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Au Mexique, des hôtels comme refuges aux victimes de violences conjugales

Au Mexique, des hôtels comme refuges aux victimes de violences conjugales

La photographe Gaia Squarci a documenté sa rencontre avec une femme mexicaine qui a porté plainte pour viol contre son ex-mari. Un poignant récit multimédia.

Selon l’initiative Spotlight de l’ONU, au cours des quatre premiers mois de 2020, les appels d’urgence liés aux violences faites aux femmes ont augmenté de 53 % au Mexique, s’ajoutant à la fragilité d’un pays déjà confronté à un problème généralisé de féminicides. Interrogé sur le sujet, le président mexicain Andrés Manuel López Obrador a déclaré : « 90% de ces appels sont mensongers. »

En réponse à cette situation, Hotel Posadas, une chaîne locale, a décidé de collaborer avec l’UNICEF, le FNUAP et plus de trente institutions gouvernementales afin d’accueillir gratuitement et pour une durée d’une semaine maximum les femmes et leurs enfants qui fuient les violences domestiques, le temps de leur trouver une solution pérenne.

Chambre 504 © Gaia Squarci

Les femmes accueillies dans le cadre de ce programme sont traitées comme n’importe quel client et bénéficient gracieusement d’une assistance psychologique par téléphone. Le personnel de l’hôtel a ainsi suivi une formation pour venir en aide à ces victimes. Plus d’une soixantaine de femmes ont déjà bénéficié de cette initiative dans treize villes du pays.

C’est dans une chambre d’hôtel aux rideaux tirés que j’ai rencontré Flor et Talia, la plus jeune de ses filles (leurs noms ont été modifiés pour préserver leur sécurité). Cette enfant de 6 ans brillante et curieuse, qui regardait Le Grinch à la télévision, est aussi innocente qu’étonnamment perspicace. Flor est chaleureuse et aime la vie, mais lorsque son sourire s’estompe, impossible de ne pas remarquer une expression d’effroi dans son regard. 

Chambre 504 © Gaia Squarci

Je l’ai invitée dans ma chambre pour une longue conversation tôt le lendemain matin, pendant que Talia dormait encore. Flor m’a raconté qu’elle avait porté plainte contre son ex-mari à dix reprises au cours des vingt-cinq dernières années, en vain dans ce pays gangrené par la corruption.

« Parfois, j’étais bien plus amochée qu’aujourd’hui », confie-t-elle. « Un jour, ma fille aînée, qui avait alors 13 ans, s’est fait une entorse à la jambe en tentant de me défendre. Mon ex-mari a soudoyé le procureur et payé une amende, évitant ainsi l’incarcération. J’avais fini par croire que c’était mon destin. »

Chambre 504 © Gaia Squarci

Durant les premiers mois de la pandémie de Covid-19, Flor a quitté son mari, alcoolique et toxicomane, pour retourner vivre chez ses parents. Après la séparation, il a éloigné Talia de sa mère pendant des semaines, qui a dû demander la garde de sa fille pour la récupérer.

Dans ce document audio, Flor raconte les violences que lui a infligées son ex-mari après qu’elle l’a quitté, et sa décision de porter plainte contre lui pour viol.

« J’ai demandé pardon à mes enfants, mais je n’avais pas d’autre choix. Je leur ai demandé de me pardonner car c’est leur père, et que c’est triste de vivre une telle situation. Mais ils m’ont dit qu’ils étaient fiers de moi. Et pour la première fois, je pouvais faire quelque chose pour eux. »

Les deux aînés de Flor ont désormais fondé leur propre famille. Talia et elle sont restées environ une semaine à l’hôtel, le temps qu’on leur trouve un logement en foyer. En général, les chambres familiales sont en désordre, jonchées de vêtements et d’objets. En entrant dans la leur, j’ai d’abord eu l’impression qu’elle était plus ordonnée qu’à l’accoutumée, avant de réaliser qu’elle était simplement vide. Elles n’avaient pas pu emporter grand-chose. Même si l’hôtel n’était qu’une solution temporaire, c’était un lieu sûr, où Flor pouvait oublier la peur et les problèmes d’argent, même quelques jours, et retrouver l’énergie nécessaire pour un nouveau départ.

Chambre 504 © Gaia Squarci

Après l’arrestation de son ex-mari, Flor a reçu des menaces de mort. Une fois installée, on lui a demandé de ne pas quitter l’hôtel, sauf en cas d’urgence. Son téléphone portable – éteint – a été confié au personnel afin d’éviter tout traçage GPS.

Dans cet autre document audio, Flor raconte les menaces de mort qu’elle a reçues de son ex-mari, et demande aux femmes victimes des mêmes abus de ne plus se taire.

« Il est capable de faire à d’autres ce qu’il m’a fait, et je ne pouvais donc pas le laisser sortir de prison », raconte-t-elle. « Un psychologue m’aide pour que je ne prononce pas des paroles ou des mots qui pourraient heurter ma fille. J’essaie de lui transmettre ce message : ne laisse jamais personne te faire du mal. Personne n’a le droit de te toucher ou de t’agresser. »

Dans ce document audio, Flor raconte les violences physiques que lui a infligées son mari devant Talia, et les conséquences psychologiques de ce traumatisme sur sa fille.

« Je veux qu’elle se sente en sécurité avec moi, qu’elle soit fière de sa mère. Ce n’est pas simple parce que cette violence, je l’ai endurée pendant des années. Mais je dois y arriver. »

Depuis, j’ai reparlé à Flor. Elle vit maintenant dans un foyer où elle est suivie et aidée. Malgré sa situation dramatique, elle reconnaissante d’avoir enfin été entendue. Flor craint que son ex-mari, en prison dans l’attente de son procès, bénéficie d’une peine allégée en raison des liens qu’il entretient, selon elle, avec la police.  

Ses derniers mots m’ont étonnée. J’ai compris que malgré tout ce qu’il lui avait fait, son ex-mari ne l’avait pas brisée : « Je ne vais pas renoncer à l’amour, et je vais me battre, mais je dois d’abord travailler sur moi-même. Je n’ai jamais su qui était vraiment mon mari et le jour où je rencontrerai quelqu’un d’autre, je veux apprendre à le connaître afin de pouvoir me donner pleinement. Et le jour où je fonderai une famille, ce sera pour la vie. » 

Chambre 504 © Gaia Squarci

Par Gaia Squarci

Gaia Squarci est photographe, et partage son temps entre Milan et New York, où elle enseigne le multimédia à l’International Center of Photography. Son travail a été publié, entre autres, dans le New York Times, le New Yorker, Time Magazine, Vogue, The Guardian et Der Spiegel.

Pour en savoir plus sur Gaia Squarci, rendez-vous sur son site internet.

Chambre 504 © Gaia Squarci

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