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Journal de confinement : le feu et l'eau

Journal de confinement : le feu et l’eau

Dans la seconde partie du journal qu’elle tient régulièrement durant la crise COVID-19 avec une image, un texte et une chanson, la photographe new-yorkaise Gaia Squarci décrit ses premières impressions depuis le confinement.

© Gaia Squarci

24 mars 2020

Aujourd’hui, à 14h49, une colonne de fumée s’est élevée au-dessus d’un immeuble près de chez moi. Les gens se sont rassemblés dans la rue, côte à côte, pour regarder les flammes se transformer en un gros nuage blanc alors que les pompiers éteignaient le feu. Barbara, ma voisine que je n’avais jamais rencontrée auparavant, est sortie vêtue d’un pyjama et d’un chapeau en laine pour mettre ses poubelles dehors. Elle s’est tenue sur le trottoir pour observer la scène. Elle a 65 ans et n’est pas sortie depuis deux semaines. Elle ne peut même pas aller à l’église, me dit-elle avec un accent guyanais.

Le danger nous attire souvent de façon instinctive. Le feu en premier. Séduisant, destructeur, réconfortant, hypnotique.

J’ai tenté de trouver de la beauté dans le danger invisible qui paralyse le monde ces jours-ci. Mais les virus ne sont pas aussi sexy que le feu, ni aussi théâtraux que la guerre. De plus, cette fois ci, le problème n’est pas celui de quelqu’un d’autre, il est celui de tout le monde. Les habitants des régions privilégiées de la planète se retrouvent soudainement plus pauvres, effrayés, confus et sont invités à renoncer à une leur liberté individuelle qui leur semblait sacrée, jusqu’à avant-hier. Ce qui garde mon esprit éveillé, c’est la prise de conscience que je vis un moment historique, témoignant des réactions de l’humanité comme scientifique et cobaye à la fois. Il est difficile de prédire les conséquences à long terme des événements qui se déroulent, mais dans ce cas précis, mis à part la tragédie de la perte de vies humaines et de la dégringolade économique, je me demande si quelque chose de bon en résultera.


© Gaia Squarci

Les moments de crise nous déshabillent, que nous les vivions seuls ou à plusieurs, il n’y a nulle part où se cacher. J’ai été obligé de me demander quelles sont mes priorités, des gens à qui je n’imaginais pas reparler m’ont contacté, j’ai réalisé que je devais fermer la porte à un homme qui a été trop brut, trop vite. Je me suis demandé, après que tous ces ballons aient explosé en même temps, de quoi était fait mon quotidien.

La réponse ne m’a pas fait trébucher. Ma vie est faite de gens que je sais bien choisir. Mais il y a beaucoup de bruit autour de moi, un bruit qui m’empêche normalement de penser clairement, de trouver mon rythme. Aujourd’hui, j’ai mis de la musique et j’ai pris une longue douche. Je l’ai passé à me demander à quoi New York ressemblera après cela, sachant qu’elle aussi ne sera certainement pas la même.

Chanson : Leifur James, Suns of Gold

Par Gaia Squarci

Gaia Squarci est photographe et vidéaste. Elle partage son temps entre Milan et New York, où elle enseigne le multimédia à l’ICP (International Center of Photography). Elle collabore avec l’agence Prospekt et Reuters. Ses photographies ont été publiées dans le New York Times, le New Yorker, Time Magazine, Vogue, The Guardian, Der Spiegel, entre autres. Son travail a été exposé aux États-Unis, en Italie, en France, en Suisse et au Royaume-Uni.

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