
« Tuer. Violer. Contrôler. » Telle est la devise de la Mara Salvatrucha (MS-13), ce gang tentaculaire qui tient d’une main de fer les communautés d’Amérique centrale. Connus pour leur violence extrême, la MS-13 et son rival, le Barrio 18, ont fait grimper les taux d’homicides au Salvador. Après une riposte étatique, les gangs ont contre-attaqué en 2020, massacrant 76 personnes en seulement quatre jours. Vivant sous la menace de la violence, des milliers de Salvadoriens fuient ainsi leur pays pour gagner des coins perdus du Mexique ou des États-Unis, prêts à tout dans l’espoir d’une vie plus sûre.
« Le Salvador est aux prises avec la violence des gangs depuis des décennies, et ses prisons débordent », explique le photographe britannique Tariq Zaidi, qui y a voyagé entre 2018 et 2020 pour son ouvrage Sin Salida (Sans issue), un regard poignant sur les gangs, la police, les prisons, les scènes de crimes, les funérailles et la lutte engagée par le gouvernement contre les gangs.

© Tariq Zaidi

Les graines de Sin Salida (qui signifie « pas d’évasion » en espagnol) ont été semées après que Zaidi ait entendu le président Trump avertir dans un discours de 2018 : « En ce moment même, de grandes caravanes de migrants bien structurées se dirigent vers notre frontière sud. Certaines personnes appellent cela une invasion… Ce sont des gens durs dans de nombreux cas ; beaucoup de jeunes hommes, des hommes durs que nous ne voulons pas chez nous… Ce ne sont pas des innocents. Ils sont durs. Ils sont partis à l’assaut. »
Il s’est avéré que la vérité était tout le contraire. Les caravanes étaient composées de Centraméricains fuyant la pauvreté et la violence des gangs dans leur pays d’origine. Ayant vécu au Vénézuela, au Brésil et en Argentine pendant près de quatre années, Zaidi a compris le potentiel de nuisance de ce genre de déclarations pour des individus déjà persécutés.
Se cacher à la vue de tous

© Tariq Zaidi

Tariq Zaidi se rend pour la première fois au Salvador en 2018 et il passe huit mois à tisser un réseau de contacts locaux afin d’établir une confiance, un fondement même de Sin Salida. « Tout le monde parle à voix basse quand il s’agit des gangs – car personne ne sait qui peut être à l’écoute », dit Zaidi, qui précise que les gangs ne font pas que tuer ; ils utilisent aussi la violence comme une forme de guerre psychologique. Un pouvoir qui vient du fait qu’ils se cachent à la vue de tous et interagissent avec la communauté d’une manière inédite pour des terroristes.
« C’est ce qui rend le combat contre eux si difficile : il est souvent impossible de savoir qui est et qui n’est pas membre d’un gang », explique Tariq Zaidi. Dans un pays où l’on estime que 10 % des 6,4 millions d’habitants sont impliqués dans des gangs, Zaidi prend grand soin d’élaborer un plan permettant de sécuriser l’accès à ses sources, sans mettre en péril leur sécurité. Bien qu’il travaille habituellement seul ou avec un fixeur, au Salvador Zaidi doit collaborer avec diverses autorités pour avoir accès aux prisons, services de police et scènes de crimes.

« Il faut souvent des mois pour entrer dans les prisons et bureaux gouvernementaux, et cet accès est parfois bloqué à la dernière minute », explique Zaidi. Il a également rencontré des familles en deuil sur les scènes de crime et dans les morgues. Il s’est rendu dans un quartier pauvre de San Salvador pour assister à la veillée funèbre d’un jeune garçon qui avait été décapité. Le fixeur conseille à Zaidi de ne pas sortir son appareil photo et de présenter simplement ses respects à la famille. Ils aborderont ensuite des membres du gang, qui montent la garde devant le corps, en demandant à rencontrer la mère du garçon.
« Elle était petite et avait la quarantaine. La douleur qu’elle ressentait était indescriptible. Je l’ai serrée dans mes bras aussi fort que possible et je n’ai pas dit un mot. Simplement : “Je suis vraiment désolé pour le décès de votre fils.” Elle pleurait à chaudes larmes. Puis son autre fils est arrivé. Il avait environ 18 ans. Je l’ai serré dans mes bras aussi. Nous sommes sortis pour chercher café et des gâteaux que nous avons rapportés à la maison. Les membres du gang ont accepté que l’on entre. La famille était heureuse que nous soyons revenus et m’a invité à l’enterrement », raconte Zaidi.

« Le lendemain, lors des funérailles, la famille m’a demandé d’accompagner le corbillard. J’ai fait beaucoup de photos et ils m’ont permis de rester un long moment. La mère m’a dit de partager l’histoire de son fils assassiné avec le monde entier, bien au-delà des frontières du Salvador. »
Au-delà des capacités

Avec la deuxième plus importante population carcérale par habitant après les États-Unis, les prisons du Salvador ont une capacité de 18 051 places, avec actuellement plus de 38 000 détenus, et un taux d’occupation de 215,2 %. La combinaison d’une chaleur extrême, de conditions insalubres et de la tuberculose ont fait de la prison un piège mortel avant le COVID-19. De plus, les centres de détention servent de creusets à l’activité permanente des gangs.
« Selon l’ancien ministre de la justice et de la sécurité, Rogelio Rivas, les chefs de gangs incarcérés sont responsables de l’organisation de 80 % des attaques dans le pays. De plus, dans certains cas, l’État a complètement perdu le contrôle des prisons, où les chefs de gangs gèrent la distribution des repas et l’accès des personnes autorisées à entrer », explique Tariq Zaidi, qui a visité six prisons et trois cellules de détention dans des postes de police au cours de ses voyages au Salvador. Les centres de détention furent le seul endroit où Zaidi a pu rencontrer et photographier des membres de gangs pour Sin Salida, donnant ainsi un visage et une voix à ceux qui ne sont connus que pour les dégâts qu’ils causent.

Lorsque le président Nayib Bukele est élu en juin 2019, l’espoir renaît enfin, car il met en place une stratégie de réforme visant à éradiquer les gangs du Salvador en moins de quatre ans. Sous sa direction, le taux d’homicides tombera alors à son niveau le plus bas depuis 1992, passant d’un pic de 17,6 meurtres par jour en 2015, à une moyenne de 3,6 homicides en octobre.
Avec Sin Salida, Zaidi montre à quoi ressemble la vie dans un monde de violence et d’effroi, ce que la majorité d’entre nous n’a jamais connu. « Lorsque vous parlez aux familles qui ont vécu cette violence – meurtres, disparitions, extorsions, menaces de mort – vous comprenez que ces familles vivent quotidiennement dans la peur », dit-il. « A travers ce travail, j’espère amplifier les voix de ces Salvadoriens qui se battent pour les droits humains fondamentaux, la sécurité et une vie plus sûre pour leurs familles. »
Par Miss Rosen
Miss Rosen est une journaliste basée à New York. Elle écrit sur l’art, la photographie et la culture. Son travail a été publié dans des livres et des magazines, notamment Time, Vogue, Artsy, Aperture, Dazed et Vice.
Sin Salida, Tariq Zaidi, publié par Gost Books, 69 images en couleur, 160 pages, 45€.
Vous pouvez suivre le travail de Tariq sur Instagram, Facebook et sur son site.

