
C’est un débat scientifique sans fin, mais qui donne matière à moudre. Selon des spécialistes, certaines femmes auraient une capacité supérieure à percevoir la couleur. C’est ce qu’on appelle la tétrachromatie et, sans être sûr qu’elle a joué dans le regard de ces femmes photographes, il est plaisant de constater combien, dans l’histoire de la photographie, la couleur a été dévolue aux femmes. Citons par exemple l’une des premières photographes de l’histoire, Anna Atkins. Les algues qu’elle prenait en photographie via la technique du cyanotype, c’est-à-dire en impression directe du soleil sur le papier sans passer par l’appareil photographique, se déploient dans une couleur bleu intense qui va marquer des générations de photographes et constituent une utilisation pionnière de la couleur dans la photographie.

Plaques de verre
C’est ce procédé du cyanotype que l’artiste Nancy Wilson-Pajic explore, notamment avec un grand format impressionnant qui ouvre cette exposition. On y voit la silhouette d’un être humain en train de tomber au milieu de petites fleurs. L’artiste l’a intitulé Falling Angel et nous sommes fascinés par l’ampleur de cette image qui est littéralement renversante pour le visiteur. À côté, une photographie de la finlandaise Claire Aho qui utilisait la couleur dès les années 1950. Son œil va même jusqu’à mettre en abîme la photographie à travers un cliché qu’elle prend d’un bouquet de fleurs dans un studio photo. Formidable image qui révèle combien la couleur est l’apanage des femmes dans l’histoire de la photographie. Certaines vont même jusqu’à l’utiliser dans la chambre noire, au moment où se développe la photographie. C’est le cas par exemple d’Ellen Carey ou de Jo Bradford. L’une et l’autre jouent avec différents éléments tels que des plaques de verre, des luminaires ou des filtres. En jaillit un festival de couleur qui, tout en étant abstrait, nous emporte vers une rêverie primitive.

Nuages
Façonner l’image, la travailler, la rendre vivante, c’est aussi ce que fait Mariah Robertson. L’artiste a décidé de se rebeller contre toutes les règles liées à l’usage de la photographie. Elle fait tout ce qu’il ne faudrait, en théorie, pas faire avec du papier photographique. Et voilà qu’avec une adresse de magicienne elle donne des compositions où des nappes colorées s’entremêlent et forment comme un ciel peuplé de nuages de différentes tailles. Expérimentant la couleur et, comme elle, les couches successives, voici le travail de Chloe Sells. La photographe habite au Botswana et prend en photographie le paysage de ce pays où vivent, dans la nature, de grandes bêtes sauvages. Elle attrape la placidité d’une plaine qui se confond avec l’horizon du ciel et ajoute un cadre mouvant qui déstabilise celui qui le regarde.

Lune
Susan Derges, quant à elle, fait du paysage sa propre chambre noire. C’est dehors, en pleine nuit, aidée par les rayons de la lune qu’elle fait apparaître sur du papier photographique le spectre d’un arbre. C’est dans une rivière qu’elle est allée ensuite développer sa photographie et le résultat donne l’impression d’un arbre en train de danser. Sally Gally, elle, capture des fragments de cerf-volant dans le ciel. C’est par exemple cette photographie où des méduses artificielles, et à la couleur vive, s’agitent dans les cieux. Autre amoureuse de la couleur : Patty Carroll. La photographe réalise des portraits cocasses où un modèle féminin se fait avaler par un décor absurde où des couleurs prononcées s’enchevêtrent. À ces compositions minutieuses, répond formidablement bien le travail de Meghann Riepenhoff. L’artiste a laissé dans la galerie un livre qui se fait, petit à petit, au contact de la lumière. Chaque jour, la galeriste Miranda Salt tourne une page qui va être colorée par la teneur du jour. C’est l’histoire des femmes photographes et de la couleur qu’elle enregistre délicatement, car elle garde ainsi une trace de cette magnifique exposition.





Par Jean-Baptiste Gauvin
Women in color Anna Atkins, Colour Photography and Those Struck by Light
À partir du 26 avril
Galerie Miranda, 21 Rue du Château d’Eau, 75010 Paris