En 1911, le capitaine Anglais Robert Falcon Scott part pour l’Antarctique. C’est la deuxième fois qu’il navigue vers le Sud. Sa première expédition, Discovery, lui avait permis quelques années plus tôt d’atteindre un record historique : jamais personne ne s’était aventuré aussi près du Pôle Sud. À son retour, le capitaine Scott est célébré comme un héros, mais il ne peut pas en rester là. Au début du XXème siècle, la course à l’Antarctique fait rage : c’est le dernier confin du monde connu, la seule terra incognita encore sauvage et inexplorée. Il faut être le premier à atteindre le pôle magnétique.
C’est à bord du Terra Nova qu’il entreprend sa deuxième grande traversée. Terra Nova : le nom du navire restera tragiquement célèbre. Après s’être fait devancés de quelques jours par une expédition norvégienne ayant atteint avant eux le Pôle Sud, le capitaine et son équipage périssent sur le chemin du retour.
Malgré sa déroute, l’expédition Terra Nova fournit au monde les premières images de l’Antarctique. Car parmi les hommes du Capitaine Scott, il y a Herbert G. Ponting, un célèbre photographe qui prend quelques-uns des clichés fondateurs du mythe de l’Antarctique. Ce sont ces photos qui sont exposées à l’Atlas Gallery, à Londres, du 8 décembre 2020 au 31 janvier 2021. « Même sans son expédition en Antarctique, Ponting aurait été l’un des plus grands photographes paysagistes du 20ème siècle. D’un point de vue photographique, les photos font partie des meilleures photos de paysage du siècle dernier », explique Ben Burdett, le directeur de l’Atlas Gallery.

Trop vieux pour finir l’expédition, Ponting quitte le Terra Nova en 1912, échappant ainsi à la mort. Mais il enseigne son art au Capitaine Scott qui documentera lui-même l’expédition après le départ du photographe. Ses photos font également partie de l’exposition Endurance And The Great White Silence à l’Atlas Gallery. Les photos de Ponting et de Scott façonnent l’imaginaire du grand public. Elles montrent pour la première fois cette vaste étendue de blanc, terre de tous les fantasmes. Elles offrent aussi une immersion dans le quotidien de ces hommes qui, animés par le désir d’explorer les confins du monde, s’exposent à la rudesse des éléments et s’avancent, sans le savoir, vers une fin tragique.


Quelques années après l’expédition Terra Nova, Ernest Shackleton, une autre figure de proue de ce qu’on appellera des décennies plus tard l’Âge héroïque de l’exploration en Antarctique, entame une expédition au bord de l’Endurance. Parmi ses hommes, le photographe australien Frank Hurley. « Hurley est plus libre que Ponting. C’est un précurseur de la photographie de reportage. Son image la plus connue de l’Endurance de nuit est entièrement moderniste et éditoriale. C’est une image que Ponting n’aurait pas prise », raconte Burdett.

L’Endurance aussi connaît une célèbre déroute. Bloqué dans la glace, le navire finit par couler et l’équipage est sauvé de justesse. L’histoire de ces hommes qui, ayant abandonné leur embarcation, doivent voguer sur l’eau glaciale pendant cinq jours avant d’atteindre la terre la plus proche, est l’un des récits de survie les plus édifiants de l’histoire. Tout cela se passe sous l’œil attentif de Hurley, décrit par l’un de ses coéquipiers comme « un guerrier équipé d’un appareil photo », prêt à risquer sa vie pour obtenir la composition parfaite. Cet amour du risque fait de ses photos des témoignages rares et impressionnants. Les photos de Ponting, Scott et Hurley offrent des regards croisés sur une des plus grandes aventures de l’ère moderne. Les photos de paysages ont quelque chose de vertigineux : on y voit toute l’immensité de la terre à conquérir. Les portraits, eux, sont saisissants d’intimité.

L’exposition qui rassemble le travail des trois hommes mérite qu’on s’y intéresse d’un point de vue historique et photographique. Mais ce n’est pas tout. Ces photos nous racontent les grandes expéditions du début du siècle dernier. Elles nous disent aussi quelque chose de cet instinct de conquête que nous portons tous en nous. On y reconnaît le désir d’aventure qui a motivé les plus grandes épopées humaines, de la sortie d’Afrique des Homo Sapiens jusqu’à la conquête spatiale. Qu’y a-t-il aux confins du monde ? Certains sont prêts à mourir pour le découvrir. L’exposition Endurance And The Great White Silence de l’Atlas Gallery nous plonge dans leurs histoires.
Par Joy Majdalani
Joy Majdalani est une rédactrice et créatrice de contenu libanaise basée à Paris. Elle écrit sur la technologie, l’art, la culture et les questions sociales.


Endurance and the great white silence
The Antarctic Photographs of Frank Hurley, Herbert Ponting and Captain Scott
ATLAS GALLERY
49 Dorset Street, London W1U 7NF
8 décembre 2020 – 30 janvier 2021