé par la photographe en collaboration avec la Maison Dior, un coffret de trois livres illustre l’évolution de la maison depuis sa création. Un merveilleux hommage à Dior lui-même, et un document précieux sur la pérennité de la mode.

Qu’est-ce qui définit Dior ? La célèbre maison de couture, fondée il y a plus de soixante-quinze ans, a subi des transformations au gré des tendances de la mode et des changements de direction artistique. Quel est l’héritage, dans les créations d’aujourd’hui, des pièces originales réalisées à la fin des années 1940 par Christian Dior lui-même ?

Un coffret vient de paraître, Dior par Sarah Moon, où la photographe revisite les archives de la maison et de ses différentes incarnations au fil des ans. De Christian Dior lui-même à Maria Grazia Chiuri, les images de Sarah Moon retracent l’évolution de la marque à travers les époques, depuis sa fondation en 1946.

Papillon, Christian Dior. Robe d’après-midi, printemps- été 1948. © Sarah Moon

Du New Look à Maria Grazia Chiuri

Divisé en trois sections, le premier volume illustre les débuts de Dior et le célèbre New Look, tandis que le deuxième présente l’évolution des collections à travers leurs signatures successives. Le troisième volume est consacré aux créations conçues par la directrice actuelle, Maria Grazia Chiuri.

Le New Look, créé par Christian Dior en 1947, devient l’emblème de la maison, et le demeurera pendant une bonne partie du siècle. Caractérisé par un retour à l’ultra-féminité, avec des tailles cintrées et des jupes amples, il contraste fortement avec les styles épurés des années 1920 et 1930, et son influence s’étend jusqu’à la mode d’aujourd’hui. Lorsqu’on demande à la photographe quelle époque de Dior a été décisive dans sa collaboration, Sarah Moon n’hésite pas à répondre : « Le New Look, qui a été une révolution dans la mode, et a inspiré tant d’autres couturiers. »

Cette ligne est particulièrement mise en valeur, dans les images floues de Sarah Moon – voir sa photographie du mythique tailleur « Bar », dont les épaules larges et la taille minuscule évoquent la forme d’un sablier. A ces délicates représentations de la mode s’ajoutent des photographies prises dans les ateliers, ainsi qu’à la Fondation Le Corbusier. Et les cages d’escalier, fenêtres, courbes de murs ont leur place dans l’ensemble de l’illustration.

Cocotte, Christian Dior. Robe d’après-midi, printemps- été 1948. © Sarah Moon
Miss Dior, Christian Dior. Robe d’après-midi, printemps- été 1949. © Sarah Moon

En quoi la Fondation se prête-t-elle à la photographie ? « C’est un endroit que j’ai toujours aimé, où j’avais déjà travaillé », dit Sarah Moon. Et dans l’introduction du premier volume, elle écrit : « Il n’y avait pas meilleur cadre que la Fondation Le Corbusier, son minimalisme, ses murs, sa lumière et ses reflets, pour qu’elle puisse y évoluer librement, sans pose, et révéler à travers le vêtement, comme un accord parfait, cet instant précis où la photographie pouvait avoir lieu. »

Une leçon de savoir-faire

Le deuxième tome, intitulé Dior après Dior après Dior, s’ouvre sur une photographie d’un ensemble des années 1980 signé Gianfranco Ferré – image où le procédé sépia donne une patine ancienne. D’autres photographies plus sobres, en noir et blanc, succèdent à celle-ci : chapeaux exposés sur des têtes, rangées de mannequins attendant d’être habillés, ou encore, images de modèles, dont le flou et le mouvement sont caractéristiques du style de Sarah Moon. Et l’ensemble de ces images comporte un caractère intemporel : qu’elles datent des années 2000 ou 1950, les pièces semblent toutes avoir été créées à la même époque.

Vincennes, Gianfranco Ferré pour Christian Dior. Robe du soir, automne-hiver 1989. © Sarah Moon
Numéro 352, Maria Grazia Chiuri pour Christian Dior. Robe Miss Dior, printemps-été 2021. © Sarah Moon

Dans son effort d’éviter tout anachronisme, Sarah Moon est exigeante dans la sélection de ses modèles, choisissant notamment Andrea Gutierrez pour l’intemporel qu’elle semble porter en elle : « Le mot le dit, elle est hors du temps, hors des codes du moment », explique-t-elle. « Au-delà des qualités esthétiques, au-delà de la beauté, c’est une présence, une personnalité, une gestuelle. »

Qu’est-ce qui, dans ce voyage à travers les années, a le plus frappé Sarah Moon ? « Toutes les qualités de la couture artisanale rassemblées, la variété et la beauté des pièces conservées… Le lieu en lui-même, comme un écrin qui restitue le “parfum d’une époque” jusqu’à aujourd’hui. » Il est remarquable, en effet, que ces vêtements de la fin des années 1940 aient pu rester en si parfait état : il y a là une leçon de savoir-faire, dont peuvent tirer parti les couturiers d’aujourd’hui.

Sonnet, Christian Dior. Robe à danser, automne-hiver 1952. © Sarah Moon
John Galliano pour Christian Dior. Tailleur, printemps-été 1999. © Sarah Moon

« Le tissu est le seul véhicule de nos rêves »

Le troisième livre est consacré aux créations actuelles, portant la signature de Maria Grazia Chiuri. Celle-ci écrit, dans l’introduction : « Les photographies réalisées par Sarah pour mes collections ont également réussi à exprimer l’importance que revêt pour moi la mémoire, d’autant plus que je dois me mesurer à l’extraordinaire héritage de la maison Dior. » Les directeurs artistiques de maisons légendaires ont, en effet, un défi difficile à relever : rester fidèles à l’éthique de la marque, tout en apportant leur propre vision et une touche de modernité.

Maria Grazia Chiuri trouve ici un équilibre délicat, qu’illustrent les images de Sarah Moon. Elle parvient à recréer la silhouette emblématique de Dior tout en jouant avec différentes textures et tissus, et les modèles de la photographe, allégés du poids du vêtement, semblent ainsi suspendus dans l’espace. Le volume se conclut sur l’image d’un oiseau volant dans un ciel gris, tandis que le soleil, perçant avec peine les nuages, se couche lentement.

Drags, Christian Dior. Robe d’après-midi, printemps- été 1948. © Sarah Moon

« Je trouve que les atmosphères évanescentes, intimes et comme suspendues dans le temps qui se dégagent de ces photographies restituent parfaitement mes incessants allers et retours entre passé et présent pour imaginer les scénarios de demain », poursuit Maria Grazia Chiuri. « Elles ont quelque chose de spécial – quelque chose qui relève de la magie –, en raison de la convergence entre la vision de la maison Dior, qui a toujours essayé d’interpréter et de donner forme à la femme contemporaine, et le regard féminin de Sarah Moon en un point imparfait, poreux et chargé d’émotion. »

Ce coffret est un merveilleux hommage à Dior lui-même, et un document précieux sur la pérennité de la mode, quoiqu’elle change au fil des ans. Remarquablement romantiques, les photographies de Sarah Moon nous désignent le passé, l’avenir, tout lieu où nous conduisent les créations de la mode véritable. « Le tissu est le seul véhicule de nos rêves », écrivait Dior. « Et puis la mode, en somme, est issue d’un rêve, et le rêve c’est une évasion. »

Dior par Sarah Moon, publié par Delpire & Co, en vente depuis le 3 novembre 2022.

Sans atout, Maria Grazia Chiuri pour Christian Dior. Robe manteau, automne-hiver 2017. © Sarah Moon

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