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Face au coronavirus, les photographes racontent leur confinement

Face au coronavirus, les photographes racontent leur confinement

Confrontée aux annulations d’expositions, de festivals ou de commandes, la profession est profondément impactée par les mesures prises pour lutter contre la propagation du Covid-19. Témoignages d’un corps de métiers confiné, inquiet, mais qui garde espoir et s’adapte.

© Luca Nizzoli Toetti

Les boîtiers, au placard. A l’heure du confinement général, le monde de la photo est en temps de pause à durée indéterminée. Comme un tiers de la population mondiale, les photographes sont contraints de rester chez eux. Les rassemblements culturels ont été annulés pour lutter contre la pandémie du Covid-19. Les commandes, reportages, sorties de livre sont repoussés… 

Partout dans le monde, les conséquences sur la profession de cette crise inédite sont lourdes. Confinés dans leurs appartements ou leurs maison-ateliers, plusieurs photographes ont raconté leur quotidien à Blind Magazine, leurs inquiétudes, leurs espoirs et leur vision de cet événement historique.  

Arrêt sur image

« Tout ça, pour rien » En France, avant même l’annonce du confinement prononcé le 16 mars par le chef de l’État, Emmanuel Macron, les musées, galeries et festivals fermaient uns à uns leurs portes. La photographe Manon Lanjouère a vu son exposition annulée au dernier moment. « Je devais exposer au festival des Photographiques du Mans. J’ai fait le déplacement deux jours avant l’annonce du confinement avec une grande sculpture et plusieurs tirages. Le festival était annulé le lendemain », raconte-t-elle. Il s’agissait de la dernière exposition de l’année pour cette artiste de 26 ans. « J’ai pu exposer à la MEP (Maison européenne de la photographie) en février, je ne m’en sors pas trop mal », ajoute-t-elle, soulagée.


© Manon Lanjouère

Dans la plupart des pays d’Europe, d’Amérique et d’Asie, les déplacements sont limités au strict nécessaire. La grande majorité des reportages sont donc reportés. Le photographe plongeur Alexis Rosenfeld, confiné dans le sud de la France, a vu son programme de missions complètement chamboulé. « Je suis très embêté, je dois tout décaler. Je devais repartir en Nouvelle-Calédonie mais l’ordre de confinement est aussi en vigueur là-bas. C’est préoccupant car mon programme d’expédition photographique est calé sur le calendrier biologique des espèces », s’inquiète le photographe animalier qui a l’habitude de travailler pour National Geographic, Le Figaro Magazine et les grands titres internationaux. 

Le monde de la presse, lui aussi, tourne au ralenti. Dans un secteur déjà en crise, la situation est préoccupante. Le photographe français Nicola Lo Calzo travaille régulièrement avec les quotidiens français, notamment pour des portraits. En plus de plusieurs expositions reportées au mois de septembre, toutes ses commandes sont à l’arrêt. « C’est une situation pénible. On m’a proposé de couvrir l’actualité du Covid-19 à Paris. Je me démande si ça vaut le coup de prendres des risques d’autant plus pour trois-cents euros, je me laisse le temps pour y réflechir… », avoue-t-il.

Sécurité avant-tout

Pour leur propre sécurité et celle de leur famille, beaucoup de photographes ont en effet décidé de rester confinés, comme Tomas van Houtryve, membre de l’agence VII. « Je ne veux pas mettre en danger ma famille en sortant sur le terrain pour prendre des photos. Mais s’il y a une commande où la distance sociale est respectée, mes accréditations sont prêtes. C’est un moment historique comme l’a été la Grande Guerre. En tant que témoin de l’histoire, c’est important de le couvrir », explique le photographe, confiné en France avec sa famille. Il est rentré des Etats-Unis vingt-quatre heures avant l’annonce de la fermeture des frontières par Donald Trump.  


© Luca Nizzoli Toetti

Lui, est en première ligne : Luca Nizzoli Toetti, photographe italien basé à Milan que nous avons pu joindre. Pays le plus touché au monde devant l’Espagne et la Chine, l’Italie est en confinement total. Au début de l’épidémie, Luca Nizzoli Toetti a photographié les rues désertes de la métropole lombarde. Des clichés publiés notamment dans le journal Libération. « On essaye de raconter quelque chose sur cette situation. Nous avons une responsabilité en tant que photographe. Mais c’est un choix personnel », témoigne le photojournaliste indépendant qui a décidé depuis de limiter un maximum ses déplacements. 

