Rechercher
Fermer ce champ de recherche.

Un autre regard sur les cités HLM de France

Avec l’ouvrage On est bien arrivés, le sociologue Renaud Epstein offre un autre regard sur les cités HLM de France à travers des cartes postales.
Renaud Epstein
Choux

C’est en 1994, dans un bar-tabac de la ZUP (Zone à Urbaniser en Priorité) des Trois Ponts à Roubaix, que le sociologue Renaud Epstein est tombé pour la première fois sur une carte postale de grand ensemble « perdue au milieu de cartes de vœux aux couleurs passées éparpillées sur un présentoir à moitié vide. » Ces recherches sur la politique de la ville le menaient à traverser la France des HLM, « de Sarcelles à Vaulx-en-Velin, de Mulhouse à Nantes, en passant par Vierzon, Beauvais, Clichy-sous-Bois, Tours et des dizaines d’autres villes. » Dans chaque quartier, il faisait le tour des cafés, des maisons de presse, des épiceries et a rassemblé au fil des années une collection de centaines de cartes postales, collection qu’il comparait à celle « d’un touriste qui souhaite rapporter des souvenirs de ses lieux de villégiature. »

Cette collection personnelle prend une autre tournure en 2003 quand l’État français lance un vaste programme national de démolition-reconstruction des quartiers d’habitat social. De simples photos souvenirs, ces cartes postales deviennent des archives, de traces d’un monde en voie de disparition. Renaud Epstein se met alors à les collecter de façon systématique en essayant – « sans y parvenir » – de couvrir tous les quartiers visés par l’opération de démolition-reconstruction. « Je me suis donc mis à écumer les brocantes et vide-greniers, puis les sites de vente en ligne pour finir par accumuler près de trois mille de ces cartes postales représentant des quartiers de tous et de barres dont la disparition était programmée. »

Renaud Epstein
Grigny
Renaud Epstein
Tours

Ces cartes postales étaient apparues pour assurer la promotion de ces quartiers, dès les premiers construits, on pense notamment au quartier des Gratte-ciel de Villeurbanne ou de la cité-jardin de Drancy, « opérations d’aménagement emblématiques du socialisme municipal de l’entre-deux guerres qui ont ouvert à la voie à l’édification des grands ensembles dans les années 1950. » Après la seconde guerre mondiale, la France est mal logée. Des centaines de milliers de familles vivent entassées dans des taudis insalubres qui pousseront l’abbé Pierre à lancer son fameux appel du 1er février 1954, appelé aussi « l’insurrection de la bonté » qui débutait ainsi : « Mes amis, au secours… Une femme vient de mourir gelée, cette nuit à trois heures, sur le trottoir du boulevard Sébastopol, serrant sur elle le papier par lequel, avant-hier, on l’avait expulsée… Chaque nuit, ils sont plus de deux mille recroquevillés sous le gel, sans toit, sans pain, plus d’un presque nu. Devant tant d’horreur, les cités d’urgence, ce n’est même plus assez urgent ! »

L’État avait adopté en 1953 des objectifs ambitieux de production : 240.000 logements par an. De 1946 à 1975, la France est passée de 12 millions de logements à 21 millions. Plus de 200 Zup ont été construites sur l’ensemble du territoire national. En parallèle « des milliers de prises de vues d’ensemble de HLM ont été produites et mises en vente par de grands éditeurs nationaux (Yvon, Lapie, Combier, Cap, La Cigogne…) et une multitude d’éditeurs régionaux et locaux ont eu recours à une vaste gamme de techniques et de prises de vue et d’impression. » Souvent capturées en hauteur, les photos de ces lieux pouvaient faire rêver avec leur ciel bleu azur. Elles étaient prises en adoptant les codes visuels de la photographie institutionnelle « destinés à magnifier une architecture symbolisant la modernité et le progrès. » Tout autour des habitats, on trouvait souvent une verdure luxuriante. On est bien loin des images actuelles des cités HLM, symbole des années après leur édification « de la crise socio-urbaine » qui a mené à ce qu’on a plus communément appelé : la crise des banlieues.

Renaud Epstein
Dijon
Renaud Epstein
Epinay
Renaud Epstein
Poissy
Renaud Epstein
Grigny

Devant le constat amer de l’échec de ces quartiers longtemps abandonnés par l’État, la décision est prise de faire table rase du passé, de les détruire et de reconstruire de nouveaux habitats. Cette décision est mal vue par certains qui dénoncent le supposé traitement de faveur dont bénéficieraient les résidents des quartiers visés par la politique de la ville, majoritairement immigrés ou descendants d’immigrés, qui aurait pour contrepoint l’abandon par l’État des habitants d’une « France périphérique aux contours flous ». Face à cette « petite musique pernicieuse » qui monte dans le débat public en 2014, Renaud Epstein lance une série sur Twitter : « Un jour, une ZUP, une carte postale ». Souhaitant « proposer un autre regard sur des quartiers qui pâtissent d’une image stigmatisée », le sociologue publie quotidiennement une carte postale sur son compte. Sa page Twitter connaît un réel engouement avec des commentaires nostalgiques, touchants, mais aussi haineux. 

Dans le magnifique ouvrage On est bien arrivés qu’il vient de publier aux éditions Le Nouvel Attila, Renaud Epstein présente un tour de France des grands ensembles autour d’une centaine de cartes postales accompagnées de « citations tirées de discours politiques, de textes juridiques, d’ouvrages scientifiques, d’articles de presse, de romans, de films, de chansons, de tweets ou exceptionnellement du verso même des cartes postales. » Dans l’un de ces textes, on peut lire ces paroles du rappeur Kery James qui chante ce qu’on ne voit pas : « J’viens de la banlieue, une France à part. Et y’a pas de distance qui nous sépare. La cité a ses codes, son langage, son silence, ses modes, ses méthodes et sa lecture du monde. C’est vrai que parmi les miens il y a des dealers, des tueurs et des braqueurs, des crapuleux mais aussi des durs au grand cœur, des étudiants, des patrons et des sportifs, Y’a des innocents et des fautifs. Nos rues sont pleines de talents cachés. Transformés en talent gâchés. »

On est bien arrivés. Un tour de France des grands ensembles, Renaud Epstein, Le Nouvel Attila, 144 pages, 18€.

Renaud Epstein
Forbach
Renaud Epstein
Uckange

Vous avez perdu la vue.
Ne ratez rien du meilleur des arts visuels. Abonnez vous pour 6$ par mois ou 108$ 60$ par an.