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Hicham Benohoud, best regards

Hicham Benohoud, best regards

Ils sont les héritiers de Florence Henri, de Man Ray, de Lewis Baltz… Leurs images ne cessent d’enrichir l’histoire mondiale de la photographie et nos regards impatients. Souvenirs de quelques rencontres plus ou moins magiques avec ces virtuoses de l’objectif, solistes du noir & blanc ou de la couleur, artistes fidèles à l’argentique ou totalement envoûtés par le numérique. Aujourd’hui: Hicham Benohoud, de l’école buissonnière à la poétique de l’espace.

Quand Hicham Benohoud vient à Paris, nous nous retrouvons au Café Beaubourg, juste à côté du Centre Pompidou. Nous y sommes tranquilles, les serveurs sont plutôt calmes et accueillants comme le chat freudien du café, prêt à tenir compagnie aux âmes en peine. Au fil du temps, nous avons appris à nous connaître, et nous parlons un peu de tout. De la famille, de l’éducation des enfants, de l’absolue nécessité de faire du sport, de la gastronomie – Hicham raconte merveilleusement bien ses voyages en décrivant la cuisine des pays visités -, de sa dernière exposition à la Biennale de Jérusalem, et de son travail en cours. Il me donne des nouvelles de son pays, le Maroc, « son soleil », où il est né le 16 mars 1968, dans le quartier de Zaouiet Lahdar, à Marrakech. C’est là que tout a commencé, en 1990, alors qu’il était un jeune professeur d’éducation plastique au collège Iman Ali.

L’enseignement, ce n’était pas son but, il voulait être peintre, comme Léonard de Vinci, dont la « fluidité de la Joconde » l’étourdissait. Parce qu’il s’ennuyait, en parallèle de ses cours, il entreprit de photographier ses élèves, « sans intention artistique », avec l’idée de les peindre, plus tard. Un jour, déclic, en regardant attentivement l’un de ses portraits, il s’aperçut que ce qui n’était pas dans le cadre, ce qui était hors champ, était très intriguant. Il en fit le fil rouge de sa série, La Salle de classe, obtenant de ses élèves qu’ils prennent la pose sans poser de questions, et développant, dans ses cours si particuliers, ce qui deviendrait le socle de sa création : une poétique de l’espace ou la « métaphysique de l’imagination » si chère à Gaston Bachelard. Engagée spontanément sans aucune connaissance de l’histoire de la photographie, La salle de classe est son travail fondateur, lequel a « poussé comme une herbe sauvage dans des conditions climatiques particulières ». 

Ne pas se fier aux apparences : Hicham Benohoud n’improvise jamais, tout est millimétré, minutieusement dessiné, c’est une règle d’or, et il n’utilise aucun logiciel trompe l’œil. Car s’il a expérimenté après-coup la fécondité de la photographie et ses illusions d’optique, celui qui se définit comme un « artiste plasticien »n’aime guère le désordre ou l’exubérance. Encore moins le hasard avec lequel il se plaît à feinter comme lorsqu’il était, adolescent, « le meilleur gardien de but de Marrakech. (…) J’étais très fort lors des penalties, je me jetais sur le ballon avant que le joueur ne le shoote ! Un gardien de but ne court pas tout le temps comme les autres joueurs. Ce qui lui permet de ne pas gaspiller son énergie, – je poursuis cette économie d’énergie dans ma démarche artistique -, et d’avoir une vue d’ensemble sur la scène qui se déroule devant lui. C’était aussi ma façon d’analyser la société avec un certain recul ». 

La salle de classe a bouleversé « positivement » sa vie, lui permettant d’arrêter l’enseignement en 2002, puis d’alterner projets et expositions hors sa terre natale. Mais rien n’a changé de sa méthode originale, qui ne cesse de m’étonner par sa singularité, voire son illogisme, comme s’il imposait dans une photographie l’éventualité d’un glissement, d’une superposition, sa dimension imaginaire. Il est un artiste de la suggestion, mais pas du souvenir : « Mon souvenir, c’est l’instant », dit-il.

Il ne s’en doute pas, mais Hicham Benohoud a une certaine proximité avec Buster Keaton. Il a un air sérieux, ici à Paris comme à Marrakech, accentué par ses tenues noires, presque en contradiction avec la réputation des Marrakchis, leur humour, leur bonne humeur, leur expansivité. « Non, pas de sucre dans le café, oh non non pas de chocolat », dit-il gravement, vous laissant vous empoisonner en solitaire. Il n’a pas goûté aux joies du cinéma, enfant, ou à la bande dessinée, les histoires que ses grands-mères lui racontaient lui tenaient lieu de terrain d’aventures. Sur l’écran de cinéma, Charlie Chaplin nous unit dans l’admiration : « Avec trois fois rien, Chaplin a inventé un monde à part. Pas d’effets spéciaux sophistiqués, juste la répétition d’un geste, et nous sommes bouleversés par son accomplissement. C’est l’essence du cinéma. La photographie a ce double pouvoir : le rapport direct au réel, et la synthèse d’un imaginaire. C’est un instant aussi ludique, aussi merveilleux qu’un souvenir d’enfance ». 

Ces souvenirs d’enfance ludique irriguent son œuvre, que ce soit Version Soft (2003), des autoportraits fabriqués à Bruxelles, Acrobatie (2015), boucléeen six mois à Marrakech avec de vrais acrobates de la place Jemaa El-Fna posant, cette fois-ci chez eux, en famille, ou avec Ânes situ (2014), de vrais ânes en tête d’affiche, deux séries assez proches du cinéma muet. S’y inversent l’extérieur et l’intérieur, preuve que le monde dans lequel nous sommes est à l’envers et qu’il est peut-être possible de le remettre à l’endroit. Cette désorientation est aussi la signature de Landscaping, exposée avec beaucoup de succès lors de la deuxième édition de la foire contemporaine 1:54, à Marrakech, en 2018, un événement très attendu. 

Landscaping, réalisée aux portes du désert, est un dépaysement au sens propre. Hicham Benohoud est un urbain, la nature « l’étouffe ». Pourtant, lors d’un voyage dans le sud marocain, ce paysage saharien l’a envoûté. Il s’est approprié son dépouillement en modifiant les perspectives, en ajoutant des carreaux noirs et blancs de ciment, en le transformant en une surface souple et vivante, comme la mer agitée par le vent. Ce ne sont pas les artistes du land art qui l’ont inspiré, mais Maurits Cornelis Escher (1898-1972), dessinateur illusionniste néerlandais renommépour ses constructions impossibles et sa formule rituelle : « Tout cela n’est rien comparé à ce que je vois dans ma tête ».

Le chat du Café Beaubourg s’étire, il est l’heure de déjeuner. Hicham Benohoud doit aller chercher des tirages dans le Marais et puis quelques friandises du côté de Belleville pour sa famille. Nous nous quittons devant le Centre Pompidou qui annonce une rétrospective de Christian Boltanski. Je l’ai croisé ce matin, juste avant de rejoindre Hicham. Le monde n’est pas si grand.

Par Brigitte Ollier

Brigitte Ollier est une journaliste basée à Paris. Elle a travaillé durant plus de 30 ans au journal Libération, où elle a créé la rubrique « Photographie », et elle a écrit plusieurs livres sur quelques photographes mémorables.


Plus d’informations sur Hicham Benohoud ici.
La Salle de Classe est parue aux Éditions de l’œil en 2001.

© Hicham Benohoud

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