Sécurité avant-tout. Le mot d’ordre est le même chez les agences photo. « Nous sommes dans une situation de guerre, nous devons respecter les règles, insiste Clément Saccomani, directeur manager chez l’agence photo NOOR, basée à Amsterdam. J’invite les photographes à ne pas sortir. Notre monde s’installe dans un temps long, il va repartir. C’est là que nous aurons besoin des photographes. » L’agence a d’ailleurs publié sur son compte Facebook un guide comprenant une douzaine de consignes pour ses photographes.  

Si les agences et les professionnels sont conscients des risques, Luca Nizzoli Toetti alerte sur un véritable problème : celui des photographes amateurs. « Ils sortent pour prendre des photos pour le loisir, et ne respectent pas les consignes de sécurité », s’alarme-t-il. Une démocratisation de la prise d’image qui questionne aussi sur le rôle de la profession. « Comme photographe, je me pose des questions sur notre métier. Car les images les plus marquantes sont aussi celles faites par ces amateurs, comme les personnels dans les hôpitaux », fait-il remarquer. 


© Nicola Lo Calzo

Réalité économique préoccupante

Dans un secteur déjà en difficulté, la situation pourrait plonger beaucoup de photographes dans une grande précarité. « Économiquement, si ça dure plus d’un mois, ça va devenir critique », s’inquiète le photographe Corentin Fohlen confiné à Paris. « Reportages, exposition, tout est reporté au mois de mai. Je devais sortir un livre sur Haïti, sa sortie est aussi repoussée. Des aides sont en discussion, mais il va sûrement y avoir des conditions très précises.Nous ne sommes pas salariés, nous n’avons pas de revenus fixes donc on est un peu les derniers pris en compte », témoigne-t-il. Même son de cloche pour Nicola Lo Calzo : « Si ça continue, ça risque de devenir catastrophique. Pour les expositions, on décide cela six mois à l’avance donc on a une marge de manœuvre. Le plus préoccupant reste mon travail pour la presse. » 

De son côté, Alexis Rosenfeld doit faire face au gel des financements de la part de ses partenaires. « Je les comprends. Mais si je n’ai pas de partenaires qui suivent, je suis incapable de financer les expéditions. Les photographes indépendants comme moi n’avons pas de chômage. Il n’y a pas de filet de sécurité. » Clément Saccomani de l’agence NOOR le confirme : « il y aura une perte de revenu substantielle, on le sait. Nous devons en prendre conscience et agir avec solidarité. Il faut prendre des initiatives collectives et accentuer le triangle photographes, clients, agences », insiste-t-il tout en demandant une réaction de la part des pouvoirs publics. « A l’échelle européenne et mondiale, il faut créer des programmes de financement collectifs sur les conséquences du virus, un appel aux auteurs, aux photographes pour documenter ce qui fait partie de l’histoire collective. »  


© Alexis Rosenfeld

«Une vraie période de création »

S’ils accusent le coup, beaucoup voient aussi en ce confinement général une opportunité créatrice formidable. « Je trouve si appréciable de ne pas recevoir un million de mails par jour. On peut vraiment déconnecter. Ça me vide la tête, je rentre dans une vraie période de création », salue Manon Lanjouère. Le temps s’allonge. On en profite pour faire le tri, reclasser ses photos, les éditer. « C’est une bonne remise à zéro. J’en tire un vrai profit car je n’ai pas forcément le temps de m’occuper de ça d’habitude », apprécie Alexis Rosenfeld. On s’adapte. Les cours de photo continuent en ligne, entre deux « visioapéro ». 

Sur les réseaux sociaux, beaucoup de photographes tiennent des journaux de confinement, notamment sur Instagram. Comme Peter Van Agtmael de l’agence Magnum, qui publie chaque jour une image de New York et raconte son quotidien entre quatre murs. D’autres, comme Corentin Fohlen, ont aménagé un studio dans leur appartement. Le photographe de 38 ans a signé la Une de Libération du 22 mars. Sur l’image – prise à Paris dans la chambre de son fils transformée en atelier photo – seul un masque blanc se détache d’une silhouette noire. Le photographe a réalisé une série d’autoportraits décalés sur le thème du masque respiratoire pour « dédramatiser la situation et apporter une réflexion sur l’hyper mondialisation. Montrer aussi que le virus est autant dans la maladie que sur les réseaux sociaux ». 

Témoins de notre temps, les photographes observent et capturent ce monde mis sur pause. « Pour Informer au présent et documenter pour l’avenir », conclut Corentin Fohlen dans sa dernière publication Instagram. 


© Corentin Fohlen

Par Michaël Naulin

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