
« O-P-U-L-E-N-C-E: Opulence ! Tu possèdes tout ! Tout est à toi ! » : c’est l’une des répliques les plus célèbres de Junior LaBeija, membre de la célèbre House of LaBeija, dans Paris Is Burning, un documentaire incontournable de 1991 réalisé par Jennie Livingstone à propos de la scène du voguing à New York. Ces mots pleins d’aplomb et d’autorité illustrent toute une culture, née après la guerre civile avec les drags balls organisés par William Dorsey Swann, surnommé “The Queen” par ses amis. Depuis, ces bals sont devenus populaires dans le monde entier, prônant la fierté, la résistance et le style des queers noirs.
L’opulence n’est pas un luxe. C’est une nécessité, dans un monde qui remet systématiquement en cause les droits humains des Noirs LGBTQ. C’est un état d’esprit né de désirs et de rêves, inspirant ceux qui tentent de sortir de la pauvreté. L’opulence est l’âme de la salle de bal, un espace de fête où règne l’amour, et où les jeunes queers noirs se sentent dédommagés de la haine qu’on leur voue : dire cela n’est pas exagéré, au vu de la grandeur qui habite ces lieux.


Opulence, l’exposition du photographe autodidacte Dustin Thierry, exprime la beauté des salles de bal, avec leurs pistes sacro-saintes où l’on évolue avec majesté. Ses somptueux portraits, remarquable mélange de documentaire et de photographie de mode, exaltent l’identité des queers noirs, et invitent à la contemplation autant qu’à la vénération.
Se libérer et surmonter le deuil
Originaire de Curaçao, Dustin Thierry, émigre seul aux Pays-Bas à l’âge de 14 ans, où il est confronté au racisme malgré la réputation libérale de cette nation. Après s’être vu refuser des possibilités d’intégration, il décide de suivre sa propre voie. Son travail le libère, et lui permet de surmonter le deuil de son frère, un jeune photographe polysexuel, victime de l’homophobie sévère sévissant à Curaçao, et qui s’est suicidé en 2016.


Trois ans auparavant, Dustin Thierry avait posé les jalons de cette extraordinaire série d’images. Photographe officiel des événements au nightclub BIRD, à Rotterdam, Thierry est présenté à Amber Vineyard, fondatrice de « The House of Vineyard », qui organise son premier bal dans cette salle devenue mythique. Cette rencontre est à l’origine d’Opulence: Thierry réalise alors que son travail est en résonance avec la diaspora africaine, désencombrée de l’implacable regard des Blancs.
Le travail de Dustin Thierry l’a aidé psychologiquement et a permis à d’autres d’accéder à l’univers de l’art. Il y fait énergiquement la preuve de son intention : être au service d’un groupe humain, le soutenir et le dynamiser. Une réplique de Pepper LaBeija dans Paris Is Burning s’applique particulièrement bien à Opulence : « Les minorités, particulièrement les Noirs – c’est à dire notre peuple, depuis 400 ans – sont le parfait exemple d’un changement de comportement dans l’histoire de la civilisation. On nous a tout pris, et pourtant, on s’est tous débrouillés pour survivre. »


Par Miss Rosen
Miss Rosen est une journaliste basée à New York, elle écrit sur l’art, la photographie et la culture. Son travail a été publié dans des livres et des magazines, notamment Time, Vogue, Artsy, Aperture, Dazed et Vice.
Dustin Thierry: Opulence
Jusqu’au 4 avril 2021
Van Abbe Museum, Bilderdijklaan 10, 5611 NH Eindhoven, Netherlands